Au lendemain de la réélection du président français, son homologue algérien lui a adressé un message de félicitations et l’a assuré de sa volonté de refonder les rapports entre les deux pays. Visite à Alger, question mémorielle, immigration clandestine… Quels dossiers attendent le chef de l’État français ?
S’il faut en croire le message de félicitations adressé par Abdelmadjid Tebboune à Emmanuel Macron au lendemain de la réélection de ce dernier pour un second mandat, le 25 avril, les relations algéro-françaises sont au beau fixe.
« Qu’il s’agisse de mémoire, de relations humaines, de consultations politiques ou de projections stratégiques, de coopération économique et d’interactions dans toutes les sphères de travail en commun, la vision rénovée, pleinement respectueuse des souverainetés et de l’équilibre des intérêts, que nous partageons, a le potentiel d’ouvrir à nos deux pays de vastes horizons d’amitié, de convivialité harmonieuse et de complémentarité mutuellement avantageuses », écrit ainsi Abdelmadjid Tebboune.
Un texte accompagné d’une invitation à se rendre « prochainement » en Algérie, où Macron est déjà allé en décembre 2017, lorsque Bouteflika était au pouvoir.
Réconciliation
Si l’Élysée n’a pas encore répondu à cette invitation et s’il est peu probable que le déplacement en question intervienne dans un proche avenir, le message – un peu plus chaleureux que les félicitations d’usage – est plutôt favorablement accueilli à Paris.
En attendant une éventuelle visite, cette refondation passe par la remise à plat de certains dossiers sensibles qui pèsent toujours lourdement sur ces relations. Celui de la mémoire et de l’histoire coloniale en est un.
« Le président Macron va continuer à faire des gestes forts pour apaiser davantage cette mémoire », confie un familier de la diplomatie française. « Il est prévu un grand geste de restitution d’objets prochainement », glisse mystérieusement l’un des amis d’Emmanuel Macron.
LA COMMÉMORATION DU 60E ANNIVERSAIRE DE LA GUERRE D’INDÉPENDANCE POURRAIT-ELLE ÊTRE L’OCCASION DE NOUVEAUX GESTES ?
Au cours de son premier mandat, le chef de l’État avait pris plusieurs initiatives : restitution des ossements de 24 résistants algériens tués au XIXe siècle, reconnaissance de la responsabilité de l’armée française dans la mort du mathématicien communiste Maurice Audin et de l’avocat nationaliste Ali Boumendjel durant la bataille d’Alger en 1957 et ouverture des archives de la guerre d’Algérie.
La commémoration, en juillet 2022, du 60e anniversaire de la guerre d’indépendance pourrait-elle être l’occasion de nouveaux gestes ? À voir. Mais cette politique hexagonale des petits pas mémoriaux n’est pour l’heure pas suivie de réciprocité de la part des Algériens.
Si l’historien Benjamin Stora a déjà rendu, en janvier 2021, son rapport sur la mémoire et la colonisation, son confrère algérien Abdelmadjid Chikhi, chargé des archives et des mémoires, est aux abonnés absents. Là encore, il y a du travail à faire côté algérien.
L’autre dossier d’une extrême sensibilité est celui de la coopération en matière de lutte contre l’immigration clandestine et de délivrance de visas, à l’origine de la brouille de 2021 et du rappel de l’ambassadeur d’Algérie en France en octobre, avant son retour en poste en décembre.
Représailles
Le manque de coopération d’Alger dans l’application des obligations de quitter le territoire français (OQTF) et dans la délivrance des laisser-passer consulaires permettant à ses ressortissants en situation irrégulière ou ayant fait l’objet d’une expulsion a aussi provoqué la colère de l’Élysée et du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin.
LES AUTORITÉS ALGÉRIENNES N’ONT PAS ÉTÉ FRANCHEMENT COOPÉRATIVES SUR LE DOSSIER MIGRATOIRE
Ce dernier a été accusé par le président algérien d’avoir proféré un « gros mensonge » en dénombrant, en octobre 2021, « 7 000 ressortissants » algériens situés en France qu’il fallait reconduire à la frontière.
« Les autorités algériennes n’ont pas été franchement coopératives sur ce dossier en prétextant plusieurs raisons et impératifs liés à la crise sanitaire et à la fermeture des frontières mais qui ne nous semblent pas tout à fait pertinents », déplore une source diplomatique à Paris.
