La cérémonie de clôture du XXe congrès du Parti communiste s’est ouverte sur l’image curieuse de l’ex-président de la République chinoise Hu Jintao (2003-2013) quittant sa place auprès du numéro un, M. Xi Jinping, fermement escorté vers la sortie : simple malaise, comme a fini par dire la presse chinoise, ou geste autoritaire de M. Xi pour acter la fin de toute influence de l’ex-patron ? Ce qui est sûr, c’est que l’actuel président a obtenu son troisième mandat, que la charte du Parti stipule désormais « le rôle central du camarade Xi Jinping » (gare donc à qui le critique !) et que les organes dirigeants, fortement renouvelés, ne contiennent que des fidèles.
M. Xi a changé quatre des sept membres du Comité permanent, la plus haute instance, en faisant monter l’ex-dirigeant du Parti de Shanghaï, qui a confiné avec force sa ville pendant deux mois et qui devrait être nommé premier ministre l’an prochain. Le Bureau politique, réduit à 24 (contre 25), ne comprend plus une seule femme et reflète les préoccupations du moment : la « sécurité » militaire mais aussi intérieure, alimentaire, technologique… Le mot est revenu comme un leitmotiv dans le discours d’ouverture. M. Xi a resserré les rangs. Mais s’entourer de « bons camarades » n’est pas une garantie de réussite au moment où les signes de faiblesse s’accumulent.
Vers un troisième mandat de Xi Jinping à l’issue du XXe Congrès du Parti communiste
Quand, en 2018, M. Xi Jinping introduit dans la Constitution ses « pensées sur le socialisme à la chinoise » et la possibilité d’être élu à vie, nul n’imagine que la préparation du XXe Congrès, qui se tient le 16 octobre, sera agitée. Le malaise de la classe moyenne, le sort de Taïwan, les relations avec les États-Unis et la Russie, ont mis en évidence des failles jusque-là discrètes.
«Nous devons faire de la survie notre objectif principal (1). » L’alarme du très puissant fondateur de Huawei, M. Ren Zhengfei, a fait l’effet d’une minibombe dans le landerneau communiste chinois. Ce patron peu habitué à livrer ses pensées visait son groupe, bien sûr. Mais tout le monde a compris que le diagnostic allait bien au-delà, et il est rare qu’un dirigeant connu se montre publiquement aussi pessimiste. Surtout au beau milieu du mois d’août, quand les hauts dirigeants du Parti communiste chinois (PCC) se retrouvent en conclave dans la station balnéaire de Beidaihe, en pleine préparation du XXe Congrès.
Un congrès qui s’annonce hors norme. Son chiffre rond, témoin de la longévité du parti au pouvoir, y invite. Plus fondamentalement, il va marquer une rupture avec la tradition établie depuis la mort de Mao Zedong, en 1976, en désignant pour la troisième fois le même secrétaire général, M. Xi Jinping — jusqu’ici, on ne pouvait exercer plus de deux mandats. Enfin, cette réunion se déroule alors que le pays doit relever une série de défis internes (baisse de la croissance, Covid et politique de confinement total, pollution) et externes (relations dégradées avec les États-Unis, avec les voisins en mer de Chine, guerre russe en Ukraine), sans oublier les tensions avec Taïwan.
Il a fallu attendre début septembre pour en connaître la date : le 16 octobre, cinq ans, jour pour jour, après le XIXe Congrès. Cette précision de métronome est censée montrer aux 96,7 millions d’adhérents, aux 2 300 délégués de toute la Chine convergeant alors vers Pékin, et même aux simples citoyens que la direction aborde cette échéance avec sérénité. Il est vrai que, si l’essentiel des orientations et surtout de la composition de l’équipe dirigeante n’était pas réglé, le rendez-vous aurait été retardé. Car, contrairement à ce que l’on entend souvent en Occident, il y a débat au sein du saint des saints communiste. Feutré voire secret, mais réel. Cette année, les sujets de friction ne manquent pas — plus nombreux que ne s’y attendait le « président de tout », comme on surnomme parfois M. Xi pour signifier que rien de ce qui est important ne lui échappe.
