Il y a ainsi deux catégories de victimes, les bonnes et les mauvaises, les ‘humains’ et les ‘moins humains’. D’une part les Ukrainiens, qui ont l’appui des capitales occidentales, on ne compte plus les gestes de soutien à leur égard, qui sont bien sûr légitimes, et d’autre part les Palestiniens ( on les a choisis parce qu’il sont l'archétype du peuple dominé, de nombreux autres peuples sont concernés ), qui subissent au quotidien les exactions du régime israélien mais dont le martyre passe inaperçu, relégué aux brèves dans les infos, inséré dans le dogme médiatique ‘d’une situation complexe où il est difficile de prendre parti’. Le député Irlandais Richard Boyd résume mieux que quiconque cette politique de deux poids, deux mesures : ‘Il a fallu cinq jours pour que des sanctions soient prises contre Poutine et ses voyous, mais imposer des sanctions pour 70 ans d'oppression des Palestiniens ne serait pas 'utile’.
Ce qui est évident et limpide ici, le supplice du peuple ukrainien devient là-bas flou et incompréhensible. Ce qui ici suscite la compassion suscite là-bas l’indifférence. Ici ceux qui résistent sont des héros là-bas ce sont des fanatiques ou sinon des terroristes. Et ces intellectuels et artistes qui montent au créneau pour défendre la veuve et l’enfant, qui sont de tous les combats se taisent, deviennent des monuments consacrés au dieu du silence ou s’il choisissent de s’exprimer, ils utilisent des mots feutrés, diplomatiques qui disent leur souci ‘d’objectivité’.
A croire que le sang des uns a plus de valeur que celui des autres.
A croire que c’est la couleur de votre peau qui décide de votre humanité.
Règne, plus que jamais, l’indignation sélective.
Et cette hypocrisie se manifeste autrement. Les guerres occidentales sont toujours les bonnes guerres, par exemple celle menée en Irak, puisque vous agissez au nom de votre sacro-sainte liberté, cette liberté qui justifie toutes les oppressions, qu’importe les pays ravagés, détruits, qu’importe ceux qui meurent, des centaines de milliers, des millions d’êtres, ils n’existent pas, ils sont des déchets humains. Quand un des vôtres est tué, c’est l’affaire du monde, on doit tous se recueillir et gare à ceux qui remettent en question ce dogme, quand un des leurs est tué, il a droit au rituel de la parfaite indifférence.
Cette guerre illustre parfaitement cette béance, entre ceux qui méritent d’exister et ceux dont l’existence n’a aucune valeur.
Nous sommes confrontés aujourd’hui à des menaces existentielles, parmi l’apocalypse nucléaire et l’apocalypse climatique. Le monde est désaxé et semble s’acheminer vers la destruction. Notre anéantissement n’est pas un scénario de film. Il relève du possible. Ce sont évidemment des problèmes d’une grande complexité et les solutions sont loin d’être simples. On pourrait commencer par envisager l’humanité autrement, non comme un projet fondé sur les hiérarchies fictives du nationalisme, du racisme ou encore de la classe mais fondé sur une appartenance commune. L’humanité est une seule et même famille. La pandémie l’a d’ailleurs démontré, nous sommes unis, qu’on le veuille ou pas. Ce projet humain peut sembler naïf et utopique mais à l’ère de ces violences de tout ordre qui risquent de nous réduire en cendres, il est plus que jamais nécessaire. Le pragmatique proclamera que l’humain étant ce qu’il est, irrationnel, stupide, cupide, assoiffé de pouvoir, ne changera guère, il trouvera toujours de moyen de dominer l’autre. Mais rêvons. Et espérons. Demain la victime, hors des fantasmes du nationalisme, sera un être humain tout simplement, à qui on tend la main. Et demain, un lointain demain, il n’y aura qu’une seule guerre, celle qu’on mènera contre les frontières et les hiérarchies, quelles qu’elles soient, qui séparent les humains, les uns des autres.
12 MARS 2022
https://blogs.mediapart.fr/umar-timol/blog/120322/humains-et-moins-humains-ukrainiens-et-palestiniens
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