Résultat ? En guise de représailles, le gouvernement français annonce en septembre la réduction de 50 % du nombre de visas accordés aux ressortissants algériens. Ce rabotage drastique ne touche pas les étudiants et les hommes d’affaires mais plutôt les responsables politiques.
« On va plutôt ennuyer les gens qui sont dans le milieu dirigeant, qui avaient l’habitude d’obtenir des visas facilement », expliquait Macron lors d’un échange avec dix-huit jeunes gens issus de familles ayant vécu intimement la guerre d’Algérie, selon le quotidien français Le Monde du 2 octobre.
Près de dix mois après la colère de Paris en réaction à ce manque de coopération, ce dossier n’a pas connu d’évolution significative. Selon les données fournies en janvier 2022 par le ministère français de l’Intérieur, 63 649 visas ont été délivrés par les consulats français en Algérie durant l’année 2021. Soit une baisse de 13,1 % par rapport à l’année précédente. Des sources proches de ce dossier précisent que les années 2020 et 2021 présentent un motif particulier en matière de délivrance de visas en raison de la pandémie et de la fermeture des frontières. Toutefois, un effort a été consenti en direction des étudiants pour préserver cette catégorie des effets de la crise.
Mon Islam, ma liberté. Essai de Kahina Bahloul. Koukou Editions, Alger 2022. 199 pages, 1500 dinars
Certes, c'est la première femme imame à diriger une mosquée en France (son premier prêche a été donné en février 2020... juste avant que le président Macron ne lâche le nouveau terme de «séparatisme»... («Encore un énième reproche qui vient rallonger les tristes qualificatifs accolés à ma religion ces dernières décennies...» (p173), mais ce n'est pas une première dans l'histoire. Dans plusieurs recueils de la tradition prophétique des hadiths, on rencontre une femme imame, Oum Waraqa. On a plusieurs imams femmes dans les pays occidentaux (Etats-Unis, Canada, Angleterre, Danemark, Allemagne...) mais aussi en Chine... depuis le XVIIIe siècle.
C'est la voie choisie par Kahina Bahloul. Diriger les prières et enseignante au niveau d'une mosquée n'est pas chose aisée. Peut-être même à la limite dangereuse. Au minimum, elle recueillera critiques et insultes quand ce ne sont pas des menaces. Heureusement, elle est à la hauteur de son prénom et de la maîtrise de ses classiques religieux. Avec une grande préférence pour l'œuvre d'Ibn Arabi («Al-Futûhât al-Makkiyya» et «Turjuman Al Ashwaq»), le grand mystique andalou (dont le plus célèbre et le plus fidèle interprète a été l'Emir Abdelkader et ceci transparaît dans l'universalisme et l'humanisme qui caractérisait ses écrits, sa spiritualité et son action d'homme politique). Bref, le soufisme.
Le soufisme a, globalement, une opinion favorable des autres religions en raison de chaque individu de sa vision libérale. Il accorde, en outre, une importance primordiale à l'expérience intérieure de chaque individu et privilégie une approche relativement non dogmatique de la religion musulmane.
L'Auteure : Première femme imame en France. Née d'un père algérien de Kabylie et d'une mère française, elle a grandi en Algérie au plus près de la montée de l'intégrisme islamiste (1991-2002). Spécialiste de la mystique musulmane et plus particulièrement de l'œuvre d'Ibn Arabi, elle décide de s'engager plus activement à la suite des attentats terroristes (en France) de 2015. Elle fonde en 2019 la mosquée Fatima d'inspiration soufie ouverte aux femmes... voilées ou non.
Table : Introduction/ Première partie : Le retour aux sources/ Deuxième partie : Pour une réforme aujourd'hui/Troisième partie : Pour un Islam spirituel/ Conclusion/ Notes/ Bibliographie.
Extraits : «L'islam aujourd'hui plus qu'à toute autre époque se caractérise par une inflation des lectures normatives centrées sur l'interdit et le permis, l'amputant ainsi de toute dimension spéculative ou mystique (p37), «Ce qui pose problème aujourd'hui, ce sont les lectures patriarcales du texte sacré, faites par des hommes ayant évolué dans des traditions misogynes où le rôle de la femme se limite à la sphère domestique (p114), «Le soufisme, courant spirituel de l'islam, a globalement une opinion favorable des autres religions en raison de sa vision libérale» (p137).