Parmi les points de tension figurent les questions économiques et sociales. Certes, le bilan de sa décennie apparaît tout à fait honorable : une moyenne de 6 % de croissance, même si le taux à deux chiffres n’est plus de mise ; une éradication de la pauvreté absolue, même si la Chine reste au soixante-douzième rang mondial en termes de richesses par habitant, selon le Fonds monétaire international (FMI) ; la construction d’infrastructures modernes (chemin de fer, autoroutes, aéroport) dans un pays immense qui en manquait cruellement ; une montée en gamme réussie des productions, à tel point que, par exemple, la valeur ajoutée chinoise dans un iPhone d’Apple, qui s’élevait à 3,6 % il y a quinze ans, atteint aujourd’hui plus de 25 % (2).
Toutefois, cet exemple même prouve que l’industrie demeure dépendante des technologies étrangères, notamment pour les semi-conducteurs de la dernière génération conçus à Taïwan et pour les logiciels. La guerre économique américaine lancée par le président Donald Trump et renforcée par son successeur Joseph Biden, avec son cortège d’interdictions d’importations et d’exportations, compromet sérieusement l’avenir. Huawei, à la pointe mondiale pour la 5G et les réseaux de télécommunication, s’est ainsi fait couper les ailes.
Pourtant, loin de l’image véhiculée par les médias, « Xi Jinping a davantage ouvert l’économie au commerce extérieur et aux investissements », note l’économiste américain David Dollar, chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à l’appui. En 2020, précise-t-il, « la Chine a dépassé les États-Unis pour l’accueil des investissements directs étrangers (IDE) : 253 milliards de dollars d’entrées, contre 211 milliards. Ils ont encore augmenté en 2021, notamment dans le secteur des services et de la haute technologie » (3). Chez les capitalistes, les profits servent de guide, plus que l’idéologie, et un marché de plus d’un milliard de consommateurs, cela ne se refuse pas. Ces capitaux étrangers se dirigent vers les branches à plus forte valeur ajoutée, tandis que les productions d’assemblage se délocalisent au Vietnam (comme Apple), en Malaisie ou au Bangladesh, qui « offrent » des salaires nettement moins élevés.
Reste que l’économie patine : au deuxième trimestre 2022, la croissance est restée atone (0,2 %) — du jamais-vu depuis trente ans. La baisse du commerce mondial et la stratégie zéro Covid, qui paralyse des métropoles et des régions entières, expliquent, pour partie, ces faiblesses. Tout comme l’arrêt brutal de la folle construction immobilière des dernières décennies conduisant à une bulle que le pouvoir veut faire éclater en douceur, sans y parvenir tout à fait.
Chômage des jeunes qualifiés
S’y ajoutent la volonté de contrôle des géants de l’économie numérique qui avaient étendu leurs tentacules financiers, tel Alibaba (4), et les investissements devenus inefficaces dans les infrastructures publiques. Ainsi les trente-trois mesures de soutien fiscal et budgétaire (plus de 500 milliards d’euros) prises par le gouvernement en avril, puis en juin, n’arrivent pas à enrayer le ralentissement. David Dollar prend le cas significatif des chemins de fer : « Les premières lignes ferroviaires à grande vitesse desservaient des couloirs densément peuplés et étaient largement utilisées ; mais des investissements plus récents ont étendu le réseau dans des zones peu peuplées où il est peu utilisé. » Nul doute, comme il le suggère, que « davantage de services sociaux, pour les migrants [les ruraux venant travailler dans les villes], les personnes âgées et la population rurale, pourraient être financés en réduisant ces investissements inutiles dans les infrastructures » (5). La remarque ne vaut d’ailleurs pas seulement pour la Chine.
