L'amour au temps des scélérats - Roman d'Anouar Benmalek. Casbah Editions, Alger 2022, 446 pages, 1 200 dinars
Un roman d'aventures avec pour fond les atrocités permanentes qui dévastent un pays martyr, aux racines séculaires. Un roman qui se déroule à la frontière turco- syrienne dans les années 2010 en des lieux improbables. La guerre civile et le terrorisme islamiste dévastent et ravagent le pays, semant désolation, peur, mort. Une flopée de personnages que tout sépare, oppose, vont se croiser, se rencontrer. C'est foisonnant, tout à la fois tragique, cocasse, persifleur, violent. Pour pouvoir supporter les horreurs de cette tyrannie meurtrière, celles-ci sont noyées sous des vagues d'amour, d'un zeste de magie et de beaucoup de suspense.
On a d'abord l'amour maternel d'une mère, Zayélé pour ses fils Reben et Aran, qu'elle souhaite sauver quel qu'en soit le coût. Membres d'une minorité confessionnelle millénaire, de tout temps pourchassée, celle des yézidis, ils doivent échapper au génocide lancé par Daech. À l'amour fraternel de l'aîné pour protéger son cadet dans les pires circonstances, se greffe un profond amour filial. On a aussi l'amour ou la passion entre deux êtres, celui entre Houda, chanteuse, et son amant Yassir, qui ont fui pour échapper à la vindicte d'une famille, qui ont été remis ( par le père de la jeune fille lui-même) aux mains des djihadistes pour être lapidés. On a le coup de foudre d'Adams -un Indien américain- pour Zayélé. Il se révèlera avec Ferhat, son copain kurde, d'une grande efficacité pour aider cette mère éplorée et désespérée, à la recherche de ses fils aux mains d'assassins fanatiques. Et, enfin, il faut ajouter Tammouz, épris de Houda et à la recherche d'une tablette sumérienne. Ce personnage énigmatique, ambigu, à la fois prophète et diable, aux pouvoirs extraordinaires (il dit errer à travers des siècles de haines et de terreurs pour apporter des visions historiques, philosophiques et religieuses sur le Monde) permet à Houda d'épanouir sa voix jusqu'à la propulser diva de la chanson orientale sous le nom d'Innana. Ah, ne pas publier la présence des chats.....ceux-ci très différents, qui se révoltent, sanguinaires, toutes griffes dehors, véritables sauveteurs, auteurs d'une scène d'anthologie, aux ordres de Tammouz.
L'Auteur : Il est né à Casablanca le 16 janvier 1956. Poète, romancier, essayiste, enseignant universitaire (mathématicien) , journaliste (Algérie Actualités) , l'auteur est un grand amoureux des voyages, ayant vécu cinq ans en Ukraine du temps de l'Urss. Il a publié de grands reportages au Liban et en Syrie. Il a pris le chemin de l'exil avec le début de la décennie rouge. Grand dénonciateur de la torture, il a été Sg du Comité national contre la torture après les événements d'Octobre 88. Plusieurs fois récompensé, auteur d'un grand nombre d'ouvrages. Des romans (dont « Ô Maria » en 2006, « L'Amour Loup » en 2014, « Chroniques de l'Algérie amère » en 2011.....), de la poésie (en 1984 et 2005), des nouvelles....
Extraits : « Des prophètes, il y en a, à foison, dans cette région de soifs ardentes et d'oasis miraculeuses :barbus hirsutes, squelettiques pour la plupart, bavant tandis qu'ils déclament leurs sermons enflammés sur l'Apocalypse prochaine » (p 96), « De toutes les inventions insolites déversées par le Patron sur le monde d'ici-bas, le sexe reste l'une des rares que le Marcheur envie aux humains- avec celle de la certitude de la mort. Inconnu dans le royaume du Haut, le fugace secouement de l'orgasme se révèle, l'espace d'une inspiration-expiration de plaisir, l'égal d'une implosion d'éternité, allégée cependant de la part sinistre de la véritable infinitude » (p112), « Dieu a eu le choix de créer n'importe quel univers. Il aurait pu concevoir un univers bienveillant (....).C'était tellement facile pour Lui, Il en avait les moyens puisqu'Il est le Tout-Puisant. Mais Il s'est décidé justement pour cet univers de folie ; peaufinat les moindres détails afin de le rendre le plus terrifiant posible » (pp 303-304), « Personne n'a intérêt à se mêler d'un vrai chagrin, celui-ci est semblable à la boue gluante des sables mouvants, il enlaidit et tente d'engloutir tout ce qui s'y frotte » (p368),
Avis : Le titre qui semble emprunté pour partie à Gabriel García Márquez (L'Amour aux temps du choléra) est un bel hommage à l'écrivain colombien. Anouar Benmalek ne changera donc jamais, tant dans son écriture, que dans le choix des thèmes et des publics ciblés. Force et profondeur remarquables, universalité et ouverture sur le monde...... une plume plus qu'habile et acérée mais à lire avec attention pour suivre le déroulé ... des récits qui se croisent...... une plume alerte et remplie d'imagination, tragique mais aussi drôle, parfaitement ancrée dans la réalité.
