• Nos richesses, de Kaouther Adimi, Seuil, 216 p., 17 €
La première voix entendue dans ce beau roman est celle de la romancière dans l’Alger de 2017, ville où, dit-elle, « on se balade, le cœur serré… Des siècles que le soleil se lève sur les terrasses d’Alger et des siècles que nous assassinons sur ces mêmes terrasses. »
Guidant le narrateur vers une des rues où un homme, au siècle dernier, rêva de réunir dans une petite boutique toutes les voix de la Méditerranée, elle parvient à mêler récit d’une aventure dans la vie réelle, celle d’Edmond Charlot, et construction imaginaire autour d’un jeune Algérien de 20 ans aujourd’hui.
Étudiant à Paris, Ryad revient dans sa ville natale et y obtient un petit boulot temporaire. Il doit repeindre, 2 bis rue Charras, une librairie désaffectée, « Les vraies richesses », qui sera désormais un magasin de beignets. Mais cette librairie a été à partir de 1935 un foyer rayonnant de littérature.
Comme Sylvia Beach et Adrienne Monnier rue de l’Odéon à Paris, Edmond Charlot, sans argent, riche seulement de culture et d’ardeur inventive, parvient à réaliser son rêve : être à la fois libraire, bibliothécaire et éditeur dans la grande tradition du XIXe siècle. Vendre les livres, les faire circuler grâce à sa bibliothèque de prêt et surtout découvrir des écrivains.
Le premier texte publié est celui d’un jeune inconnu, Albert Camus. Vont suivre Emmanuel Roblès, Kateb Yacine, André Gide, Henri Bosco, Vercors, Mohammed Dib… La librairie, qui doit son nom au roman de Giono (auteur, lui aussi, de la maison) est durant la Seconde Guerre mondiale un creuset de résistance et d’ouverture à tous les vents nouveaux de la Méditerranée.
Kaouther Adami entrelace le récit des difficultés matérielles auxquelles se heurte Charlot et l’autre fil narratif : les retrouvailles de Ryad avec une ville accablée par le chômage, le souvenir des décennies sanglantes, la pauvreté et sa lente découverte de la littérature.
Ryad n’aimait pas lire. Les livres jusqu’alors avaient fait monter en lui une angoisse certaine. Mais la nécessité de trier ce qui doit être conservé des papiers, lettres, ouvrages, documents, photos, témoins d’un monde disparu, le conduit jusqu’à l’écriture, seule peut-être capable d’exprimer le tragique et la beauté de son pays natal.
« Tout est toujours tragique en Algérie », avait-il dit à la jeune femme qu’il aime avant de quitter Paris. Et ce tragique muet est incarné par le vieil Abdallah, jadis employé de la librairie, demeuré dans le local désaffecté, vide désormais, prêt à y mourir comme le vieux domestique dans La Cerisaie. La fin d’un monde.
Francine de Martinoir, le 19/10/2017 à 06:21
https://www.la-croix.com/Culture/Livres-et-idees/richesses-Kaouther-Adimi-2017-10-19-1200885454
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