La guerre a commencé depuis quatre ans quand Charles de Gaulle est porté au pouvoir par les réseaux de la mouvance Algérie française. Selon plusieurs manuels scolaires français, le Général est alors « hésitant » au sujet de l’indépendance algérienne. Pourtant, sa stratégie ne fait guère de doute. Pendant les dix-huit premiers mois de son mandat, de Gaulle cède sur les apparences pour préserver l’essentiel : la domination française.
Commencée dans une indifférence quasi générale en 1954, la guerre d’Algérie finit par miner le régime. Devant les piétinements de gouvernements de plus en plus discrédités, un homme, silencieux depuis quatre ans, attend son heure : le général Charles de Gaulle. En 1958, les réseaux plus ou moins occultes de la mouvance Algérie française, qu’il couvre de son autorité, s’agitent ; le 13 mai, profitant d’une nouvelle crise gouvernementale, ils participent au coup de force qui permet à de Gaulle de revenir au pouvoir. Si le héros de la Résistance préserve les apparences de la légalité, ce sont bel et bien les factieux qui lui permettent de reprendre les commandes de l’Etat.
Nombre d’historiens se sont interrogés pour connaître sa pensée profonde à ce moment-là : était-il favorable à l’Algérie française ou bien s’est-il servi de ses réseaux pour prendre la tête du pays et élaborer un plan de sortie de guerre ? En fait, durant les dix-huit premiers mois de son pouvoir, le Général fait tout pour détruire la résistance du Front de libération nationale (FLN). Simultanément, il lance un plan, d’une ampleur inédite, dit « de Constantine », de mise en valeur de l’Algérie au sein, évidemment, du système français. Son calcul consiste à céder sur certaines apparences – comme l’acceptation d’un vrai suffrage universel (une première, en Algérie) ou l’association de certains Algériens à la nouvelle politique (ce qui a pour effet de diviser le FLN) – afin de préserver l’essentiel. Cette politique porte un nom : le néocolonialisme. Elle a également une logique : elle ne peut être appliquée qu’avec un minimum de coopération des populations colonisées, ou tout au moins de leurs élites sociales et politiques.
Or de Gaulle n’a jamais pu obtenir ce minimum. Tous ses entretiens en Algérie, tous les rapports parviennent à la même conclusion : la France contrôle (difficilement) le terrain, mais la population, en campagne et en ville, lui échappe. La guerre, militairement gagnable, ne peut aboutir à une véritable solution politique. La clairvoyance de de Gaulle est d’accepter cette situation, bravant ainsi la colère de ses anciens soutiens. « La décolonisation est notre intérêt et, par conséquent, notre », explique-t-il en avril 1961.
La résistance, fondée sur une fierté nationale retrouvée, du peuple algérien (immigration en France incluse) constitue incontestablement la première cause de la défaite du colonialisme. Mais un autre facteur entre en jeu : l’opinion française. Après un temps inévitable de désarroi et d’incompréhension, elle prend progressivement conscience de l’inéluctabilité de l’accès de l’Algérie à l’indépendance, et l’accepte.
En France, les « porteurs de valises » fournissent des faux papiers aux agents du FLN.
Les premières manifestations, à l’automne 1955, sont, selon tous les témoins, maigrelettes. Progressivement, les partisans de la paix marquent des points, conquièrent des consciences et organisent la protestation, sous des formes publiques (manifestations, dont celle des Algériens d’octobre 1961, qui fit des centaines de morts, puis de Charonne en février 1962, qui fit huit morts) ou clandestines (action des « porteurs de valises », un réseau d’aide directe au FLN). Cette guerre est par ailleurs marquée par une intervention active des intellectuels de gauche, l’historien Pierre Vidal-Naquet, le philosophe Jean-Paul Sartre, le mathématicien Laurent Schwartz. Certains signeront la « Déclaration sur le droit à l’insoumission » – c’est-à-dire le droit de refuser de faire son service militaire en Algérie –, dit « Manifeste des 121 », en septembre 1960.
Le 18 mars 1962 sont signés les accords d’Evian. Le bilan est très lourd : des dizaines de milliers de morts et de blessés côté français, des centaines de milliers côté algérien, dont une immense majorité de civils.
Document
Dans un article publié en février 2001 par Le Monde diplomatique, Maurice T. Maschino analysait la manière dont le pouvoir politique fait obstacle au travail des historiens sur la guerre d’Algérie.
Septembre 1957 : composée de diverses personnalités et nommée par le gouvernement français sous la pression de l’opposition de gauche, la commission de sauvegarde des droits et des libertés individuelles constate, dans un rapport accablant, que la torture est une pratique courante en Algérie.
Décembre 2000 : devant l’émoi suscité par la publication, dans Le Monde, de nouveaux témoignages sur la torture, le premier ministre [Lionel Jospin] estime qu’il s’agit là de « dévoiements minoritaires ». Première contrevérité. Mais il n’est pas hostile, ajoute-t-il sans rire, à ce que les historiens fassent la lumière sur ces « dévoiements » : deuxième contrevérité. Contrairement à son engagement du 27 juillet 1997, et sauf dérogation durement arrachée, les archives les plus sensibles ne sont toujours pas consultables.
Alain Ruscio
https://www.monde-diplomatique.fr/publications/manuel_d_histoire_critique/a53272+.
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