Au total, le chômage grimpe dangereusement, notamment pour les jeunes qualifiés : près d’un sur cinq (19,6 %) ne trouve pas d’emploi. Or, au pays de l’enfant unique, la situation est explosive. Si le contrat social — promesse d’avenir meilleur contre monopole du PCC — est entamé, l’avenir sera compromis (lire « La classe moyenne a besoin d’être rassurée »). On comprend que les plus hauts fonctionnaires et cadres du parti, qui jouent leur destin personnel, ne suivent pas comme un seul homme les directives du « président de tout »…
L’autre sujet de préoccupation s’appelle Taïwan. Le refus de laisser l’île déclarer son indépendance fait quasiment l’unanimité au sein du PCC et sans doute dans la société. En revanche, la façon de traiter Taipei est contestée, M. Xi n’apparaissant pas forcément comme le plus va-t-en-guerre. Certains, notamment dans les milieux militaires, estiment que Pékin devrait frapper vite et fort « avant que les États-Unis se servent de Taïwan pour faire à la Chine ce qu’ils ont fait avec l’Ukraine à la Russie, une guerre interposée », explique un cadre de l’armée de terre, aujourd’hui reconverti, qui trouve le président trop indécis. D’autres, défendant la même idée, estiment que le pays doit continuer à se préparer militairement (6). Les derniers, beaucoup plus discrets, regrettent que le président ne s’en tienne pas au « profil bas » de feu Deng Xiaoping et ne fasse pas preuve de patience. En fait, trois événements ont changé la donne taïwanaise au cours de ces dernières années.
En Chine, M. Xi a inclus l’unification du territoire dans son vaste projet de rajeunissement du pays. Taïwan est donc considéré comme la « pièce manquante (7) » à ramener dans le giron le plus rapidement possible. Selon la doctrine précédente, le temps jouait en faveur d’un rattachement jugé inéluctable, et il n’y avait aucune raison de précipiter l’affaire.
Dans l’île, les habitants ont tiré les leçons de la mise au pas de Hongkong. Ils en ont conclu que la formule « un pays, deux systèmes » prétendant assurer leur autonomie démocratique n’était qu’un slogan destiné à leur faire avaler la pilule d’une centralisation à outrance. Cela a d’ailleurs permis à Mme Tsai Ing-wen, au bilan social contesté, de se faire réélire triomphalement présidente en janvier 2020. Ce qui a encore amplifié les appréhensions de Pékin.
Aux États-Unis, la frénésie antichinoise et l’importance géostratégique de l’île poussent les dirigeants à sortir de la politique de reconnaissance d’« une seule Chine », en vigueur depuis 1979 (8). Un mois après la visite de Mme Nancy Pelosi à Taipei, l’administration Biden a annoncé une livraison d’armes d’un montant de 1,1 milliard de dollars. Le président lui-même a déclaré que « les États-Unis défendraient l’île (9) » en cas d’invasion — ce qui est perçu comme une incitation à déclarer l’indépendance. Dans la foulée, la commission des affaires étrangères du Sénat, composée d’élus démocrates et républicains, a adopté, le 14 septembre dernier, une nouvelle loi sur la politique pour Taïwan (Taiwan Policy Act). Elle comporte des mesures mettant en cause le statu quo, parmi lesquelles l’intégration de l’île en tant qu’« allié majeur non membre » de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) (10) au même titre que le Japon, l’Australie ou la Corée du Sud, et l’octroi d’une aide militaire de 4,5 milliards de dollars en quatre ans. Certes, la loi doit être adoptée en séance plénière au Sénat, puis à la Chambre des représentants, avant sa promulgation par M. Biden. Mais, sur cette question, démocrates et républicains sont sur la même longueur d’onde, et la peur sécuritaire des dirigeants chinois en est décuplée. Or la peur est rarement bonne conseillère.
Tout cela conforte M. Xi dans sa volonté de se tourner vers le monde non occidental et singulièrement l’Asie. S’il n’a pas réussi à contenir la puissance militaire et stratégique de Washington dans la région, il est parvenu à y consolider ses liens via le partenariat économique régional global (PERG), le plus grand accord de libre-échange jamais conclu, avec les pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Anase, plus connu sous son acronyme anglais Asean), l’Australie, la Corée du Sud, le Japon et la Nouvelle-Zélande. « En 2012, les États-Unis étaient le plus grand marché pour les produits chinois », note David Dollar ; dorénavant, ils sont supplantés par les pays du PERG. Cette interdépendance économique amène la plupart des dirigeants de l’Anase à refuser de choisir entre Washington et Pékin, malgré les pressions de chaque camp.