Citations : «La terreur ultime balaie tout : courage, dignité, contrôle des sphincters..» (p29), «Les enfants, c'est comme l'oxygène (...), ce n'est que quand il te fait défaut que tu t'aperçois qu'il est vital «(p48),«Rien ne plaît autant à un humain que de le persuader qu'il est plus intelligent que son interlocuteur » (p124),«Si tu invites le loup chez toi, il ne se contentera pas de dévorer les enfants des autres, il croquera aussi les tiens !» (p272), «Quand on a goûté à la torture de ses semblables, on est comme un lion qui a goûté à la chair humaine, on en redemande» (p373), «On finit par s'habituer à un malheur quand il est interminable»(p 440)
Fils du Shéol - Roman de Anouar Benmalek. Casbah Editions, Alger 2015, 409 pages, 950 dinars (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel)
C'est l'histoire du jeune Karl, Allemand, embarqué dans un fourgon à bestiaux à destination des usines de mort nazies, installées en Pologne. Parce que Juif ! Il est gazé comme des millions d'autres. Il est « condamné » , depuis l' « étrange séjour des morts », le « Shéol », à regarder vivre, souffrir et mourir les siens : Son père, devenu Sonderkommando (chargé de l'incinération des prisonniers) ; sa mère , Elisa, fille d'Alger, amoureuse folle de la musique andalouse, le « paradis perdu » des Arabes et des Juifs, lumineuse et grande battante, elle aussi, gazée dans le même camp parce que juive ; le papy (« heureusement » décédé de mort naturelle mais enterré à la va-vite).
Lui, c'est Ludwig qui, un siècle auparavant, a servi dans l'armée allemande du Sud-Ouest africain (actuelle Namibie, totalement colonisée , martyrisée, massacrée, avec des centres de « concentration » identiques ou pires, à ceux des descendants nazis ) et qui était resté « possédé » par le continent noir, en raison d'un immense amour (le pire des crimes !) pour une « indigène », Hitjeverwe, qui allait lui donner un enfant, lui aussi mort sous les coups des occupants .....
L'enfant, Karl, et tous les autres, chacun dans son univers, remontent le temps, essayant vainement, tant la réalité est effroyablement et incroyablement vraie - de comprendre l'évolution du mal à travers le massacre, par un même pays, de deux populations : les Héreros de Namibie et, plus tard, les Juifs. Et, aussi, de revivre, ne serait-ce que mentalement, le temps passé avec ses joies et , surtout ses peines, ses succès et surtout ses ratages, ses espoirs et surtout ses regrets.
L'Auteur : Voir plus haut
Avis : Ça ne se lit pas, ça s'ingurgite. Pour moi, un chef d'œuvre et, déjà, le livre de l'année. Une histoire lointaine, qui remonte à bien longtemps, mais une histoire qui concerne toute l'humanité.....Une humanité qui bascule, toujours, si facilement, dans l'inhumanité et l'horreur. L'histoire bégaie : Avant-hier , les Héreros de Namibie, hier les Juifs ! Aujourd'hui, les Palestiniens et les Sahraouis....A qui le tour?
Interdit de lire aux moins de dix-huit ans, tant l'horreur de l'inhumanité prussienne puis nazie, est décrite avec force détails et vous noue les tripes, avec une envie monstre de vomir. On aurait aimé tellement voir l'auteur, ou un autre, écrire un livre de même qualité sur les méfaits du colonialisme français en Algérie.
Citations : «Vivre est un privilège dont il ne faut pas trop abuser» (p 73), «La vie comme les bouteilles, ça se vide rapidement» (p 99), «La honte née de l'acceptation de la lâcheté était un mal «facilement» supportable au regard des conséquences (...) occasionnées par son refus» (p 253), «Il n'y a rien de plus sale que la mort. La mort, oui, c'est la saleté suprême. Par rapport à elle, tout est beau, même la pire des laideurs» (p 275), «Que les femmes sont bêtes ! Même au sein du malheur, elles s'arrangent pour se créer encore plus de malheur» ( 368), «Les noms étaient des crochets douloureux inventés par les hommes pour persuader les nouveaux venus sur terre qu'ils sont uniques et que leur vie vaut d'être vécue» (p 381)
par Belkacem Ahcene-Djaballah
Jeudi 11 aout 2022
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5314375
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