Il a passé plus de trente ans dans l’armée algérienne, mais il est plutôt petit, délicat et doté d’un sourire presque enfantin. Nous nous rencontrons à Paris, alors qu’il vient d’arriver d’Espagne et repart pour l’Algérie.

Il est à la fois heureux et anxieux de présenter Les Vertueux, un roman-monde qui lui a demandé trois ans de travail : l’histoire de Yacine, un berger envoyé à la guerre de 1914-1918, dont le retour au pays va être plus que douloureux.

« Ce n’est pas seulement l’histoire de Yacine, c’est celle de l’Algérie », glisse l’écrivain en précisant que Yacine est un personnage inventé : « Je mets toujours la fiction au service d’une possible réalité. » Autrement dit, le vraisemblable de l’écrivain a pour vocation de devenir vérité du lecteur. Pour façonner cette vérité, l’auteur a mis beaucoup de lui-même dans cette fresque ambitieuse.

L’enfance brisée lorsque son père répudie sa mère

Comme son personnage, Yasmina Khadra, né Mohammed Moulessehoul, a vu le jour au Sahara, « un paradis au fin fond de l’enfer ». Ce 10 janvier 1955, il vient prolonger une prestigieuse lignée de guerriers érudits – Moulessehoul signifiant « seigneur des plaines ». Le père engagé dans l’armée de libération nationale en 1956, blessé en 1958, est muté à Oran où sa famille le suit.

L’enfance de ce petit prince du désert se brise lorsque son père répudie sa mère, l’abandonnant avec leurs sept enfants. « Il avait fait de moi le soleil de sa vie, puis m’en a chassé. » Cette blessure l’a rendu pour toujours féministe, son admiration s’étant portée tout entière sur sa mère : « Ce qu’elle a fait pour nous, aucun homme n’en aurait été capable. J’ai eu la chance d’être l’aîné et donc investi d’une responsabilité qui m’empêchait de m’apitoyer sur mon sort. »

À 9 ans, il est envoyé dans une école militaire à Tlemcen. « L’armée instruit sur le facteur humain, elle est fantastique pour un écrivain. Très tôt, j’ai partagé ma chambrée avec 80 personnes. J’ai eu accès à tous les esprits, rebelles, braves, lâches… J’y ai forgé ma philosophie : la vie est une expérience parfois douloureuse parfois heureuse, qui nous met à l’épreuve pour que nous sachions quel individu nous sommes. Haïr est une perte de temps. Il faut accepter et continuer son chemin. »

Camus lui ouvre la voie de la littérature

Le parcours de son héros, Yacine, est lui aussi semé d’embûches. Et tous les deux peuvent se placer sous l’égide de la citation d’Omar Khayyam que le jeune Mohammed avait notée dans son carnet d’écolier : « Si tu veux t’acheminer vers la paix définitive, souris au destin qui te frappe, et ne frappe personne. »

La lecture est l’échappatoire du pensionnaire : Moby Dick, la Comtesse de Ségur, et Camus, qui lui ouvre la voie de la littérature. « J’écrivais des poèmes en arabe, mais mes professeurs d’arabe ne m’encourageaient pas. C’est mon professeur de français qui m’a soutenu. Alors j’ai travaillé sa langue et j’ai découvert qu’elle était aussi belle que l’arabe. » Il écrira tous ses romans en français.

Devenu officier et écrivain, le jeune homme se marie avec Yasmina Khadra Amel, la fille d’un ami de son père. Elle devient le pilier de sa vie. Leurs enfants naissent au cours des terribles années 1990 durant lesquelles il combat les factions islamistes. L’armée cherchant à imposer une censure militaire à ses écrits, il lui échappe en prenant divers pseudonymes, le dernier deviendra son nom pour la postérité : Yasmina Khadra, en hommage à son épouse à laquelle il dit tout devoir. « Lorsque j’ai pris ce pseudo, en pleine guerre, je n’étais pas sûr de survivre. Mais finalement, il me charge d’une mission : aider les machos à devenir plus raisonnables. J’espère avoir fait avancer la cause des femmes arabes. »

Porté par sa foi

Au début des années 2000, il s’installe à Paris avec son épouse et leurs trois enfants. À 45 ans, il a pris sa retraite de l’armée algérienne. Il bâtit une carrière littéraire impressionnante, notamment grâce à sa trilogie destinée à faire connaître l’Orient aux Occidentaux : LesHirondelles de KaboulL’AttentatLes Sirènes de Bagdad.

Traduit dans le monde entier, il connaît un grand succès en Angleterre et aux États-Unis, et voit la plupart de ses romans adaptés au cinéma. Aujourd’hui, il se partage entre Paris, Alicante en Espagne et Oran, une « escale de quiétude » où il retrouve sa famille, ses amis et où il espère vieillir.

Depuis toujours, le romancier est porté par sa foi : « J’ai besoin de savoir que je ne suis pas seul et d’avoir vers qui me tourner lorsque tout me dépasse. Jusqu’à il y a quatre ans, je n’ai jamais eu peur. Puis ma mère est morte et désormais, j’ai peur de tout» Il dit avoir pensé à sa mère à chaque page en écrivant ce livre et avoir ressenti l’effet thérapeutique de son roman : « C’est un livre qui apaise, je crois même que ce livre m’a guéri. Et au lecteur, j’espère offrir un superbe voyage»

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Les vicissitudes de l’histoire d’Algérie

Les Vertueux, de Yasmina Khadra

Mialet-Barrault, 542 p., 21 €

Yacine est un berger du sud de l’Algérie, issu d’une famille pauvre. Au début de la guerre de 1914, il est convoqué par son caïd qui lui propose un terrible marché : partir faire la guerre au nom de son fils qui vient d’être réformé. En échange, il lui promet d’offrir une ferme à sa famille et de la protéger. Les quatre années de guerre en France sont racontées avec une maestria exceptionnelle. « Les guerres n’ont pas changé, elles sont les mêmes avec leur absurdité », explique l’auteur qui a longtemps combattu dans l’armée algérienne. À son retour, Yacine espère retrouver sa famille prospère. Hélas, le caïd ne sait que tromper, trahir, asservir, et le jeune combattant va devoir affronter les pires épreuves pour rester en vie. Son épopée passionnante épouse toutes les vicissitudes de l’histoire de l’Algérie. On s’attend à une histoire de vengeance à la Monte-Cristo, c’est au contraire un chemin lumineux qui s’ouvre vers la sagesse et la paix.

 

 

  • Stéphanie Janicot, 

https://www.la-croix.com/Culture/Yasmina-Khadra-recherche-sagesse-2022-08-27-1201230483

 

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