Avis : Pour un Islam moderne et libéral. Pour un Islam affranchi des peurs et des scléroses...C'est ce que l'on retrouve dans cet ouvrage franc, courageux et précis dans ses démonstrations.
Citations : «La foi ne s'hérite pas, elle s'acquiert, elle s'embrasse de plein gré, par un assentiment profond du cœur .Il n'y a rien de plus exigeant vis-à-vis de la liberté que la foi. Elle ne supporte ni contrainte ni coercition» (p10), «Sans le doute, aucun processus de recherche ne peut être entamé, que rien ne peut être désiré et découvert (...) Le doute et le questionnement suscitent, alimentent et renouvellent la foi à chaque instant, ils la gardent vivante et en mouvement» (p13), «Isoler la cause féministe des autres combats humanistes est souvent un prétexte pour les disqualifier» (p93), «Le discours des intégristes est un discours totalitaire et essentialiste. S'il y a une seule femme sorcière, elles le deviennent toutes...» (p118), «Ne demandez jamais quelle est l'origine d 'un homme, interrogez plutôt sa vie, ses actes, son courage, ses qualités et vous saurez qui il est» (Emir Abdelkader cité, p 163).
Depuis deux ans, Kahina Bahloul exerce en libéral, loin des conservateurs. Elle présente aujourd'hui, dans un livre, sa vision d'un islam des lumières. Rencontre éclairée.
par
Dorothée Werner
Un père kabyle, une mère française, une grand-mère juive polonaise et un grand-père catholique : Kahina Bahloul sait mieux que personne la richesse et la complexité d'avoir des origines mêlées. Enfant choyée par sa famille paternelle en Algérie, elle fut une étudiante ivre de liberté en débarquant à Paris. Depuis deux ans, cette fine islamologue de 42 ans a choisi de devenir imame libérale. Nourrie de spiritualité, cette républicaine pourrait être l'équivalent musulman de la rabbin Delphine Horvilleur . Tout comme Kahina Bahloul n'est pas reconnue par les représentants de l'islam de France, trop conservateurs, Delphine Horvilleur ne l'est pas non plus par l'autorité juive centrale de France. Cela n'arrête pas son chemin hors norme, bien au contraire. Dans « Mon islam, ma liberté », elle en fait le récit lumineux, sans l'ombre de la moindre complaisance envers tous ceux qui instrumentalisent l'Islam pour tuer ou asservir.
ELLE. Le titre de votre livre, « Mon Islam, ma liberté », est-il une provocation ?
KAHINA BAHLOUL. Non ! La spiritualité musulmane m'a libérée intérieurement. Je déplore que la religion musulmane soit devenue très normative, avec une inflation de règles et de prescriptions au détriment de la spiritualité, qui est son essence même, comme toute religion.
ELLE. Dans les années 1990, en Algérie, vous avez vécu la décennie noire du terrorisme islamique, qui a fait des centaines de milliers de morts. À 15 ans, quelle image aviez-vous de la religion ?
K.B. J'ai vécu un basculement entre celle que j'ai connue petite, basée sur l'éthique, les valeurs humanistes universelles de générosité et de solidarité, et celle dont se revendiquaient les intégristes religieux, notamment les Frères musulmans. J'ai assisté de l'intérieur à une transformation de toute la société algérienne, dans ses mœurs et ses comportements du quotidien. C'était un basculement dans l'extrême violence, dans l'horreur. Des villages ont été exterminés en une nuit, on a découvert des charniers, des puits remplis de centaines de cadavres…
ELLE. De quoi être plutôt dégoûtée de la religion, non ?
K.B. Oui ! Par la manipulation, ces gens parviennent à établir une grande confusion, tout en jouant sur la peur et la culpabilité. Ils s'arrogent le droit de dire : « Voici le vrai islam, sinon, vous êtes de mauvais musulmans. » L'islamisme s'exerce en premier lieu contre les musulmans eux-mêmes. Pour l'adolescente que j'étais, c'était un choc très déstabilisant, un vrai désarroi. Ceux qui tuent au nom de Dieu finissent par vous convaincre que cette religion est violente par essence. J'ai mis des années avant d'y voir plus clair.
