Si l’été vous conduit à Marseille, ne manquez pas cette exposition du Mucem consacrée au plus célèbre prisonnier politique du château d’Amboise. Chef de guerre, homme d’État, guide spirituel, écrivain et poète ; le fondateur du premier état algérien moderne s’expose au Mucem jusqu’au 22 août 2022. Personnage incontournable de la mémoire des guerres d’Algérie, le monument à sa mémoire qui devait être inauguré à Amboise le 5 février dernier a été vandalisé dans la nuit précédente.
(Vandalisme du monument à Abdelkader, l’intolérable
Abd el Kader vers 1835
Un destin
Abd el-Kader est né en 1808 (ou 1807) à El Guetna, près de Mascara.
Issu d’une famille de l’aristocratie religieuse descendante du prophète, apparentée à l’importante tribu des Hachems : une tribu makhzen qui collectait les impôts pour les beys ; l’Algérie étant alors sous domination ottomane.
Il apprend, dès son plus jeune âge, à lire et écrire, à réciter le Coran dans sa totalité, avant d’entamer des études de philosophie, d’astronomie et de géographie. C’est également un cavalier émérite qui maitrise à la perfection le maniement des armes.
À 17 ans, il effectue le pèlerinage de la Mecque en compagnie de son père ; voyage de deux mois qui se prolonge ensuite en Orient, entre Alexandrie, Le Caire, Damas et Bagdad, durant lequel il redécouvre le soufisme en visitant le tombeau d’Ibn Arabi, est influencé par les réformes politiques de Méhémet Ali, pour revenir en 1829 en Algérie.
Un chef de guerre
Lorsque les troupes françaises débarquent à Sidi Ferruch le 14 juin 1830, le bey d’Alger capitule ; faisant de la ville une possession française. Le bey d’Oran y pense également, mais renonce face à la volonté d’en découdre des tribus de l’ouest. Celles-ci se réunissent le 22 novembre 1832 et nomment Abd el-Kader, Âmir al-Muminin (émir des croyants), son père s’étant désisté, car se considérant trop vieux.
Il combattra, quinze ans durant, le colonisateur français ; tentant de rassembler les tribus arabes, posant les fondations d’un état moderne avec un drapeau, une monnaie et une armée régulière.
L’exil
N’ayant pas réussi à obtenir le soutien des tribus de l’Est et ayant perdu le soutien du royaume marocain ; sa rébellion s’essouffle et il est contraint de se rendre le 21 décembre 1847 : « Lorsque Dieu m’a ordonné de me lever, je me suis levé, et j’ai frappé la foudre autant que j’ai pu ; lorsqu’il m’a ordonné de cesser, j’ai cessé, obéissant aux ordres du Très-Haut. C’est alors que j’ai abandonné le pouvoir et me suis rendu à vous. »
S’étant maintenant détourné de la voie des armes ; il se consacrera désormais et exclusivement à la théologie et la philosophie : « Comme vous avez pu le discerner dans le miroir de notre conversation, je n’étais pas né pour être un guerrier… je ne cesse de prier Dieu de me laisser revenir vers ma vocation. »
Détenu à Toulon, puis à Pau, il est transféré au château d’Amboise en novembre 1848.
Face à la pression exercée par un certain nombre de personnalités, dont Émile de Girardin, Victor Hugo, Émile Ollivier et Lord Londonderry ; Louis-Napoléon Bonaparte le libère le 16 octobre 1852, avec une pension annuelle de 100 000 francs et le serment de ne plus jamais fomenter de troubles en Algérie.
Il s’installe d’abord à Bursa en Turquie, puis à Damas en Syrie, en 1855.
Un juste
Lors des massacres antichrétiens de 1860, il organise le sauvetage de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants ; accueillant les rescapés dans sa maison et celles de ses voisins.
Un survivant en fait le récit au journal, Le Siècle du 2 août 1869 : « Nous étions consternés, nous étions tous convaincus que notre dernière heure était arrivée […]. Dans cette attente de la mort, dans ces moments d’angoisse indescriptibles, le ciel nous a envoyé un sauveur ! Abd el-Kader est apparu, entouré de ses Algériens, une quarantaine d’entre eux. Il était à cheval et sans armoiries : sa belle figure calme et imposante contrastait étrangement avec le bruit et le désordre qui régnaient partout. »
Dernières années
Le 18 juin 1864, il est initié à la franc-maçonnerie par la loge Les pyramides d’Égypte d’Alexandrie, par délégation de la Loge parisienne Henri IV.
En 1865, il se rend à Paris, invité par Napoléon III et est accueilli comme un homme d’État. Il participe à l’inauguration du canal de Suez, le 17 novembre 1869, du fait de ses liens avec le vice-roi d’Égypte, Ismaïl Pacha.
En 1871, lors de la révolte de Mokrani en Algérie, il renie un de ses fils qui a participé aux troubles. Il meurt à Damas le 26 mai 1883, et est enterré auprès du grand soufi Ibn Arabi. En 1966, ses restes sont transférés de Syrie vers l’Algérie, et il repose aujourd’hui au cimetière d’El Alia, à Alger.
L’exposition :
Réunissant près de 250 œuvres et documents issus de collections publiques et privées, cette exposition retrace le parcours d’un personnage complexe, aux multiples facettes, d’une grande érudition ; alliant clairvoyance politique et tolérance religieuse.
Un homme qui ne s’est jamais détourné de sa foi : « La religion est unique. Si les musulmans et les chrétiens me prêtaient l’oreille, je ferais cesser leurs divergences et ils deviendraient frères à l’intérieur et à l’extérieur… »
On pourra lire une analyse critique de l’exposition sur le blog de Médiapart: Abd el Kader au Mucem : une vision coloniale de l’Émir
jeudi, 14 juillet 2022
https://www.magcentre.fr/235884-abd-el-kader-le-prisonnier-damboise-au-mucem/
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