Le président français Emmanuel Macron a été bien inspiré d'envoyer à Alger, à la veille de la célébration du 60ème anniversaire du recouvrement de l'indépendance, l'historien Benjamin Stora, un spécialiste de l'Histoire d'Algérie, chargé par l'Elysée du dossier mémoriel.
Car, si jusque-là, les autorités algériennes ne se sont prononcées officiellement que par de petits mots, à la limite d'une position qui se montre non concernée à propos du rapport qu'il a remis au président français sur la question mémorielle, on a pu, cette fois-ci, avoir droit à toutes les clarifications sur ce travail. En réponse directe, le président Abdelmadjid Tebboune a proposé un «travail de mémoire» commun sur toute la période de la colonisation française en Algérie, lors d'un entretien avec l'historien français Benjamin Stora, a révélé ce dernier dans une interview accordée à l'AFP. Le rapport de Benjamin Stora sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d'Algérie, remis en janvier 2021 à Emmanuel Macron, n'a été que brièvement commenté par les responsables algériens, qui considèrent qu'il s'agissait d'une vision de l'histoire franco-française, mais sans échapper aux critiques de certaines parties, offensées de ce que le rapport en question ne préconise ni excuses ni repentance. D'ailleurs, la précision a été apportée par le président Tebboune, quand il a reçu l'historien Stora durant plus d'une heure, lundi dernier, proposant dans ce sens un travail de mémoire en « commun ». «C'est la première fois qu'il y avait une discussion au fond» côté algérien sur ces questions mémorielles depuis la publication du rapport, a souligné Benjamin Stora. Les relations franco-algériennes ont connu un gros coup de froid en septembre 2021, après les propos du président Macron qui a reproché au système «politico-militaire» algérien d'entretenir une «rente mémorielle» autour de la guerre d'indépendance. «Je pense qu'il y a une volonté, de relancer je ne sais pas si c'est le mot, mais de poursuivre un dialogue», estime Benjamin Stora, en notant dans cet esprit un «changement de ton» entre Paris et Alger.
Autant de traumatismes qui perdurent jusqu'à aujourd'hui
Le président Tebboune lui a expliqué «l'importance majeure d'un travail de mémoire sur toute la période de la colonisation», au-delà de la seule guerre d'Algérie (1954-1962), un avis partagé par l'historien. «La guerre de conquête a été très longue et très meurtrière. Elle a duré pratiquement un demi-siècle», de 1830 à 1871, rappelle Benjamin Stora. Elle a été marquée par une «dépossession foncière et identitaire» - «lorsque les gens perdaient leur terre, ils perdaient leur nom» - et par la mise en place d'une «colonie de peuplement», avec au final un million d'Européens sur neuf millions d'habitants. Autant de traumatismes qui perdurent jusqu'à aujourd'hui dans la perception réciproque des deux peuples et qui «expliquent la difficulté des relations franco-algériennes», dit-il. «Les gens ne connaissent pas ce qui s'est passé. C'est le problème de la transmission aux jeunes générations et du travail en commun», souligne Benjamin Stora. «En Algérie, l'accent a été mis essentiellement sur la guerre de libération nationale. Il y a eu en France comme en Algérie une polarisation extrême sur l'unique séquence de la guerre et même de la fin de la guerre, les années 1960 à 1962", note-t-il. Avec en toile de fond les «affrontements de groupes mémoriels» autour des différents massacres, l'exode des pieds-noirs, les luttes de pouvoir à l'intérieur du nationalisme algérien. «On s'est tous focalisés sur 1962", des accords d'Evian en mars à l'indépendance de l'Algérie le 5 juillet, dit-il. Mais «on ne peut pas rester prisonnier d'une seule date, 1962, il faut élargir le champ de réflexion», considère-t-il.
Une «prochaine» visite de Macron en Algérie
L'historien Benjamin Stora était porteur d'une lettre du président français, remise au président Tebboune, où il appelle au «renforcement des liens déjà forts» entre les deux pays et réitère son «engagement à poursuivre sa démarche de reconnaissance de la vérité et de réconciliation des mémoires». Il évoque aussi une «prochaine» visite en Algérie. Dans ce sillage, l'ambassadeur d'Algérie en France, Mohamed-Antar Daoud, a relevé la volonté politique du président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune, et de son homologue français, Emmanuel Macron, d'œuvrer à la consolidation des relations algéro-françaises, lors d'une cérémonie organisée, vendredi à Paris, à l'occasion de la célébration du 60e anniversaire de l'indépendance de l'Algérie, indique un communiqué de l'ambassade d'Algérie en France. Par ailleurs, le diplomate a tenu à rappeler «le sacrifice et le don de soi, consentis courageusement par les générations successives depuis la colonisation et par les dignes enfants de l'Algérie ayant répondu à l'appel du 1er Novembre 1954". Dans ce contexte, il n' a pas manqué de souligner l'»importance accordée par l'Etat au dossier de la mémoire et l'attachement envers son capital historique, qui ne sauraient souffrir d'amnésie ou de remise en cause des souffrances, injustices et autres exactions subies par le peuple algérien», d'après le communiqué. Notons que le président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune, a reçu un message d'amitié et de solidarité du président français, M. Emmanuel Macron, dans lequel il lui a exprimé ses vœux «les plus sincères», ainsi qu'à l'Algérie et au peuple algérien à l'occasion de la célébration du 60e anniversaire du recouvrement de la souveraineté nationale. «En réponse à votre invitation, je serai heureux de venir en Algérie prochainement pour lancer ensemble ce nouvel agenda bilatéral, construit en confiance et dans le respect mutuel de nos souverainetés. Je souhaite que nous puissions y travailler dès maintenant pour appuyer cette ambition sur des fondations solides et l'inscrire dans un calendrier partagé», a-t-il ajouté.
par A. Zerzouri
Lundi 11 juillet 2022
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