Michèle, une modeste employée de la RATP, alors mère de trois filles mineures, trois gamines abandonnées par un père indigne qui refusait de les reconnaître, se tenait debout et tremblante devant le juge d’instruction.
– Mais, Monsieur le juge, je ne suis pas coupable ! C’est votre loi qui est coupable !
Le juge lui ordonna de se taire sous peine d’une deuxième inculpation pour outrage à magistrat. Non mais, une femme qui ose élever le ton, voire à vouloir confondre l’autorité masculine. Voyez-vous ça !!!
Le procès de Bobigny, d’octobre et novembre 1970, dans lequel furent impliquées Michèle et trois autres femmes, toutes de même conditions sociales modestes, pour avoir pratiqué une interruption illégale de grossesse sur une mineure, deviendra quatre ans plus tard par son extraordinaire retentissement et les controverses plus tonitruantes les unes que les autres, à l’origine de la loi Veil, une loi qui dépénalise l’interruption volontaire de grossesse, l’IVG.
La genèse de ce bouleversant procès se distinguait alors par la condition féminine de l’époque, une condition qui maintenait les femmes dans une posture subalterne au regard du rang social de l’homme, même dans cette société française et occidentale que l’on prétendait émancipée et évoluée.
Violée par un jeune homme, Marie-Claire alors âgée d’à peine 16 ans et fille de Michèle, tomba enceinte et demanda à sa maman de l’aider, car elle refusait de porter le fruit d’un crime impuni, le fruit du mépris et de la déchéance humaine, le fruit d’une agression, d’un outrage et de la profanation de son corps, de son être, de son âme de jeune fille.
N’ayant pas les moyens financiers pour payer les services d’un gynécologue, Michèle, la maman de Marie Claire fit appel, en désespoir de cause, à d’autres femmes qui l’aidèrent à recourir à la pratique clandestine pour interrompre la grossesse de sa fille.
C’est ainsi que l’honorable défunte Maître Gisèle Halimi accepta de défendre cette cause, elle qui fut l’auteure du livre retraçant l’histoire de Djamila Boupacha, une militante algérienne violée et torturée par l’armée française durant la guerre d’Algérie.
La loi sur l’IVG, dite loi Veil, a certes ébranlé et rétrogradé les esprits machistes de l’époque, bousculant sans ménagement l’hégémonie d’un puritanisme clérical et politico-religieux conservateur, ancré dans la société française de ces années là.
Néanmoins, sans être la seule d’ailleurs, cette loi rétablissait quelque peu, au fil des ans, le droit à la liberté, le droit à la dignité, le droit à l’égalité des statuts de la femme et de l’homme, trop longtemps et tant cruellement bafoués sur l’autel de la bien-pensance morale ou éthique des censeurs religieux, des tenants de l’hypocrisie et de la misogynie pudibonde.
Et oui, il aura fallu qu’une femme du nom de Simone Veil, une femme digne et honorable qui, dans son adolescence fut arrachée à son innocence et à sa liberté pour être déportée et jetée aux gémonies inhumaines des camps de la mort, mais que j’aime à penser que Dieu l’a sauvée pour qu’elle puisse, un jour, affronter avec ténacité et détermination la trop virile Assemblée nationale, cette cohorte masculine qui interdisait aux femmes le port du pantalon dans l’hémicycle.
Cependant, en marge du grand mérite et de l’hommage national que la France a rendu, d’un seul élan, à Madame Simone Veil, décédée à quelques heures du shabbat du vendredi 30 juin 2017, les réseaux sociaux se sont vite enflammés, avec juste réprobation, en réaction à des tweets irrespectueux, intolérables et inadmissibles.
Mais ce qui me gênait davantage, ce fut le silence des organisations, ou institutions prétendument représentatives des musulmans de France, qui n’avaient officiellement pas exprimé leurs condoléances, à l’occasion du décès de Madame Simone Veil.
Ce qui dénote, à mon sens, une absence de reconnaissance de l’image républicaine et morale qu’incarnait Madame Simone Veil, une réelle désapprobation, voire un mépris, sans doute pas à l’égard de la personne même de la Ministre défunte, mais probablement par esprit sous-jacent et implicite de rejet de cette fameuse loi libératrice des femmes.
Si telle fut leur attitude, au regard de ma déception, je leur répondais ceci, tout comme je l’ai commenté ailleurs :
“Avez-vous seulement connaissance du nombre d’enfants abandonnés, nés hors mariages et que personne ne veut adopter, dans les pays dits musulmans, ces pays dans lesquels, par tradition ou culture sociétale, la femme est réduite au rang subalterne par rapport à l’homme, au nom d’un Islam dévoyé de sa substance originelle ? Des dizaines de milliers, chaque année !!!
Mesurez-vous la détresse de ces milliers de femmes musulmanes séduites, passionnées puis délaissées et rejetées, dès lors qu’elles tombaient enceintes, alors qu’elles fondaient naïvement un espoir de bâtir leur foyer conjugal ?
Vous êtes-vous introduits dans la peau d’un nouveau né qui se découvre sans mère, sans père ni famille, tel un morceau de viande que personne ne voudrait accueillir ? Pensez-donc, dans les années 80 à Alger, 50 % des nourrissons abandonnés en milieu hospitalier se suicidaient avant même d’atteindre l’âge de trois mois !!! Et ça m’étonnerait fort que ce phénomène cruel ait disparu de nos jours.”
Tous ces enfants sans mères ni familles demeurent les témoins de la lâcheté des hommes, du refus des hommes à admettre et reconnaître respectueusement leur égalité absolue avec les femmes, et la liberté de droit divin que les femmes sont en exigence à réclamer.
Alors, en Hommage à Madame Simone Veil, je redis ceci : “Merci Madame la Ministre pour votre oeuvre de Justice Humaine et Républicaine.”
Mohammed Guerroumi
Musulman rationaliste, engagé et laïc, nommé en 2016 Délégué régional à l’instance nationale de dialogue avec l’islam, Mohammed Guerroumi est très impliqué dans le dialogue interreligieux. Auteur à Causeur, il est un des Signataires du “Manifeste contre le nouvel antisémitisme“.
3 juillet 2022
https://www.tribunejuive.info/2022/07/03/mohammed-guerroumi-merci-madame-simone-veil-pour-votre-oeuvre-de-justice-humaine-et-republicaine/
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