LE CRI
les mots ne sont capables de rien
ils ne ramèneront pas à la vie les enfants
ils ne rendront pas les hommes moins fous
ils ne façonneront pas la paix
mes mots ne sont capables de rien
et la mère ne cessera de pleurer
et la mère ne cessera de pleurer la mort de ses enfants
entendez-vous le cri de cette mère
mais ce n’est plus un cri
pourquoi
pourquoi
pourquoi
et les barbares ne cesseront de lancer des bombes
et ils ne cesseront pas
car il leur faut ce sang
le sang de l’autre
mes mots ne sont capables de rien
et une bombe déchiquètera tout à l’heure
un autre enfant
un enfant qui aurait pu être le mien
ou le vôtre
et une bombe réduira son corps en bouilli
et une bombe le figera dans la nuit
et une bombe le tuera
entendez-vous le cri de sa mère
mais ce n’est plus un cri
pourquoi
pourquoi
pourquoi
mes mots ne sont capables de rien
ils n’apprendront pas à ceux qui ont oublié l’histoire
à ceux qui sont les plus aptes à comprendre l’histoire
le sens de leur histoire
et le sens de la compassion
ils ne déploieront pas leur lumière
dans les antres de la haine
mes mots ne sont capables de rien
ils ne ramèneront pas à la vie ces enfants
ces enfants ne se mettront pas à courir et à jouer
car c’est leur métier de courir et de jouer
mes mots ne les ramèneront pas à la vie
mes mots ne dessineront pas dans leurs yeux
des rêves
car les enfants ont été ainsi conçus
ils sont de la matière des rêves
ils ont été conçus pour rêver non pour que des bombes les tuent
mes mots ne sont capables de rien
et la mère ne cessera de crier
mais ce n’est plus un cri
c’est quelque chose d’autre
bien au-delà de tous les mots
et la mère ne cessera de crier
pourquoi
pourquoi
pourquoi
mais que sont-ils donc
sont-ils seulement comme nous
qu’est-ce qui les a rendus ainsi
et mes mots ne sont capables de rien
ils sont impuissants face à tant de violence
ils sont impuissants face à l’obstination au Mal
ils sont impuissants face à ceux qui sont les plus aptes à comprendre l'histoire
ils sont impuissants face à ceux qui ont oublié le sens de leur histoire
est-il d’oubli plus monstrueux
et mes mots ne sont capables de rien
il ne rendra pas le dernier instant de l’enfant moins douloureux
il se verra mourir
il souffrira
il verra son corps fragmenté
déchiré
comme ceux d’autres enfants
tout à l’heure
ce soir
demain
rien n’arrêtera la violence
et la mère ne cessera de crier
entendez-vous ce cri
l’entendez-vous
pourquoi
pourquoi
pourquoi
entendez-vous ce cri
mes mots ne sont capables de rien
sinon rappeler
le souvenir de l’enfant qui est mort
et ceux qui ont oublié le sens de leur histoire
-est-il d’oubli plus monstrueux -
ne cesseront de tuer
et la mère ne cessera de pleurer
et la mère ne cessera de crier
c’est un cri au-delà des mots
pourquoi
pourquoi
pourquoi
entendez-vous ce cri
l’entendez-vous
ce cri qui n’est plus un cri
pourquoi
pourquoi
pourquoi
que peuvent les mots face à cela
que peut-on face à cela
SEUL, TU CROIS QU’IL TE SUFFIT D’ÉPOUSER
les contours de son corps, qu’il te suffit
la connivence de rires intempestifs,
qu’il te suffit de comploter la trame
d’un amour qui fissure ta peau encroutée
pour signifier le sceau de l’oubli
mais tu es seul
seul
tu sais la demeure de la
solitude
il t’arrive parfois d’embraser
à force d’invectives
sa sentence
mais son voile bientôt t’enserre
et te désarticule car tu es
son pantin
pantin
seul, tu crois qu’il te suffit de mêler
tes paroles aux siennes, qu’elles dansent
le long de fleuves éblouis
tu crois qu’il te suffit de désemplir
tes soifs dans les sillons de ses blessures,
tu crois qu’il te suffit d’archiver
dans ses yeux les ornements de tes mirages
mais tu n’es qu’un exégète factice
tu rapièces ses fragments pour édifier le sublime
sublime qui n’est qu’un château d’ombres
il suffit d’un rien – son inconsciente humanité –
pour qu’il s’éclipse
et tu es seul
seul
seul
pantin de la solitude
pantin de soi-même
seul
TU ES BELLE. ET JE SUIS FOU
Corps de pierre. Corps solaire. Corps solitaire.
