La rencontre organisée lundi dernier au Crasc par l’association Josette et Maurice Audin (JMA) sous l’intitulé «Quelle mémoire et quelle histoire de la colonisation en Algérie et en France ? Quelles relations entre les deux peuples et les deux Etats ?» a permis de débattre des difficultés qui entravent la recherche de la vérité historique.
La rencontre organisée lundi au Crasc par l’association Josette et Maurice Audin (JMA), sous l’intitulé «Quelle mémoire et quelle histoire de la colonisation en Algérie et en France? Quelles relations entre les deux peuples et les deux Etats ?» a permis de soumettre au débat public certaines questions d’ordre historique nouvellement prises en charge : les crimes de la guerre des grottes pratiqués par l’armée française durant la guerre d’Algérie, par exemple, mais aussi de débattre des difficultés qui entravent la recherche de la vérité historique.
Dans son intervention, Pierre Mansat, président de l’association, a d’abord, de manière générale, évoqué le rôle des mathématiciens dans le monde en faveur des indépendances nationales et du combat contre la torture, etc., mais la JMA a intégré d’autres thématiques beaucoup plus larges en s’intéressant à la vérité sur les crimes commis par la puissance coloniale ou en entamant des actions en faveur de l’ouverture des archives et de l’assouplissement des conditions d’obtention de visas pour les chercheurs en histoire.
Depuis quelques années, l’association participe aux commémorations de la journée du 17 octobre 1961 et organise une cérémonie devant le cénotaphe (une tombe qui ne contient pas de corps) de Maurice Audin tous les 11 juin, date correspondant à l’enlèvement du militant anticolonialiste.
«Ce monument est le seul en France à être dédié à un combattant de l’Indépendance algérienne», précise-t-il. La disparition forcée de Maurice Audin en 1957 est loin d’être un cas isolé, et c’est pour cela que l’association a contribué au lancement du site «1000autres.org» pour recueillir les témoignages des milliers d’autres cas moins connus ou carrément anonymes.
Dans son intervention, Hassan Remaoun, sociologue et historien, a d’abord situé la colonisation française en Algérie dans un contexte plus large de l’histoire et de la géographie mondiales. Une colonisation de peuplement comme celles apparues dans une période charnière entre le XVIe et le XVIIe siècles et une colonisation d’exploitation à l’instar de celles qui ont suivi la révolution industrielle et ses besoins en matières premières, etc. «Au début de la colonisation française en Algérie, à partir de 1830, la révolution industrielle n’était pas encore bien établie d’où cette spécificité», explique-t-il.
Il évoque l’épineux problème des disparus, un des contentieux qui ne sont pas encore réglés entre les deux pays. Pour lui, «l’Algérie fait partie de la politique intérieure française et, à contrario, la France constitue un enjeu de la politique intérieure algérienne», d’où son idée de la nécessité d’ assainir la situation en se basant sur le travail, dans une perspective du long terme, des historiens sans oublier le rôle que peuvent jouer les associations.
Abondant dans le même sens, l’historien Gilles Manceron, spécialiste du colonialisme français, considère lui aussi que le travail des historiens va prendre beaucoup de temps mais doit être mené dans les deux pays et parfois en étroite collaboration. Il y a une trentaine d’années, rappelle-t-il, différentes rencontres avaient déjà été organisées sous l’intitulé «D’une rive à l’autre» et constate que certaines thématiques comme «La guerre des grottes» sont nouvellement abordées, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives devant la recherche historique.
La collecte des témoignages sur le site dédié 1000autres.org participe de cette même logique. «Le site qui contient déjà des portraits est une base de données embryonnaire appelée à être enrichie», indique-t-il en précisant que les portraits sont établis sur la base de photos envoyées majoritairement par les familles des disparus elles-mêmes et que les demandes émanent de tout le pays et couvrent toutes les périodes (pas forcément celle de la guerre d’indépendance).
Attestation de fils de chahid pour Pierre Audin
Dans une autre intervention, Alain Ruscio s’est intéressé au martèlement de la population française métropolitaine par l’idéologie coloniale. Pour lui, ce sont cinq générations de Français qui ont, en gros, subi ce bombardement idéologique portant sur le thème des inégalités civilisationelles, raciales, etc. Un fait qui se constate dans le succès des expositions coloniales avec 33 millions de billets vendus lors de l’une d’elles mais aussi dans les chansons populaires racistes parfois interprétées par de grands noms.
Il évoque également dans ce contexte le rôle joué par le Parti colonial (qui n’était pas à proprement parler un parti politique) pour dire que celui-ci n’était «pas structuré mais efficace et convaincant». Dans ce contexte, estime-t-il, les voix discordantes ont eu du mal à se faire entendre en citant des personnalités comme Jean Jaurès ou des entités comme le parti communiste.
La thématique des crimes de la guerre des grottes, l’usage de gaz toxiques contre les combattants algériens durant la guerre de Libération, moins connus que les enfumades du XIXe siècle (comme à Dahra où presque une tribu entière, celle des Ouled Riah a été décimée) a été développée par l’historien Christophe Lafaye, docteur en histoire contemporaine.
Là, plus que jamais, il a été dit qu’un travail commun entre les historiens des deux rives est nécessaire. L’historien Sadek Benkada, qui a travaillé sur les crimes de l’OAS à Oran et Fouad Soufi, chercheur associé au Crasc, ont également intervenu lors de cette rencontre. Le deuxième a notamment déploré la fermeture des archives en Algérie et le fait que les ouvrages les plus intéressants des historiens publiés en France ne soient pas distribués en Algérie malgré leur qualité et la rigueur scientifique des auteurs.
La question des archives françaises a été traitée par Catherine Teigen-Colly qui a retracé le cheminement des actions, y compris judiciaires, menées par les historiens pour pousser le pouvoir politique à les mettre à la disposition des chercheurs. Des batailles ont été gagnées d’autres devront attendre sous prétexte que certains domaines restent sensibles comme celui concernant les essais nucléaires en Algérie.
Dans le public, un historien algérien a justement évoqué ce problème en disant que des victimes de ces essais ne peuvent pas prouver qu’ils travaillaient sur les sites car justement tous leurs documents ont été saisis et transférés en France. Pierre Audin qui venait de recevoir son attestation de fils de chahid après être rentré sur le sol algérien avec désormais son passeport algérien a résumé la situation en suggérant lui aussi de «mettre ensemble toutes les forces historiques pour faire avancer les dossiers et construire l’avenir». En tant que mathématicien, il a déclaré dans son allocution à l’ouverture qu’il ne participerait pas mais qu’il suivrait les travaux de la rencontre avec intérêt.
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