Pierre Audin de retour «chez lui » en Algérie, le 1er juin
Il fallait voir l’émotion des siens quand, à l’aéroport d’Alger, pour la première fois, il a passé le contrôle de police avec son passeport vert. Ce n’est pas la première fois que Pierre Audin revient dans son pays natal, mais cette fois il franchit la frontière en tant que citoyen algérien, et cette visite suscite un touchant élan de joie, de fraternité et d’enthousiasme. Preuve que son père, le mathématicien communiste Maurice Audin, torturé et assassiné par l’armée française en 1957, gardait une place à part dans le cœur des Algériens, lui qui rêvait de son pays libéré du joug colonial, libéré des injustices. Lorsqu’il déambule rue Djelloul-Mechedal (anciennement rue Barbès), au pied de l’ancienne maison de ses parents, et plus encore place Audin, épicentre algérien du mouvement populaire de 2019, Pierre est apostrophé, salué, accueilli comme un frère : » Bienvenue chez toi ! «
Une chaire Maurice-Audin à venir
Il savoure ces instants ; son regard, comme celui de son père, pétille d’espièglerie. « Je me sens chez moi. Il faut dire qu’Alger est la plus belle ville du monde”, il sourit. Avec une délégation de l’Association Josette-et-Maurice-Audin, créée au tournant des années 2000 pour perpétuer le combat pour la vérité du Comité Audin, il sillonne le pays, fait escale à Oran, Mostaganem, Constantine, enchaîne réunions officielles et échanges avec la société civile, des intellectuelles, des journalistes, des militantes féministes.
Lorsqu’il assiste, rue Didouche-Mourad, juste en face de la faculté où enseignait son père, une rencontre avec des moudjahidines – vétérans de la guerre d’indépendance algérienne -, Fatiha Briki éclate en sanglots en serrant dans ses bras son amie d’enfance, sa camarade de jeux. Leurs mères, amies et camarades, partageaient les mêmes peines pendant la guerre, lorsque Josette Audin, sans nouvelles de son mari, accompagna Djamila Briki à la prison de Barberousse pour rendre visite à la sienne, Yahia, journaliste de Alger républicainmembre des commandos communistes du Grand Alger en 1956, arrêté et condamné à mort, finalement libéré en 1962. Fatiha et Pierre partagent encore aujourd’hui les mêmes idéaux.
L’Algérie a aujourd’hui les moyens d’aller vers une société unie, grâce à sa première richesse : la jeunesse. Pierre Audin
L’emprisonnement arbitraire de Fatiha Briki, figure de la défense des droits de l’homme en Algérie, intellectuelle discrète et respectée, avait suscité il y a un an une vague d’indignation. Dans le public, d’autres anciens prisonniers d’opinion sont là : le journaliste Khaled Drareni, le producteur Mehdi Benaïssa. Ces dernières années, Pierre Audin s’est fait entendre dans la défense des principes démocratiques et de la liberté de la presse. Une façon pour lui d’assumer l’héritage politique de ses parents : « Mon père travaillait dur pour le journal du Parti communiste algérien, Liberté . Après cent trente-deux ans de colonialisme avec un peuple bâillonné et contraint de se prosterner, après sept ans d’une guerre sauvage et violente, l’Algérie aurait dû être la première sur les droits de l’homme et les libertés, résume-t-il . Elle a désormais les moyens d’aller vers une société solidaire, grâce à sa première richesse : la jeunesse.»
Avec la solidarité entre les peuples algérien et français, les mathématiques sont l’autre fil rouge de cette visite. À Sidi Abdallah, devant les étudiants de l’École supérieure de mathématiques et d’intelligence artificielle, Pierre Audin partage la tribune avec son collègue René Cori, pour une conférence ludique et pleine d’humour, devant un amphithéâtre trois quarts féminin. A chaque escale, ils répéteront l’exercice. « Avec le prix Audin récompensant des lauréats des deux rives, les mathématiciens n’ont pas attendu pour créer des passerelles, des coopérations concrètes entre les deux pays. La création en Algérie d’une chaire Maurice-Audin de mathématiques pour accueillir un chercheur français comme il en existe une en France accueillant un chercheur algérien est sur la bonne voie. »se réjouit Pierre Mansat, président de l’Association Josette-et-Maurice-Audin.
La demande de vérité ne tarit pas
L’œuvre mémorielle se tisse au présent : soixante ans après la conquête de son indépendance par le peuple algérien, l’exigence de vérité ne se tarit pas. Au fond d’une gorge sèche, dans le paysage des monts Nekmaria, creusés de ravins, couverts de lentisques et d’oliviers, Pierre Audin et ses compagnons découvrent la grotte où, le 18 juin 1845, le colonel Pélissier massacra la tribu en fumant Ouled Riah, hostile au nouvel ordre colonial. Combien d’hommes, de femmes, d’enfants sont morts asphyxiés ici ? Leurs ossements jonchent encore le fond de cette grotte transformée en crypte. De ces martyrs du Dahra au supplice de Maurice Audin, la même barbarie coloniale a semé la peur, la terreur, la haine.
« En 2018 et 2021, Emmanuel Macron a reconnu la responsabilité de l’État français et de l’armée dans le système de torture inhumain qui a coûté la vie à Maurice Audin et à l’avocat Ali Boumendjel. Cette avancée appelle l’ouverture d’un projet pour enfin rechercher les restes des milliers de disparus de l’époque coloniale., remarque l’historien Alain Ruscio. Josette Audin est morte sans connaître l’endroit où les bourreaux ont fait disparaître le corps de son mari. Elle avait demandé aux autorités algériennes d’entreprendre des fouilles. Pierre Audin renouvelle aujourd’hui cette demande : il n’est pas homme à plier sous le poids de l’oubli.
https://generationsnouvelles.net/pierre-audin-le-gout-de-lalgerie-et-des-mathematiques/
.
Les commentaires récents