Il y a cent ans, naissait Marcel Manville à Trinité en Martinique. Cet avocat, ami de Frantz Fanon et fondateur du MRAP, a lutté contre le racisme et le colonialisme. Il a défendu des Palestiniens, des Antillais, des indépendantistes algériens et bien d’autres encore.
Le 18 juillet 1922, il y a cent ans, une personnalité hors norme naissait à la Martinique : Marcel Manville, seul garçon d’une fratrie de neuf enfants. Son père Marius Manville, bijoutier de formation, était secrétaire général de la mairie de Trinité ainsi que conseiller général socialiste du canton. Décédé très jeune, il a laissé derrière lui une famille en grande difficulté. La grande sœur institutrice de Marcel Manville a dû aider sa mère à élever toute la fratrie.
Rencontre avec Frantz Fanon
Marcel Manville a étudié au lycée Schœlcher où enseignait Aimé Césaire. Et c’est sur les bancs de ce célèbre établissement qu’il a rencontré Frantz Fanon, futur psychiatre et auteur de Peau noire, masques blancs. En 1943, à 21 ans, il a décidé de s’engager dans l'armée de résistance avec son ami Frantz Fanon. Tous les deux sont alors partis au Maroc et ont participé au débarquement en Provence en août 1944. Après-guerre, Marcel Manville a suivi des études accélérées de droit à Paris. "A cette époque, Frantz Fanon et Marcel Manville qui s’étaient battus pour la mère-patrie ont eu l’impression d’être considérés comme des Français de seconde zone. Et c’est à ce moment-là qu’ils sont devenus révolutionnaires", raconte George Pau-Langevin qui a travaillé pendant trois ans aux côtés de Marcel Manville dans son cabinet d’avocat dans les années 70.
Marcel Manville a pris la décision d’adhérer au Parti communiste français, puis en 1949 avec Albert Lévy, il a fondé le MRAP, le Mouvement contre le Racisme et pour l'Amitié entre les Peuples. En tant qu’avocat, il a été très investi dans l’affaire des 16 de Basse-Pointe considérée comme le premier procès du colonialisme français aux Antilles. Le 6 septembre 1948, lors d’une grève, un administrateur blanc créole Guy Fabrique Saint-Tours était assassiné. Seize coupeurs de canne ont été accusés de ce meurtre. Emprisonnés en Martinique pendant trois ans, ils ont été jugés en 1951 à Bordeaux et ont tous été acquittés, faute de preuves. Pour leur défense, le PC ainsi que le MRAP leur avaient trouvé 11 avocats dont Marcel Manville. Le procès a été très médiatisé.
Attentat de l'OAS
En 1955, avec son ami Frantz Fanon, Marcel Manville s’est engagé en faveur de l’indépendance de l’Algérie et il est devenu l’un des avocats des indépendantistes. En 1961, l’OAS (l’Organisation de l’armée secrète) a tenté d’assassiner l’avocat en plastiquant son domicile parisien . "Je sais que j’avais été envoyé chez mes grands-parents, rapporte son fils Yves Manville qui n’avait alors que deux ans, car mes parents recevaient des menaces de l’OAS. (…) Ma mère a vu la bombe fumante sur le palier et elle savait comment agir. La technique, c’était de tout ouvrir. Trois maquisardes algériennes qui sortaient de prison se trouvaient là. Elles ont ouvert les fenêtres et se sont mises à plat ventre. Le tiroir de la porte d’entrée a été retrouvé dans l’école d’en face. Le palier s’est effondré, mais heureusement, personne n’a été ni tué ni blessé", précise encore Yves Manville. Marcel Manville, lui, n’était pas à son domicile au 19 rue Vernier à Paris ce jour-là.
De 1960 à 1970, l’avocat, malgré les intimidations, n’a pas cessé de batailler pour défendre les indépendantistes algériens et a participé à de nombreux procès à Bône en 1955 ou à Constantine en 1957 en pleine guerre d’Algérie. Lors de ces passages, il retrouvait son compagnon d’arme Frantz Fanon. "C’était des procès très durs, raconte George Pau-Langevin. A cette période en Algérie, l’avocat venait plaider, et quand le tribunal condamnait à mort les inculpés, il devait assister à la peine". En 1960 avec Édouard Glissant, Marcel Manville a fondé le Front antillo-guyanais pour l’autonomie, dissous la même année par le Général de Gaulle. Ce qui lui a valu d’être longtemps interdit de séjour en Martinique.
Retour au pays natal
En tant qu’avocat du MRAP, Marcel Manville a défendu des Palestiniens, des membres des Black Panthers et de nombreux Antillais. George Pau-Langevin, l’ex-ministre des Outre-mer de François Hollande, se souvient des années qu’elle a passées comme stagiaire au cabinet de Marcel Manville. "C’était très folklorique. J’avais mon bureau dans la chambre de son fils, se souvient-elle. Son cabinet se trouvait à son domicile. Il défendait tous les révolutionnaires de la planète, mais il était aussi l’avocat des agents hospitaliers et des fonctionnaires modestes antillais".
En 1977, l’avocat a décidé de rentrer au pays natal, laissant à Paris sa femme et ses trois enfants. A son retour en Martinique, l’avocat a choisi de s’investir dans le Parti communiste martiniquais puis en 1984, il a fondé le PKLS (Parti Communiste pour l’indépendance de la Martinique). "Il trouvait le PC pas assez révolutionnaire donc il a créé un parti à gauche du PC pour créer les conditions de l’indépendance de la Martinique", précise George Pau-Langevin.
Procès contre Christophe Colomb
A partir de 1982, Marcel Manville a consacré beaucoup de temps et d’énergie à défendre et faire connaître l’œuvre de son ami Frantz Fanon en créant et en présidant le cercle Frantz Fanon. Dix ans plus tard, l’avocat a organisé un procès intenté à Christophe Colomb au palais de justice de Fort-de-France. Précurseur de la loi Taubira de 2001 qu’il considérait "positive mais insuffisante", il a fait partie des avocats chargés d’instruire une requête devant l’ONU tendant à la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité. Marcel Manville s’est aussi battu pour qu’Haïti qui pendant longtemps a dû verser des indemnités à la France en compensation de l’expropriation des propriétaires esclavagistes lors de l’indépendance soit dédommagé.
Marcel Manville est mort d’une crise cardiaque au palais de Justice de Paris le 2 décembre 1998. Il allait plaider contre le préfet Papon en mémoire des victimes algériennes du massacre d’octobre 1961 à Paris. Pour son fils Yves, "il a eu une belle mort, car il disait souvent : "Défendre à la barre jusqu’à la dernière minute, tel est mon objectif". Son enterrement à Trinité le 12 décembre 1998 s’est déroulé en présence d’Aimé Césaire et de la quasi-totalité du barreau de la Martinique et de délégations de la Guadeloupe, d’Haïti, d’Algérie et de Palestine. "C’était très impressionnant", se souvient son fils. Plein d’admiration pour son père, Yves Manville est diplomate. Il a été en poste notamment en Iran, en Afghanistan et aujourd’hui au Pakistan pour représenter la France. Même s’il n’a pas épousé tout à fait les mêmes idées que son père, le diplomate estime que Marcel Manville a mené de très justes combats.
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