"Je suis le fils de ma peine" est un livre qui tient autant de l'enquête que de l'exploration intime. C'est le troisième roman du jeune auteur de 31 ans, Thomas Sands. Un livre qui fait resurgir la mémoire du passé algérien de la France.
C’est l’histoire d’un fils et d’un père, Vincent et Khalil. Une histoire à vif, écorchée, d’une rare puissance. D’une singulière violence aussi. Une histoire qu’on lit d’une traite, sans reprendre souffle, emporté par le tumulte du texte.
Cette histoire, dans sa première partie, est racontée par le fils. Vincent est capitaine de police, il a 40 ans. Son père, venu très jeune d’Algérie, dans les années 1960, vient de mourir.
Vincent n’est pas allé à son enterrement. Il ne lui a jamais pardonné les coups qu’il lui infligeait, chaque soir, sans raison apparente, quand il était enfant.
À ce moment de sa vie, Vincent ne croit plus guère dans son métier
Quand le livre commence, il est sur une scène de crime sordide. Une jeune femme massacrée sur un chantier.
Au départ, quand il s’est engagé, il voulait protéger des filles comme elle, les sortir de la violence et de la misère.
Mais il a vite compris que c’était mission impossible. Il passe son temps, avec ses collègues, à colmater les brèches d’une société dominée par l’argent, profondément inégalitaire. À faire tenir un système qui se fiche bien de la justice et la vérité.
À travers les yeux de son personnage, Thomas Sands brosse ainsi un portrait au tranchoir de la violence ordinaire de cette déliquescence sociale.
Et c’est à ce moment-là, alors qu'il est profondément déprimé, que Vincent va devoir affronter la mort de son père
Un père qu’il a aimé, qu’il a craint, qu’il a détesté. Qu’il ne voyait plus depuis longtemps. Et dont il ignore presque tout.
Khalil a pourtant pris la peine, avant de mourir, de lui laisser un enregistrement sur une clé USB. En arabe, langue que son fils ne parle pas. Un enregistrement où il évoque souvent le nom de Georges Bertrand, un ancien d’Algérie qui travaillait pour le service photographique des armées.
Celui-ci avait une boutique dans Paris. Vincent va s’y rendre et rencontrer son fils. Et bientôt remonter le fil de l’histoire de son père…
Extrait :
"Je suis immédiatement saisi par deux photos affichées côte à côte derrière le comptoir. Noir et blanc, du grain, de grands tirages. L’une est prise au coeur d’une casbah, Oran, Alger, je n’en sais rien. Elle représente deux enfants de 10 ou 12 ans qui se tiennent par l’épaule et fixent l’objectif avec candeur, avec impertinence. Des yeux noirs, un éclat de lumière dans les pupilles, de larges sourires, et leur ombre en retrait que dessine en été la lumière d’une fin d’après-midi. L’autre montre également un couple de mômes, du même âge, capturés sous la pluie. On reconnaît le ciel d’hiver, la lumière ternie de Paris. Ils ont la même posture que les deux premiers, un bras passé autour de l’épaule de l’autre, mais leurs expressions… Le pli à la bouche, les yeux cernés, le regard éteint. Je m’y attarde quelques secondes.
— Celle-ci a été prise à Nanterre. Au bidonville. Elle date de 1962. L’autre a été prise trois ans plus tôt. À Oran. Vous êtes le fils de Khalil, n’est-ce pas ? Vous lui ressemblez…"
À partir de ce moment, la quête du père va prendre le pas sur l’enquête de police
C’est le cœur du roman. Et cette quête va s’organiser autour de trois voix. Celle de Vincent, le fils, qui découvre ce que son père lui a toujours caché. Celle de Georges, le photographe, qui raconte, à travers son journal, l’histoire d’une amitié tragique dans les Aurès. Et celle de Khalil, dont les enregistrements dévoilent le drame d’un homme devenu étranger à lui-même.
Avec ces voix, c’est toute la mémoire de la guerre d’Algérie, et de ses suites en France, qui déferle infiniment vivante et incarnée.
Thomas Sands a l’art des atmosphères, des paysages et de leurs vibrations, des lumières et des ambiances
Son texte est porté par une urgence, un souffle, toujours en tension. Son écriture est sans concession, elle griffe, elle déchire, elle abrase.
Son livre décrit un monde et des rêves en charpie. Il faut parfois s’accrocher pour en affronter la violence et la noirceur. Mais c’est une sacrée expérience de lecture !
Plongez dans le monde de Thomas Sands à travers une enquête qui mêle histoires familiales, souvenirs de la guerre d’Algérie et crimes violents. Ce polar est son troisième livre...
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-polar-sonne-toujours-2-fois/le-polar-sonne-toujours-2-fois-du-jeudi-13-octobre-2022-3983734
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