ELLE. À 24 ans, vous prenez vos distances en venant poursuivre vos études de droit à Paris…
K.B. Oui, la seule chose dont j'avais envie était de partir, d'être une femme libre. À Paris, j'ai été ravie de pouvoir aller me promener, prendre un train sans rendre de comptes. Je me suis délectée de cette liberté ! Se sentir libre de son corps, porter un short quand il fait 35 degrés, c'est génial aussi. J'ai connu une Algérie sans voile . Je n'en ai jamais porté, mais il fallait garder une certaine pudeur. Pas de minijupe, mais un maillot à la plage… Le rapport au corps de la femme était très compliqué, on passait de contradiction en contradiction.
ELLE. La mort de votre père a-t-elle été le déclic qui vous a fait redécouvrir votre religion ?
K.B. Oui. J'étais ravagée par le chagrin. Je questionnais le sens de la vie et de la mort, j'avais besoin de réponse. Je me suis intéressée au bouddhisme, à la philosophie… Pourquoi l'islam ne m'apportait-il pas de réponse ? Un jour, mon médecin, une femme chrétienne extraordinaire, m'a conseillé d'aller voir du côté du soufisme. Ce fut une révélation.
« CHAQUE FEMME DOIT POUVOIR GÉRER SON CORPS COMME ELLE EN A ENVIE »
ELLE. Comment définiriez-vous l'islam qui vous parle ?
K.B. On comprend souvent le soufisme comme une branche dissidente de l'islam, voire opposée à l'islam. En tant qu'islamologue et spécialiste de la mystique musulmane, je sais que c'est faux. Depuis le début, c'est la dimension spirituelle de l'islam, l'essence de la pensée musulmane.
ELLE. Pourquoi écrivez-vous : « J'ai du mal à me définir comme féministe » ?
K.B. Je me considère comme humaniste. Je ne comprends pas pourquoi, quand on revendique plus de justice pour les femmes, on éprouve le besoin de les faire sortir du genre humain et d'en faire une catégorie à part. Le féminisme est un humanisme inclusif : si la justice doit être rendue aux femmes, c'est au nom de leur humanité, tout simplement !
ELLE. Comment comprenez-vous le retour du voile en France, souvent volontaire de la part des jeunes filles ?
K.B. J'explique dans mon livre à quel point l'évolution de cette question est complexe. Dans les années 1990, en Algérie, les femmes se sont mises à se voiler sous l'influence des islamistes qui veulent faire croire que le voile est une obligation religieuse. Derrière cette fausse croyance, il y a une vision misogyne et exclusive de la femme. Dans ce système de domination patriarcale, elle est considérée comme un corps à maîtriser. En France, on ne peut pas séparer le retour du voile de l'influence intégriste. Mais beaucoup de celles qui décident de le porter n'adhèrent pas à cette pensée et le considèrent plutôt comme un marqueur identitaire. Des intégristes comme Tariq Ramadan ont beaucoup joué sur cette ambivalence.
ELLE. Que pensez-vous des femmes « féministes islamiques » ?
K.B. Cela me gêne. Sortir la femme musulmane des autres femmes me semble problématique. En tant que femmes, nous avons toutes les mêmes préoccupations : pouvoir sortir la nuit en sécurité, être libres de notre corps, être respectées dans notre dignité. Cette désignation est une manipulation de l'islam identitaire, radical et politique. Ses défenseurs instrumentalisent les femmes, comme si leur corps était un sujet politique à gérer collectivement, par les leaders religieux. Non. Chaque femme doit pouvoir gérer son corps comme elle a envie.
ELLE. Que signifie pour vous être imame ?
K.B. La première imame a été l'Américaine Amina Wadud en 2005, puis la Danoise Sherin Khankan… il existe deux imames en France. Ma fonction est la même que celle d'une femme rabbin ou pasteur. Dans l'islam, il n'y a pas de notion de clergé, l'imam n'a pas une fonction sacrée, il anime des cérémonies religieuses et transmet un savoir.
ELLE. Cela fait deux ans que vous célébrez les offices du vendredi, pourquoi n'avez-vous toujours pas de lieu dédié ?
K.B. C'est compliqué. J'en profite pour lancer un appel ! On a du mal à trouver des salles à louer dans Paris, nous les finançons grâce au crowdfunding. Notre problème est lié à l'organisation de l'islam de France, qui est subventionné par des pays musulmans étrangers. Or ils ont une lecture de la religion conservatrice, parfois intégriste, et ne reconnaissent pas l'imamat libéral et féminin…
ELLE. Qui vient dans vos offices ?
