Depuis l’accession au trône de Mohammed VI en 1999, l’espoir d’une réconciliation entre le Maroc et l’Algérie sous Abdelaziz Bouteflika s’est peu à peu estompé, jusqu’à céder la place à la crise diplomatique actuelle.
Mohammed VI et Abdelaziz Bouteflika au sommet de la Ligue arabe organisé en 2005 à Alger (AFP)
Le roi du Maroc participera-t-il au sommet de la Ligue arabe à Alger les 1er et 2 novembre ?
Le ministre algérien de la Justice, Abderrachid Tabi, a remis mardi 27 septembre à Rabat une lettre d’invitation à Mohammed VI, en tant qu’émissaire du président algérien Abdelmadjid Tebboune.
Sur instruction du souverain alaouite, Abderrachid Tabi a été reçu en personne par le chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita.
La partie marocaine n’a toutefois pas divulgué qui représenterait le royaume chérifien à ce sommet de la Ligue arabe à Alger.
Le 12 septembre, le média panafricain Jeune Afrique et le site d’information saoudien basé à Londres Asharq al-Awsat ont affirmé que Mohammed VI se présenterait personnellement. Des médias marocains ont, depuis, fait état de la participation du chef du gouvernement Aziz Akhannouch et de Nasser Bourita.
Autre question, selon plusieurs sources marocaines, qui devrait déterminer la décision du roi : l’Algérie lèvera-t-elle l’interdiction de son espace aérien aux avions marocains ? Après avoir rompu ses relations diplomatiques avec Rabat en août 2021, l’Algérie avait en effet interdit, le mois suivant, le survol de son territoire par les aéronefs immatriculés au Maroc.
En tout cas, la présence de Mohammed VI au prochain sommet serait cohérente avec la position toujours affichée dans ses discours.
« Nous aspirons à œuvrer avec la présidence algérienne pour que le Maroc et l’Algérie puissent travailler, main dans la main, à l’établissement de relations normales entre deux peuples frères, unis par l’histoire, les attaches humaines et la communauté de destin », déclarait-il encore le 30 juillet à l’occasion du 23e anniversaire de son accession au trône.
« À ce propos, je souligne une fois de plus que les frontières qui séparent le peuple marocain et le peuple algérien frères ne seront jamais des barrières empêchant leur interaction et leur entente », a ajouté le monarque, alors que la crise diplomatique est à son paroxysme entre les deux voisins.
Mohamed VI a assisté au sommet de 2005 à Alger
Depuis son accession au trône en 1999, Mohammed VI a multiplié les appels aux autorités algériennes pour la normalisation des rapports bilatéraux et l’ouverture des frontières, fermées depuis 1994 à la suite d’un attentat perpétré à Marrakech par des islamistes radicaux d‘origine algérienne.
« Nous renouvelons notre invitation sincère à nos frères en Algérie, pour œuvrer de concert et sans conditions à l’établissement de relations bilatérales fondées sur la confiance, le dialogue et le bon voisinage », a encore déclaré en août 2021 le souverain marocain, ajoutant qu’il n’a eu « de cesse, depuis 2008, de clamer haut et fort cette idée et de la réaffirmer à maintes reprises et en diverses occasions ».
D’ailleurs, le dernier sommet de la Ligue arabe auquel Mohammed VI a participé était celui de 2005 en Algérie. Sous les mandats successifs d’Abdelaziz Bouteflika, les relations entre les deux voisins, malgré des tensions régulières, n’ont jamais traversé de crise très grave.
En témoignent les mots prononcés en 2005 par le roi dans sa « deuxième patrie, l’Algérie sœur » : « Il m’est très agréable d’adresser l’expression de mes sincères salutations et de ma profonde estime à mon illustre frère, son excellence le président Abdelaziz Bouteflika, et à travers lui au peuple algérien frère qu’unissent au peuple marocain des liens solides de fraternité tissés par l’histoire et le voisinage », introduisait-il.
Il faut dire que le royaume avait placé tous ses espoirs en Abdelaziz Bouteflika pour trouver une solution définitive à l’affaire du Sahara occidental, une ancienne colonie espagnole que le Maroc considère comme faisant partie de son territoire, et dont le mouvement du Front Polisario, soutenu par l’Algérie, réclame l’indépendance.
Né à Oujda, ville marocaine frontalière de l’Algérie, l’ancien président a vécu une partie de sa vie au Maroc.
C’est à Sidi Ziane, première école créée par la France au Maroc, qu’il a fait ses études primaires, comme l’ancien Premier ministre marocain et beau-frère de Hassan II, Ahmed Osman, le célèbre économiste Aziz Belal ou encore l’intellectuel Mohamed Allal Sinaceur.