Débats inattendus
La Chine pousse également ses pions du côté de l’Asie centrale. Pour sa première visite à l’étranger depuis deux ans et demi, le président Xi s’est rendu au Kazakhstan puis en Ouzbékistan, dans la ville mythique de Samarkand, où se tenait, début septembre, le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghaï (OCS). Celle-ci a pour particularité de réunir quatre des cinq républiques centrasiatiques (Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Tadjikistan), la Russie, la Chine, l’Inde, le Pakistan, membres de plein droit, auxquels se joignent les observateurs : Azerbaïdjan, Arménie, Cambodge, Népal, Sri Lanka, Mongolie, Turquie (membre de l’OTAN), Égypte, Qatar, Arabie saoudite et Iran, qui a demandé son adhésion.
Les dirigeants chinois citent souvent ce groupe de Shanghaï comme modèle de leur conception d’un nouvel ordre international, sans domination occidentale, où des pays s’opposant sur certains sujets parfois vitaux (l’Inde avec le Pakistan sur le Cachemire, ou l’Iran et l’Arabie saoudite…) peuvent travailler ensemble sur d’autres, ou en tout cas dialoguer.
Le sommet de septembre a surtout été marqué par la guerre russe en Ukraine et les rencontres bilatérales entre M. Vladimir Poutine et le président chinois d’une part, le premier ministre indien d’autre part. Peu de choses ont filtré, si ce n’est que le président russe a déclaré à M. Xi : « Nous apprécions fortement la position équilibrée de nos amis chinois quant à la crise ukrainienne (…). Nous comprenons vos questions et vos inquiétudes à propos de la guerre (11). » On n’a pas de précision sur les « inquiétudes chinoises » — la presse de Pékin étant restée silencieuse. On sait, en revanche, que le premier ministre indien, M. Narendra Modi, a clairement assuré que « l’heure n’est pas à la guerre », et reçu à peu près la même réponse : « Je connais vos inquiétudes. »
En fait, l’invasion de l’Ukraine contredit l’inviolabilité de la souveraineté nationale à laquelle la Chine est attachée. M. Wang Wenbin, porte-parole du ministère des affaires étrangères, a redit, en marge de l’assemblée générale de l’Organisation des Nations unies, que Pékin « appelle les deux parties à cesser le feu et à négocier (12) ». D’autant que la guerre perturbe les projets du président Xi de valorisation d’un monde multipolaire reconnaissant la puissance de l’empire du Milieu. Pékin ne veut pas s’aliéner totalement l’Occident ni laisser les États-Unis et leurs alliés écraser économiquement et diplomatiquement la Russie, qui s’oppose à l’ordre américain. L’équilibre est difficile à tenir.
Celui-ci est en tout cas fort discuté dans les rangs du PCC, où des personnalités de premier plan ont ouvertement contesté les choix actuels (13), tel que Hu Wei, vice-président du Centre de recherche sur les politiques publiques du Bureau du Conseil d’État, Gao Yusheng, diplomate et ancien ambassadeur en Ukraine, ou encore Sun Liping, ex-professeur à l’université Tsinghua (Pékin).
Les critiques ne se limitent pas aux relations sino-russes. Elles touchent, de plus en plus ouvertement, tous les aspects de la vie sociale. La répression et la censure, qui se sont renforcées, ne suffisent pas à les étouffer, comme l’explique Sun Liping dans un texte délicieusement intitulé « Pourquoi les moutons ne veulent pas être attachés » (14) : ils « ne veulent pas nécessairement faire quelque chose de mal (…). Mais il suffit de voir à quel point un mouton est heureux quand il est délié, comment il s’enfuit, et vous comprendrez à quel point les moutons n’aiment pas être attachés ». Reste à savoir si les délégués au XXe Congrès se montreront de bons bergers !
lundi
24 octobre 2022
La cérémonie de clôture du
Les commentaires récents