K.B. Des jeunes, des personnes âgées, des convertis ou non, des curieux qui ont besoin de comprendre, ou d'entendre un discours moins archaïque… Depuis la pandémie, je fais des « live » sur Facebook. Ce que j'entends le plus est : « Merci de m'avoir expliqué ma religion. »
ELLE. Vous êtes insultée et menacée par des musulmans radicaux, et vous venez de sortir un livre. Avez-vous peur ?
K.B. Parfois, j'ai peur, bien sûr. C'est normal. Mais je reste très prudente, et je passe outre. Avec la peur, on ne fait jamais rien de sa vie.
ELLE. Comprenez-vous le rejet que suscite l'islam dans une société secouée par le terrorisme ?
K.B. La France a été meurtrie, je comprends que les Français soient horrifiés et qu'une première réaction soit le rejet. Mais on ne peut pas mettre tous les musulmans dans le même sac. Je regrette que l'on s'arrête à cette idée fausse et délirante, forgée par les islamistes eux-mêmes, que l'islam est violent et meurtrier par nature. Certains polémistes médiatiques comme Éric Zemmour en font hélas leur fonds de commerce. Réduire la richesse d'une religion et d'une civilisation vieille de quatorze siècles à cette idée, sous prétexte que quelques fous ont décidé d'aller se faire exploser en criant : « Alla-hou akbar », c'est abject. Avec mon livre, j'invite les lecteurs à être plus curieux et à découvrir l'islam des Lumières malheureusement méconnu, y compris par les musulmans eux-mêmes !
La boîte noire de l'Islam. Le sacré et la discorde contemporaine. Essai de Amin Zaoui. Tafat Editions, Alger 2018, 500 dinars, 155 pages. (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel)
Pas si drôle que ça, le titre de l'essai. Tragique même. Car un avion qui a perdu sa «boîte noire» est un appareil qui, de toute évidence, s'est écrasé, emportant avec lui, dans un «autre monde» la quasi-totalité, sinon la totalité de ses passagers.
Mais que s'est-il donc passé ? Depuis quelques siècles, en matière de religion en général et d'Islam en particulier, chacun y est allé de son approche, de ses analyses, de ses observations, de ses critiques... et, depuis quelques décennies, la cogitation n'a fait que croître.
Un phénomène naturel ! La disparition des colonialismes classiques alors bien visibles, l'apparition de substituts moins présents mais plus pernicieux comme la mondialisation, la globalisation... et, surtout, l'«invasion» des nouvelles technologies de la communication qui a entraîné de nouvelles formes de vie culturelle et cultuelle... Elles ont donc relancé les débats... puis des ««conflits» que l'on croyait oubliés ou à jamais enterrés, d'où de nouvelles interrogations et d'autres recherches, analyses et propositions. Des plus sérieuses aux plus farfelues. Des plus compréhensives aux plus intolérantes. Des plus pacifiques aux plus belliqueuses.
L'auteur, qui n'en est pas à sa première incursion en la matière, a emprunté (plutôt, a continué) une voie qui est, peut-être, la plus simple et la plus porteuse d'espoir d'un «vivre ensemble» selon sa foi, dans le respect de la loi... et surtout dans la tolérance et l'amour du prochain. Pour le plus grand bien-être de la collectivité.
Il n'y va pas par quatre chemins (et ce qui est le plus pédagogique quand on vise le plus large public) pour se (nous) sortir de la «boîte noire»: ne plus vivre en otage d'un côté par la chariâa et de l'autre par les ulémas de cette chariâa.
Pour lui, la chariâa islamique n'est autre que des interprétations temporelles (d'ailleurs contestées et sources de conflits et de différends, pour la plupart sanglants) des textes sacrés, des lectures controversées réalisées par des êtres humains. Des «Ulémas» (traduits par «Savants» bien qu'ils n'aient rien inventé, «moulins de la rhétorique»... ce qui a amené une historienne, je crois, à utiliser le mot de «Sachants»), certes... mais qui «avec le temps qui passe et l'ignorance qui s'installe» se sont métamorphosés en gourous.
Ajoutez-y les intrigues pour la subordination de la chariâa à la politique et aux politiciens au pouvoir (ou à sa prise) et l'on commencera à déchiffrer -difficilement et à v(n)os risques et périls- la «boîte noire».
