La fin de l'Algérie française et les juridictions d'exception - Etat, Justice et Morale dans les procès du putsch d'Alger et de l'OAS.
Dans ce petit livre très documenté et percutant, c'est une véritable volée de bois vert que l'auteur administre au général de Gaulle. Si, pour les Juifs en général et pour les sionistes en particulier, la fameuse phrase du général sur « le peuple juif sûr de lui et dominateur » restera à jamais comme une arête en travers de leur gorge, pour Raphaël Draï, c'est le double langage, la tromperie caractérisée à propos de l'Algérie, de l'homme du 18 juin, qui sont mis en avant et analysés.
À contre-courant des hagiographes et de ceux qu'il appelle les « mytholographes » avec leurs partis pris idéologiques, Raphaël Draï revient sur des événements qui continuent, longtemps après, à constituer pour des millions de personnes, une blessure ouverte.
À propos des procès des généraux Salan et Jouhaux, du commandant Hélie Denoix de Saint-Marc et du lieutenant Bastien-Thiry, dont il rappelle par le détail les Etats de service antérieurs à leur arrestation, l'auteur n'hésite pas à tenter une comparaison avec la condamnation à mort de De Gaulle par le maréchal Pétain.
Rappelant que les putschistes de 1961 avaient eux-mêmes installé De Gaulle au pouvoir, Raphaël Draï énumère les voltes et les virevoltes du général qui, dans un courrier adressé à Raoul Salan le 24 octobre 1958, écrivait : « L'ensemble de la nation française fait maintenant bloc sur quelques idées simples : on ne doit pas lâcher l'Algérie ». On connaît la suite.
Pour Raphaël Draï, dès le début, De Gaulle savait qu'il allait lâcher l'Algérie, notamment parce qu'il ne voulait pas de millions de Musulmans français qui auraient modifié le caractère chrétien du pays auquel il tenait absolument, mais il n'a pas choisi de l'annoncer clairement et loyalement. Il a louvoyé, sacrifiant sciemment les « Pieds Noirs » ou « Européens de souche », les Juifs et les Musulmans qui préféraient la France, notamment les Harkis. « Le mot de tromperie est fort, dit Draï, mais on ne saurait en faire l'économie ».
Entre le 4 juin 1958, lors de l'allocution dite « du Forum » ( « Je déclare qu'à partir d'aujourd'hui, la France considère que dans toute l'Algérie, il n'y a qu'une seule catégorie d'habitants ») et celle du 8 juin 1962 (« Dans 23 jours, le problème algérien sera résolu au fond »), tous les discours sont finement décryptés. La « politique de force » du général dont l'auteur souligne l'insensibilité et la surdité face aux malheurs qu'elle engendre conduira, on le sait à l'exode de populations trompées par des Accords d' Évian qui ne seront jamais appliqués.
Pour ce qui est des 100 000 Juifs du pays, Raphaël Draï rappelle à juste titre que l'immense majorité d'entre eux était autochtone et que leur présence en Algérie était antérieure d'un millénaire à « la conquête de cette partie du monde par les armées mahométanes venues de la péninsule arabique ».
En fin d'ouvrage, l'auteur dresse un constat : « Pour autant que l'on puisse en juger, la France compte aujourd'hui presque autant d'habitants arabo-musulmans que l'Algérie de l'époque » et passe en revue les événements dramatiques des tueries de Mohamed Merah et des frères Kouachi pour poser la question : « De Gaulle fut-il visionnaire ou fut-il aveugle ? ».
©Jean-Pierre Allali
Le professeur Raphaël Draï est né à Constantine en 1942. Agrégé de sciences politiques et ancien doyen de l'Université d'Amiensil est actuellement Professeur de Sciences politiques à l'Université d'Aix-Marseille III et à l' Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence où il est chargé d'enseignements au Master Management interculturel et médiation religieuse.
Ses recherches et publications sont caractérisées par un souci de pluridisciplinarité, se souciant de faire dialoguer et résonner des univers comme ceux de la psychanalyse, du droit, des sciences politiques, de l’histoire, de la médecine et les textes de la tradition juive. Toujours dans cette optique, il est également profondément engagé dans le dialogue inter-religieux.
par Raphaël Draï
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