Plaque commérative en hommage aux victimes de la répression de la manifestation du 14 juillet 1953
Les célébrations du 14 juillet, fête nationale française, mais aussi jour anniversaire de la prise de la Bastille, ont pu avoir des significations différentes au cours de l’histoire. Le 14 juillet 1953, une manifestation coorganisée par le PCF, la CGT, et le mouvement indépendantiste algérien MTLD va être noyée dans le sang par la police française.
14 juillet 1953 : une manifestation est organisée à Paris, appelée par la CGT, le PCF, mais aussi par les indépendantistes du Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques (MTLD), qui représentent une forme de nationalisme de gauche et promeuvent une réforme agraire profonde et la nationalisation des secteurs clés de l’économie algérienne. Syndicalistes et communistes entendent y célébrer les valeurs égalitaires de la République, ainsi que le symbole révolutionnaire que représente l’anniversaire de la prise de la Bastille, acte fondateur de la Révolution Française. D’autres éléments expliquent la reprise des symboles nationaux par le PCF et la CGT : revalorisation de la notion de République, opposée au fascisme pendant la période du Front Populaire puis de la Résistance, affirmation de l’indépendance nationale française face à un impérialisme américain qui s’affirme très nettement dans un contexte de guerre froide avec l’URSS. Le MTLD entend lui aussi célébrer ces même valeurs, et les réinvestir au profit de son projet politique d’indépendance de la colonie algérienne.
On se situe dans des années où le rapport qu’entretient un mouvement communiste français très influent au sein de la CGT avec les velléités d’indépendance de certaines fractions du peuple algérien est complexe.
Le PCF, principal parti à porter des thématiques anti coloniales dans l’espace politique français depuis son opposition à l’invasion du Maroc et à la tenue des expositions coloniales au début du siècle, alors que la SFIO s’attache à apporter les « lumières » d’un socialisme à la française aux colonisés, percevait en 1936 l’Algérie comme une nation en formation. Pourtant, les soulèvements contre l’autorité coloniale de Sétif et de Guelma en 1945 seront vivement condamnées : le PCF appelle « provocateurs » les émeutiers, renvoi dos à dos les insurgés et les autorités, et certains de ses membres iront jusqu’à participer aux milices en charge de la répression à Guelma. Deux ans après, en 1947, les évolutions institutionnelles votées à l’assemblée seront condamnées comme trop conservatrices, alors qu’un contre projet est porté aux côtés des nationalistes algériens de l’Union Démocratique du Manifeste Algérien : une république démocratique et sociale algérienne, unie à la France sur le mode du fédéralisme au sein d’une Union Française.
Les événements qui suivront la manifestation du 14 juillet 1953, et qui marqueront les premières années de la guerre d’Algérie, viendront confirmer ces ambivalences. Les premières actions armées du FLN algérien seront condamnées par le PCF, qui appuie à cette occasion les revendications indépendantistes, tout en dénonçant les modes d’action mis en œuvre, là où une extrême-gauche libertaire nettement plus marginale opte pour un soutien critique et actif, et où la SFIO persiste dans sa ligne visant à maintenir l’Algérie française, avec une meilleure assimilation des autochtones. Un fort soutien sera apporté par le PCF au Parti Communiste Algérien, qui a rejoint la lutte armée des nationalistes.
Arrivé place de la Nation, après de brefs affrontements entre forces de l’ordre et manifestants et un discours en tribune de l’abbé Pierre et du dirigeant communiste Marcel Cachin, le défilé va pour se disperser. C’est à ce moment que, sans aucune sommation ni notable regain de tension, la police ouvre le feu. Abdelkader Draris, Mouhoub Illoul, Maurice Lurot, Amar Tadjadit, Larbi Daoui, Tahar Madgène, Abdallah Bacha : six ouvriers algériens indépendantistes et un militant cégétiste affilié au PCF seront tués, quand cinquante autres manifestants, d’après un bilan préfectoral controversé, principalement des algériens, seront blessés par balle, avec quinze policiers atteints par des armes de fortune dans les affrontements.
Dans la foulée sera organisée une marche funèbre au cours de laquelle des milliers de militants accompagnent les dépouilles des victimes jusqu’au cimetière du Père-Lachaise, après l’exposition de leurs corps à la Maison des Métallos de Paris pour un dernier hommage. Parti Communiste et Secours Populaire se chargeront de soutenir matériellement et moralement les familles des défunts dans les années suivantes.
Les autorités tentent de faire passer la manifestation pour une émeute déguisée, ce qu’Emmanuel Blanchard qualifie de « mensonge d’État ». Même si dans un premier temps aucune enquête n’est prévue sur les tirs policiers, un procès aboutit à un non-lieu le 22 octobre 1957, confirmé en appel le 23 janvier 1958.
On pourra lire également cet entretien que l’historien montpelliérain Jacques Choukroun a accordé au Poing en décembre 2020 autour de la parution de sa thèse sur le Parti communiste en Algérie, du Congrès de Tours au Front Populaire.
Les commentaires récents