C’est aussi à travers le « clan d’Oujda », un groupe désignant les membres de l’Armée de libération nationale (ALN) nés ou ayant vécu au Maroc – à la tête desquels Houari Boumediene –, qu’Abdelaziz Bouteflika aurait rejoint la guerre de libération en 1956 à Oujda, où sa famille possède encore trois propriétés enregistrées au nom d’Ahmed Bouteflika – le père de l’ancien président –, dont celle, vétuste, que la mairie avait entrepris de démolir en 2018.
Autant d’éléments qui plaidaient, donc, en faveur d’une réconciliation entre les deux pays voisins au lendemain de l’élection de Bouteflika à la tête de l’Algérie en 1999. Y compris au sujet de leur principale pomme de discorde, la question du Sahara occidental.
Peu avant son décès, Hassan II était ainsi parvenu à se mettre d’accord avec le chef d’État algérien sur une rencontre non loin d’Oujda, à la frontière entre les deux pays.
Selon un document déclassifié par les États-Unis en 2017, Hassan II avait même affirmé, le 20 juillet 1999, soit trois jours avant sa mort, être « parvenu à un accord » avec Abdelaziz Bouteflika concernant l’affaire du Sahara occidental.
Cet espoir était aussi partagé par les partis du mouvement national marocain.
Des relations « qui fluctuent »
Dans ses mémoires, parus en 2018, le doyen de la gauche marocaine Bensaid Ait Idder, ancien résistant et grande figure de l’opposition à Hassan II, décrit une réunion sur le sujet tenue en 1991 à Alger chez l’ancien ministre Cherif Belkacem, autre figure du groupe d’Oujda, en présence de Bouteflika, alors sans fonction officielle, de Mohamed Cherif Messaadia, ancien patron du Front de libération nationale (FLN), et du leader socialiste marocain Abderrahman Youssoufi.
« Nous leur avons rappelé les combats des grands partis pour l’indépendance des pays maghrébins et pour le rêve de notre union […] Le silence régnait de leur côté [du côté algérien]. Bouteflika a tenté de rattraper la situation en nous annonçant que Houari Boumediene avait la volonté de résoudre ce problème [le Sahara occidental] et qu‘il avait convenu avec Hassan II d’un rendez-vous à Bruxelles, mais le décès de ce dernier a mis fin à tout », raconte l’ancien député Ait Idder.
Les images des funérailles de Hassan II témoignent aussi des rapports ambivalents qu’entretiennent les deux pays. On y voit Abdelaziz Bouteflika, ému, tenant des deux mains le cercueil du défunt roi aux côtés de ses deux fils, Mohammed VI et Moulay Rachid.
Au cours des premières années de son règne, Mohammed VI jugeait « excellentes » ses relations avec Bouteflika.
« Mais bon, les relations entre nos deux pays fluctuent, selon les aléas qu’imposent les réalités de nos deux pays », ajoutait-il dans une interview donnée en 2001 au journal français Le Figaro.
Les relations continueront de fluctuer entre les deux pays pendant les quatre mandats de l’ancien chef de l’État algérien. En 2004, le Maroc supprimera les visas d’entrée sur son territoire pour les ressortissants algériens. Le voisin de l’Est fera de même.
Mais les frontières resteront fermées et la résolution du conflit du Sahara occidental demeurera suspendue entre les deux pays.
Dans son livre Le Soleil ne se lève plus à l’Est (2018, Plon), l’ancien ambassadeur français à Alger et ancien directeur général de la Sécurité extérieure (DGSE) Bernard Bajolet relate un de ses échanges avec Abdelaziz Bouteflika dans lequel ce dernier critique le fait « que Paris avait toujours soutenu la position marocaine depuis l’époque du président Giscard d’Estaing ».
« La position de la France […] ne relève pas d’un quelconque parti pris. Mais elle peut être influencée par le sentiment que cette affaire est vitale pour le Maroc, alors qu’elle ne l’est pas pour l’Algérie », lui explique alors le diplomate.
La réponse du président algérien : « Oui, c’est vrai. Elle n’est pas vitale pour nous. Mais sachez qu’il n’y aura pas de lune de miel avec le Maroc, pas de Maghreb arabe tant qu’une solution équitable ne sera pas trouvée. »
Jusqu’à son décès, l’ancien président algérien restera sur ses positions. Dans son message de condoléances après sa mort en septembre 2021, Mohammed VI dira se remémorer « les attaches particulières qui liaient le défunt au Maroc, que ce soit lors des périodes de l’enfance et des études dans la ville d’Oujda ou encore au temps du militantisme pour l’indépendance de l’Algérie sœur ».
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