Jusqu’au 22 août, le Mucem retrace la vie et l’œuvre du premier des résistants algériens, qui passa quelques jours dans la cité phocéenne en 1852.
Un portrait d’Abdelkader, figure de la résistance algérienne, au Mucem, le 5 avril 2022. © NICOLAS TUCAT/AFP
La première fois que l’émir Abdelkader, héros de la résistance algérienne contre la conquête française en 1830, a mis le pied à Marseille remonte à décembre 1852, après plus de quatre années de captivité au château d’Amboise. Cent soixante-dix ans plus tard, il revient dans la cité phocéenne, à travers la grande exposition que lui consacre le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem), du 6 avril au 22 août.
Victor Hugo appelait Abdelkader « l’émir pensif, féroce et doux », Arthur Rimbaud disait de lui qu’il était « le petit-fils de Jugurtha » et Gustave Flaubert notait : « Émir. Ne se dit qu’en parlant d’Abdel-Kader. » Pour remettre en lumière cette figure historique, le Mucem a réuni une impressionnante collection de 250 œuvres et documents issus de collections publiques et privées françaises et méditerranéennes, dont les Archives nationales d’outre-mer, la Bibliothèque nationale de France, le musée de l’Armée, le château de Versailles ou encore le musée d’Orsay.
Les mille vies d’un érudit
Camille Faucourt, conservatrice du patrimoine et commissaire de l’exposition, explique la remise en perspective de ce chef de la résistance, considéré comme le fondateur de l’État algérien : « L’objectif de cette exposition est de rassembler des objets et des archives en nombre, afin de croiser les sources provenant des deux rives de la Méditerranée, et, ainsi, d’éclairer ce personnage qui semble avoir eu mille vies. Un homme sans cesse en mouvement, qui voyageait beaucoup. Et qui, spirituellement, a appris et évolué. Abdelkader était l’un des grands esprits de son temps. »
Cette exposition se veut aussi – même si ses initiateurs se gardent de lui donner une portée politique – une manière de rapprocher les mémoires de la France et de l’Algérie au moment où l’on s’apprête à commémorer le 60e anniversaire de l’indépendance de cette dernière.
Au Mucem, le visiteur pourra donc voyager, à travers ces archives, dans la vie et dans l’œuvre de l’émir, du début de sa résistance contre les troupes française en 1830 jusqu’à sa disparition, en 1883 à Damas. Outre les tableaux et fresques dépeignant la longue guerre (1832-1847) entre Abdelkader et les généraux français, on peut y lire les lettres et correspondances personnelles de l’émir, contempler son sabre, remis au général Louis Juchault de Lamoricière lors de sa reddition, en décembre 1847. Dans son rapport rendu au président Macron, l’historien Benjamin Stora propose d’ailleurs que ce sabre fasse l’objet d’une restitution à l’Algérie dans le cadre du travail mémoriel et de la réconciliation des histoires.
L’UN DES CLOUS DE L’EXPOSITION EST LE CAFTAN QUI APPARTENAIT À L’ÉMIR
On peut aussi lire la déclaration solennelle du 30 octobre 1852, signée de la main de l’émir et adressée à Louis Napoléon Bonaparte, par laquelle l’illustre captif du château d’Amboise s’engage, en guise de bonne foi et en signe de reconnaissance pour sa libération, à ne plus exercer de pouvoir politique ou militaire et à ne jamais retourner en Algérie.
L’exposition met également en évidence de nombreuses photographies du résistant, notamment le premier cliché que le photographe Gustave Le Gray a pris en 1851 à Amboise, ou encore des photos de l’émir durant son exil à Damas. L’un des clous de l’exposition est le caftan qui lui appartenait. Khaled Ibn Hadj Abdelkader, l’un de ses fils, en a fait don en 1897 au musée de l’Armée afin que ce premier résistant soit honoré en France. L’Algérie a fait une demande officielle pour sa restitution, toujours en cours d’étude.
Un invité dans la cité phocéenne
Entre l’émir Abdelkader et Marseille, c’est aussi l’histoire d’une brève mais intense rencontre. Le samedi 18 décembre 1852, l’émir et sa suite, constituée de près de 70 personnes, arrivent le soir à bord d’un bateau ayant navigué sur le Rhône en provenance de Lyon, toujours accompagnés par le commandant Alfred Boissonnet, qui ne les quitte jamais depuis le début de leur détention à Amboise, en 1848. Sur le quai, une poignée de pèlerins revenus de la Mecque les attendent pour saluer l’émir avant d’embarquer vers l’Algérie.
À PARTIR DU MOMENT OÙ IL ÉTAIT CAPTIF, L’ÉMIR ÉTAIT ESPIONNÉ, CONTRÔLÉ, SURVEILLÉ JUSQU’À LA PARANOÏA
La population locale ne prête guère attention à l’arrivée de cette grande délégation. Celle-ci est installée à l’hôtel des Empereurs, l’un des plus prestigieux établissements de Marseille, aujourd’hui disparu. Le Mucem présente les correspondances de l’époque qui racontent ce séjour et expose notamment les notes de frais de bouche et de blanchisserie des hôtes. « Dès sa captivité, l’émir a été espionné, contrôlé, surveillé jusqu’à la paranoïa », raconte Florence Hudowics, autre commissaire de l’exposition. Mais à Marseille, l’émir n’est pas traité comme un captif. Il se rend au théâtre, où il est invité ; visite la bibliothèque de l’Alcazar, où on lui présente les manuscrits arabes précieux ; et rencontre des mondanités de la ville, notamment Clot-Bey, médecin français et collectionneur de Corans, qui exerça à la cour du pacha d’Égypte.
Alors qu’il devait embarquer sur le Labrador pour rejoindre la Turquie, l’émir doit patienter en raison d’un fort mistral qui va retarder son départ. Le mardi 21 décembre 1852, il quitte enfin Marseille à 16 heures, en présence d’une foule immense qui vient le saluer sur la Canebière. Des années plus tard, il est de retour dans la ville phocéenne pour une exposition installée là où son bateau a pris la mer.
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