Mabrouck Rachedi est journaliste et romancier. Il a entre autres publié Le Poids d'une âme, Le Petit Malik et plusieurs romans pour la jeunesse. Son nouveau roman Tous les mot qu'on ne s'est pas dits vient de paraître aux éditions Grasset. © collection personnelle
C’est en publiant, en 2006, son premier roman Le Poids d’une âme, un conte moral jubilatoire, que Mabrouck Rachedi s’est fait connaître. Son nouvel opus, Tous les mots qu’on ne s’est pas dits est une saga familiale inspirée de l’histoire de l’immigration algérienne en France, sur fond d’inexorable montée de l’extrême droite. À travers la quête identitaire de son héros, le romancier réussit à transmettre dans ces pages l’ambiance d’une époque, ses menaces et sa poésie.
Journaliste, animateur d’ateliers d’écriture, essayiste, romancier, nouvelliste, écrivain pour la jeunesse, le Franco-Algérien Mabrouk Raachedi est un homme aux nombreux talents. Auteur d’une dizaine d’ouvrages, il vient de publier son nouveau roman Tous les mots qu’on ne s’est pas dits, un récit autofictionnel, grave et tendre à la fois.
Pour Mabrouk Rachedi, l'écriture est un antidote contre le stress de la vie moderne. « Mes livres sont ma façon de poser ma voix dans le brouhaha du monde », aime-t-il à répéter. Et d'expliquer: « Je trouve qu'on est saturé aujourd'hui d'informations. On est enjoint parfois à réagir très vite aux événements. Écrire des romans permet d'être maître du tempo et de poser une voix apaisée par rapport à cette agitation. C’est pour ça aussi, à côté de mes activités journalistiques, que j’aime bien aussi prendre ce temps, ce temps où je suis maître des destins de mes personnages. C’est vraiment un moyen privilégié d’être en dehors du temps et en dehors de cette agitation. »
Désir d’écriture
La vie de Mabrouk Rachedi est un roman, riche en mutations et revirements. Né en France dans une famille d’origine algérienne, le futur romancier a grandi dans la banlieue de Paris, au sein d’une fratrie nombreuse. Sa vocation d’écrivain, il la doit à son père qui, tout en étant analphabète lui-même, poussait ses enfants vers la lecture et les études afin qu’ils soient, disait-il, « meilleurs que les Français ».
Pour le jeune Mabrouck, le chemin de la concrétisation du désir parental passait par la lecture des classiques, dont Le Père Goriot de Balzac. L’écrivain dit avoir été « ébloui par la langue et la puissance de la narration » du grand maître du roman français. « Cela m’a donné envie d’écrire », se souvient-il. L’ébauche de son premier roman date, en effet, de ces années d’adolescence, mais le désir d’écriture ne fera pas long feu face à la brûlante ambition de réussir socialement et professionnellement. Fils d'un manœuvre immigré, l’adolescent avait une revanche à prendre sur la société.
« Nous étions issus de couches sociales plutôt modestes et j'ai couru après ce que je n'avais pas : l'argent. Et je suis devenu analyste financier dans une société de Bourse. À un moment, la question du sens s'est posée pour moi. Oui, je gagne de l'argent. Et après? J’'ai donc convoqué l'adolescent qui sommeillait en moi et il m'a soufflé de poursuivre ce roman que j'avais commencé à écrire il y a des années de cela. C'est comme ça que je me suis lancé dans l'écriture du Poids d’une âme, mon premier roman. »
Récit initiatique
Cette « question du sens » est au cœur du nouveau roman de Mabrouck Rachedi, qui est à la fois une saga familiale inspirée de l'expérience d'immigration de la famille de l'auteur et un récit de quête identitaire. Cette quête est incarnée par le narrateur-personnage Malik, le fils cadet de la famille Arsaoui dont le roman raconte les aventures et le double littéraire de l’auteur. Tout comme l'auteur, Malik a, lui aussi, envoyé valser sa carrière lucrative dans le monde des finances afin de se consacrer à l’écriture.
L’intrigue de Tous les mots qu’on ne s’est pas dits est construite autour du personnage de la mère. Elle avait autrefois défié la tradition ancestrale afin d’épouser l’homme qu’elle aimait. Son mari Mohand qui est ouvrier à Paris depuis les années 1950, la fera venir à son tour en France, après la guerre d’indépendance algérienne. Ensemble, ils élèveront leurs dix enfants dans une ville de la grande banlieue parisienne, sur fond de montée inéluctable de l’extrême droite. Rien n’illustre mieux cette « lepénisation » des esprits dans la France des années 1980-90 que l’élection à la députation du fils du plus proche collègue de Mohand, sous les couleurs du Front national. Véritables frères d’âme, Gérard et Mohand militaient ensemble autrefois à la CGT et chantaient à tue-tête L’Internationale, parfois jusque tard dans la nuit !
Conteur hors pair, Rachedi livre avec Tous les mots qu’on ne s’est pas dits un récit poétique, souvent nostalgique, raconté dans un désordre narratif savamment organisé. La narration commence in media res. Mohand est mort depuis belle lurette. Ses enfants ont prospéré, se sont mariés et sont devenus parents à leur tour.
Le récit s’ouvre le 29 septembre 2005, une journée particulière. Les Arsaoui sont au grand complet, réunis autour de la matriarche de leur famille. « C'est une famille nombreuse qui, pour les 70 ans de la mère Fatima, décide de lui offrir un voyage en péniche, raconte l'auteur résumant les grandes lignes de son roman. Et le terme de ce voyage, c'est la tour Eiffel. En remontant la Seine, de pont en pont, il va y avoir des va-et-vient entre le passé et le présent. Tantôt des épisodes feront référence à des tournants historiques de l'histoire franco-algérienne. On parle de la guerre d'Algérie. On parle aussi du 17 octobre 1961, le massacre de 1961. On parle aussi du mythe du retour dans les années ‘70, les espoirs de l’élection de François Mitterrand. Mais il y a aussi, dans ces aller-retours entre présent et passé, des épisodes très personnels. Il y a la grande Histoire, il y a aussi la petite histoire. Et cette petite histoire, c'est elle aussi qui fonde l'identité de ces personnages. »
« Identité » : le mot est lâché. C’est le thème central de Tous les mots qu'on ne s'est pas dits. Née de la confrontation de la grande et la petite histoire, l'identité n’est ni heureuse ni malheureuse. Elle est surtout diverse, comme le rappelle le héros-narrateur Malik, comparant l’identité à la tour Eiffel.
« Lors d'une de de ces milliers de lectures sur tout et n'importe quoi que j'ai accumulées dans ma vie, raconte Malik, j'ai découvert que le fer utilisé pour la tout Eiffel venait en partie des mines de Zacar et Rouïna, en Algérie. Le monument le plus célèbre du monde est comme notre famille, français avec des bouts d’Algérie dedans ». Cette prise de conscience sur laquelle se clôt le beau roman de Mabrouk Rachedi, saura-t-elle apaiser les colères et les ressentiments de Malik et les siens, tous assoiffés de reconnaissance ?
Tous les mots qu’on ne s’est pas dits, par Mabrouck Rachedi. Éditions Grassset, 203 pages, 18,50 euros.
Tirthankar Chanda
Publié le :
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