J'ai envie de chialer quand je parle de culture en général. Et de cinéma en particulier, dans mon pays, évidemment. Quand j'ai été obligé de quitter mon poste de Directeur du Développement et de la Promotion des Arts (DDPA, poste que j’ai occupé de mai 2005 à mai 2007, cad que j'étais chargé de tous les arts vivants, arts visuels, arts de la scène..., donc cinéma, théâtre, danse, musique, arts plastiques...) j'ai fait un rapport à la Présidence sur la situation de la culture, en mettant en exergue les carences et les abus qui caractérisent le secteur dans tous les domaines des arts vivants qui étaient sous ma responsabilité mais aussi du Patrimoine ainsi que du Livre et de la lecture publique. J'ai écrit un livre sur le sujet, terminé depuis plus de 8 ans mais encore inédit.
Je peux citer les abus des secteurs autres que ceux qui "dépendaient" de mon ancienne direction, dont j'étais supposé être non pas un exécutant mais un décideur, un planificateur. A l'époque, la direction du Livre et la lecture publique obtenait des milliards (pas la peine d'alourdir avec les chiffres) qui ont servi non pas à la construction de bibliothèques ou de promouvoir la lecture mais, notamment, d'acheter des bibliobus qui n’ont servis à rien. Une vingtaine de bibliobus donc chauffeur + bibliothécaire + gasoil, sans être sûr que le livre revienne. Ils ont rouillé sur place. En temps réel, j'ai dénoncé cela, de l'intérieur. J'ai dit qu'au lieu de se batailler pour des budgets pour construire des bibliothèques, le Ministère pouvait obtenir dans chaque daïra ou même ville ou village, des logements, gratuitement, pour les transformer en bibliothèques de proximité, mais la demande n'a jamais été faite aux walis ou au ministre de tutelle.
La direction du Patrimoine dont dépendent notamment les musées, les sites archéologiques, ne donne en réalité la priorité ni à la conservation ni à la valorisation des œuvres capitales du patrimoine culturel algérien... Dans la réalité, la priorité n’était donnée ni à la recherche ni à la préservation ou à la promotion de ce patrimoine matériel et immatériel, car cela suppose un enrichissement permanent des collections des musées, entre autres, et du patrimoine lui-même, en préservant l'artisanat, en encourageant les artisans et la circulation de leur produits, ainsi que leurs diversification et amélioration comme le font les Tunisiens.
La priorité était donnée à la restauration, ou plutôt aux études de restauration, car l'Algérie n'a pas d'entreprises de restauration proprement dite. Nous n'en avons pas car nous n'avons jamais essayé de former des restaurateurs de sites et du bâti ancien. Pourtant les Polonais ont appris sur le tas après la guerre mondiale, et leur pays est devenu le premier chantier de restauration du monde. Alors l'Algérie a fait appel même aux Polonais pour restaurer le patrimoine... musulman de la Casbah, du palais des Raïs… Donc on dépense des milliards en "études de restauration" en attendant de donner la restauration aux entreprises turques, polonaises ou à d'autres spécialistes américains, allemands...
Pour ce qui est du secteur qui était sous ma responsabilité: ma priorité était le cinéma, car c'est la locomotive de la culture, puisque même le livre ou la patrimoine matériel ou immatériel sont liés au 7e art. En quelques mois j'ai fait faire le recensement des salles de cinéma par les directeurs de la culture de toutes les wilayas. Sur les 460 salles de 1962, 350 salles étaient encore debout en 2005, classées en 3 catégories s'agissant de leur état. Alors la ministre, KT, accepte ma demande pour l'inscription de 50 salles de cinéma en vue de leur restauration sur le budget 2006-2007. L'argent coulait à flot: il fallait en profiter. En août 2005, KT déclare aux médias et aux réalisateurs, producteurs et distributeurs, lors de la rencontre que j'ai organisée au MC qu'elle allait restaurer 50 salles de cinéma. Mais en mars 2006, le directeur de la Planification m'informe que la ministre n'a pas envoyé au ministère des Finances la demande du DDPA pour la restauration des 50 salles de cinéma.
Par contre, pour la direction du Livre elle a demandé des bibliobus et, pour le Patrimoine, de nombreuses études de restauration de ksours et je ne sais quoi alors qu'on n'a pas suffisamment de sociétés algériennes capables de faire la restauration proprement dite. On "restaure" des ksours sur papier à coups de milliards puis on met ces études dans les tiroirs alors que le cinéma attend ses salles et que le nombre des théâtres ne dépassait pas 7 ou 8 à l’époque, qu’on n’assurait aucune formation complète (cinéma, musique, danse, théâtre) à part dans le domaine des beaux-arts. Bien que les musées - qui dépendant de cette même direction du Patrimoine - n'ont pas le sou pour pouvoir acheter une seule peinture par an, pas une poterie, un bijou de Beni Yenni ou d'ailleurs, un tapis de Guergour ou d’ailleurs, une meule à grain, un karakou, ou un haïk..., bien que des dizaines d'artisans arrêtent de travailler et que des dizaines de plasticiens disparaissent ou s'exilent.