Lactescence estivale. Echancrure sauvage. Tu es ma
chair d'ivoire. Astre noir. Mon obscène territoire. Tu
m'emmures sous le dôme des lamentations. Ma
succulence permise. Ma maîtresse. Ma connivence
sensuelle. Ma lunaire tyrannique. Princesse endiablée.
Lacis de sueur. Idole enrobée de soie. Et d'épines.
OEuvre de feu et de sang. Les aréoles de tes lèvres
épousent et entaillent ma peau. Assèche-moi . Je suis
désert. Flagelle-moi . Je suis esclave. Inféode-moi. Je
suis ta propriété. Ton bibelot. Je plisse ta nuque.
J'éploie ton ventre. Dunes célestes. Ta chevelure est
une liasse de flammes. Tes yeux un ouragan de sable.
J'éventre ta langue engorgée et me désaltère. Elle est
hostie pour ma bouche infidèle. Elle est calice pour ma
bouche hérétique.
Je renonce au devoir. A la raison. Je suis dévot aux
lieux de la débauche. Je suis mendiant au seuil de ta
taverne. Je m'abreuve aux sources hallucinées. Opium
et vin. Je renifle tes arômes opiacés. Je mords tes
ébréchures alcoolisées.
Je suis celui revêtu de guenilles qui lave et baise tes
pieds. Je veux boire. Encore boire. Encore boire. Et
me dissoudre sous les osmoses de l'ivresse.
Je suis amant de l'amour. Celui revêtu de laine. Celui
revêtu de crasse et de boue.
Celui qui se prosterne sur ton corps. Lieu de
vénération. Lieu de prière.
Celui qui à l'aurore de ton voile récite les silences de
tes yeux. Celui qui glane des nattes de sang sur ton
mausolée.
Et tu es mon livre sanctifié. Mon poème.
Et je suis poète fou qui quémande le sens de ton
verbe. Et je suis poète fou qui vole la parole.
Poète fou qui dérobe ses obéissances. Poète fou qui
professe une parole transmuée.
Parole incantatoire pour te célébrer et te créer. Parole
au-delà de la parole pour t'aimer.
Et tu es ma féconde indélicate. Celle qui me purge de
mes lassitudes. Celle qui reflue mes fautes et mes
rancoeurs. Celle qui coalise extase et douleur
Et ton nectar infeste mes rêves les plus nonchalants.
Ton nectar infeste mes repentirs nocturnes.
Tu es festin que je romps et qui me corrompt.
Et je déguste ta gorge blanche. Je hume tes senteurs
épicées. Je soutire tes sèves tuméfiées.
Et tu es ma vanité. Ma lascive. Ma vierge indécente.
Tu sillonnes les mers vengeresses et les rues fétides.
Tu sillonnes ma carcasse avide et mes plaisirs terrifiés.
Tandis que ma salive adultère encore tes lèvres. Tandis
que les liqueurs dédiées à la jouissance suturent encore
ta peau fissurée.
Tu es femme et la nuit carnassière froisse les
tombeaux. Tu es femme et le ciel exsude des flocons
de pierre.
Tu es femme et l'océan se désertifie et la terre se
décalcifie. Tu es femme et les bêtes frémissent les
signes de l'apocalypse.
Et tu es belle. Ma gazelle opaline. Eau qui pleut entre
mes cils. Soupirs qui veloutent mes songes. Safran qui
pave mes cicatrices.
Et tu es belle. Ma douce. Ma moelleuse. Ton visage
une aube lumineuse. Nébuleuse bleue. Collier de
poussière d'étoiles. Collier de promesses infinies.
Et tu es belle. Mon trésor caché. Coulis de diamants.
Tresses de perles. Canevas de rubis. Je suis l'orfèvre de
tes enchantements. De tes paresses.
Et tu es belle. Femme-île. Ile-femme. Je résilie les
ailleurs et m'assermente insulaire. Je suis phare dressé
sur ton nombril. J'éclaire les cantiques de tes
luxuriances.
Et je veux encore longtemps ramper tel un animal sur
ton linceul. Et le rapiécer avec mon sang. Et
m'endormir mêlé – à mon refuge – à ton corps livide.
Et je noircis mes yeux avec les cendres de ma lune
noire. Et je renie les théâtres convulsés et frivoles de
l'éphémère. Et ma chair soumise et aveuglée se livre
aux obsessions et aux intolérances de ton culte.
Et je suis corps-instrument. Corps-tabla. Corps-
ravane.
Et tu me cadences dans les tranchées de tes lèvres. Et
tu m'excises sur ton crucifix.
Et tu es miroir.
Et tu infléchis la migration des astres. Et tu enneiges
les soleils.
Tu es miroir. Et tu décolores les incarnats vénéneux
du mal.
Tu es miroir. Et dans tes abîmes je déracine mon moi
afin d'être toi.
Tu es miroir. Et je te fracasse.
Et tes scissures tranchent mes veines. Et mon sang
longtemps après ma mort moissonnera ton souffle sur
les esplanades de la folie.
Et je suis poussière qui cerne niche incandescente.
Coeur du monde.
Et je décapite les têtes de ceux – mécréants et fidèles –
qui à tes pieds se vautrent mais qui ne savent déterrer
les alchimies de l'amour.
Et je vagabonde dans ma barque fragile avec les âmes
proscrites et maladives.
Et je donne à manger à l'estropié. Je chante les
infamies avec le lépreux. Et mon corps est abri pour le
chien galeux. Et mon corps est armure pour le
clochard. Et mon corps est puits pour les larmes de la
femme déchue.
Et en leur demeure qui est ma demeure je converse
avec les fous.
Et nos lèvres ensanglantées dansent paroles inspirées
qui récitent les versets de l'amour.
Et tu es belle. Ma fée noire. Ma blessure noire. Et je
veux exténuer prunelles noires qui creusent des verbes
dans ma peau. Et cisailler rêve d'ébène. Ecorcer ce
rêve d'ébène.
Extraire son essence et démêler tes extravagances.
Et je psalmodie ton nom quand le néant m'engloutit.
Et j'invoque ton nom quand la guerre vomit des
cadavres d'enfants.
Et j'implore ton nom quand mes larmes s'effacent et
que je ne veux et ne peux plus pleurer.
Et je suis en attente.
Du suc noir qui innerve tes courbes. Du suc noir qui
encre ta chevelure.
Et je suis en attente.
Du suc noir qui peuple ta peau. Du suc noir qui enfle
ta rage.
Qu'il m'entaille et qu'il m'empale. Qu'il m'abandonne
en pâture à la foule bouffonne et cruelle.
Car je ne suis rien.
Et je veux mourir.
Et je guette luminescences qui annoncent mon
sacrifice.
Affûtez vos sabres mes amis.
Car je ne reconnais ni la mort ni la vie.
Car mourir c'est renaître en toi. C'est être toi.
Et tu es belle. La plus belle.
Et je voyage hors des enclaves du temps.
Je suis amant de tous tes lieux. Là où tu as été et là ou
tu seras.
Je suis père et je t'ai imaginée. Je suis mère et je t'ai
façonnée. Je suis ton premier sourire et ta première
gorgée de lait.
Je suis les terres que tu as foulées. Et les ciels que tu
as désertés. Je suis tes mains dépliées à l'heure de la
prière. Et tes mains nouées à l'heure de la douleur.
Je suis les houles que tu as caressées. Et les tourmentes
que tu as apaisées.
Je suis les lettres qui cisèlent ton prénom. Et le livre
sacré qui recèle nos conjugaisons.
Je suis les mains qui berceront ton dernier souffle. Et
les mains qui t'endormiront dans ton tombeau.
Et je t'aime.
Et un seul atome de ton amour me rassasie. Et me
resplendit.
Un seul atome de ton amour ampute mes laideurs. Et
expurge mes pourritures.
Un seul atome de ton amour suffit à ce que je
m'oublie.
Et je ne pense qu'à toi.
Un seul atome de ton amour me béatifie. Et je suis
l'élu.
Et je t'aime.
Et tu es en toutes choses.
Tu es soleil qui débride les gangues de l'obscur. Soleil
qui écarlate les indolences des océans.
Tu es les larmes qui inaugurent les coutures de l'aube.
Larmes qui fêtent la sécession des crépuscules. Larmes
qui fauchent les cavalcades des lunes.
Et tu es en toutes choses.
Tu es les âmes violentées. Et les monstres qui nous
assaillent.
Et les haches qui embaument nos prunelles.
Tu es les fugaces de l'amour au coucher de nos haines
irrémédiables.
Tu es reliquat de neige et rafales de feu qui tamisent
mes nuits.
Et je t'aime
Et je suis solitaire prostré dans le désert.
Et je jeûne.
Et je lapide les spectres des ailleurs.
Et je jeûne.
Mon corps encerclé une plaie. Une crevasse.
Une dépouille et un habitacle pour tes eblouissements.
Toi.
Et tu es belle.
Et je vois entrelacés dans tes yeux ambrés et dans ton
corps diaphane le paradis et l'enfer.
Et je ne désire ni la grâce ni les damnations mais ton
amour.
Ton amour seul.
Et je t'aime.
Je bannis mon coeur afin d'être ton coeur.
Je m'arrache à moi-même afin de vivre en toi.
Accorde-moi l'extinction.
Umar Timol
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