La plupart des pièces de nos musées (le Bardo, le musée des Antiquités, le musée des Arts et traditions populaires) datent de l’époque coloniale, alors que nous aurions dû acquérir des dizaines de milliers de pièces depuis 1962. Le MAMA (le Musée d’art moderne, sis rue Larbi Ben Mhidi, face à la cinémathèque) est un musée… sans collection ! Tandis que la collection du musée de la Miniature et de l’enluminure est squelettique car le budget des acquisitions est ridiculement dérisoire !
S’agissant du 7e art, on a envie de s’arracher les cheveux en pensant à l’Algérie ! Or le pays jouit d'atouts immenses, dont ne dispose même pas la Turquie : un pays si vaste avec des paysages et des cultures si variées, des climats diversifiés. Et puis de l’argent à gogo, des milliardaires à la pelle. Du fric en veux-tu en voilà. Même l’Etat distribue du fric généreusement.
Pourtant ce sont le Maroc et la Tunisie qui engrangent des millions d'euros uniquement dans la production de films et de publicités étrangers. Bien gérés, avec une réglementation à la page, qui permet maintenant de nouveaux avantages fiscaux aux producteurs étrangers, le secteur permet de nombreuses productions étrangères, dans les décors de Ouarzazate ou ailleurs pour la pub. Une vingtaine de longs-métrages étrangers et une quinzaine de séries télévisées ont été tournés au Maroc en 2020, pour des investissements d'environ 28 millions d'euros. En 2016, ce chiffre atteignait 40 millions d’euros.
Le Maroc va bientôt organiser le Festival international du film d'animation de Meknès !
Mauvais élève, l’Algérie ne sait pas profiter des occasions.
De plus, le Maroc vient de réaliser sa première série d'animation 100 % marocaine (image de synthèse). Or il y a 10, 15 ans les Algériens étaient les premiers à s’intéresser à la 3D dans le monde arabe et je connais 3 artistes et techniciens 3D, qui ont rejoint les pays du Golfe à la fin des 1990. C’est parce que je connaissais certains de ces jeunes et l’importance qu’allait avoir le domaine investi par les premiers géants de l’époque, Dreamworks et Pixar, que j’ai appelé le projet de loi pour le 7e art « Projet de loi sur le cinéma et les multimédia ». En 2007 quand j’ai fait ce projet de loi, les Français n’avaient réalisé que deux films d’animation 3D ou d’image de synthèse. Le projet de loi sur le "cinéma et les multimédia" que j'ai fait était en avance, puisque ce n’est qu’en 2017 que la France a changé le nom du CNC en Centre National du Cinéma et de l'Image Animée.
Qu’est-ce que la Syrie a de plus que l’Algérie et les Syriens de plus que les Algériens pour être de grands producteurs de feuilletons et de films ? La Turquie, qui était le 5e plus grand producteur mondial de films (environ 300 films produits par année) dans les années 1970 destinait sa production au public turcophone. Après le printemps arabe, et le rejet de l'intégration de la Turquie dans l’UE, Erdogan fait un virage en direction du monde arabe. Profitant du vide syrien, en même pas 8 ans Ankara est devenue un grand producteur de feuilletons à destination du marché arabe mais aussi d’Europe centrale et du Caucase.
Quant au Nigéria…
Plus d’un million de personnes travaillent dans le secteur du cinéma nigérian, la plus grande source d’emplois après l’agriculture. L’industrie cinématographique nigériane, baptisée Nollywood, produit près de 50 films par semaine, ce qui la place au deuxième rang après Bollywood en Inde et devant Hollywood aux États-Unis. Loin derrière l’Inde et les USA, Nollywood génère 590 millions de dollars par an, soit presque le tiers des exportations hors hydrocarbures algériennes. Quand les gens de la Présidence ont lu dans mon rapport de mai 2007 que la culture algérienne peut générer des millions de dollars sur le court terme, ils ont dû me prendre pour un fou! Ils préparaient "Alger capitale de la culture arabe" de 2007 pour dépenser sans compter pour la "culture"...
Sur le cinéma nigérian :
- des « thèmes autochtones dans lequel le grand public se reconnaît »
- des films qui décrivent et recréent des événements culturels et socio-politiques
- réalisés en moins d’un mois et devenus rentables deux à trois semaines après leur sortie.
- les films qui ne sont pas diffusés en salle sont en DVD se vendent à plus de 20 000 exemplaires, et les grands succès à plus de 200 000 exemplaires.
- les revenus des acteurs de Nollywood sont faibles mais ils tournent beaucoup, à raison de 1 000 et 3 000 dollars par film. Quelques-uns ont des cachets plus élevés, dont l’actrice Omotola Jalade Ekeinde, la mieux payée avec 5 millions de naira (32 000 $) par film.
Ali El Hadj Tahar
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