Au total, plus d'une cinquantaine d'articles et autant de sujets. Des chroniques sociétales et cultuelles ? Des articles critiques ? Plus que ça. Des pensées (des «dits») raisonnées qui prennent leur source dans une vaste culture religieuse et une observation multi-directionnelle des terrains.
Quelques exemples: Le racisme («l'homme noir dans l'imaginaire musulman»), la «boîte noire de l'Islam» (une personne... Abou Hourayra), l'athéisme, le terrorisme, les musulmans, leur Livre et les livres, les imams, l'amour, le fatalisme (au pays d'inch'Allah»), le voile islamique, l'islamisation en Kabylie, les juifs maghrébins, le juste milieu, La Mecque, Le halal et le haram, le citoyen et le croyant, le corps féminin, l'école coranique, la poupée Barbie, patrie et religion, l'humiliation des femmes berbères... par un calife omeyade, la colonisation turco-ottomane (1515-1830), la haine (structurée et graduée... contre la femme, contre le juif, contre l'Occident, la laïcité, l'athée, le communiste, les droits de l'homme, le temps)...
L'Auteur : Né en novembre 1956 à Bab El Assa (Msirda/Tlemcen). Etudes primaires au Maroc, Lycée à Tlemcen, Université d'Oran, Docteur d'Etat à Damas, Enseignant de littérature puis Directeur du Palais des Arts et de la Culture d'Oran et de 2003 à 2008, Directeur général de la Bibliothèque nationale d'Algérie (un «Âge d'or» selon moi, mais vite étouffé)... Écrivain bilingue (arabe et français), auteur de plusieurs ouvrages (des romans, des essais, un beau livre...) dont certains traduits dans plus d'une dizaine de langues... chroniqueur de presse...
Extraits : «L'époque des lumières de Tolède musulmane fut un exemple du «vivre ensemble». Dans cette ville, plutôt cette principauté, vivaient en harmonie les juifs, les chrétiens, les musulmans et non-croyants, faisant de leur cité un espace de respect et d'échange. Et cette vie en commun, avec sa diversité religieuse et culturelle, a engendré un mode de vie exceptionnel et harmonieux dans l'histoire de l'Andalousie musulmane» (p 21), «Critiquer l'islam radical, en Europe, cela signifie que vous êtes automatiquement taxés d'islamophobe... Critiquer l'islam radical en terre d'Islam, dans le monde arabo-musulman, cela signifie que vous êtes un aliéné» (p 22), «L'Algérie a vécu deux épreuves historiques consécutives : le mal de la colonisation orientale et celui de la colonisation occidentale. Notre peuple a goûté aux deux recettes !! Shawarma et Omelette !» (p 139), «Sans la réconciliation avec notre patrimoine local et universel de rationalité, le fanatique prendra le dessus par rapport à la critique, le féqih vaincra le philosophe, le charlatan battra le scientifique, l'hypocrisie voilera la sincérité » (p 144).
Avis : Un livre pamphlet écrit rageusement par un intellectuel vrai, bien ancré dans le réel... par un homme fidèle à son engagement et un auteur fidèle à son style. Avec une plaidoirie solidement argumentée et courageuse en faveur des valeurs de la citoyenneté («la religion commune dans une société moderne»)... avant tout... «la patrie étant plus vaste que la religion».
Sur le plan de la forme, beaucoup de coquilles. Dommage ! Ce qui est certainement dû à une certaine précipitation dans l'édition... et les auteurs devraient automatiquement et sans complexe s'astreindre (ou demander) l'épreuve des corrections avant tout B.a.t et impression.
Citations : «L'athéisme est le miroir fidèle de la foi. Il n'y a pas de foi sans la présence de l'athéisme. Une présence chez l'individu ou dans le collectif. L'athéisme n'est pas l'équivalent de l'égarement ou de l'erreur. Il est l'image humaine d'un état de questionnement éternel» (p 19), «Dans la religion des salafistes, on parle beaucoup de sexe, mais rien sur l'amour» (p 44) , «Dieu n'habite pas La Mecque ; il habite les cœurs pleins d'amour et d'adoration» (p 73), «Lire, c'est chercher à multiplier sa vie individuelle par le nombre de livres lus» (p 77), «Dans le monde arabo-musulman, la seule guerre qui, depuis quinze siècles, arrive à faire rassembler tout le monde, c'est celle déclenchée contre la femme» (p 93), «Notre société a perdu l'islam en adoptant l'islamisme» (p 124), «Si l'Histoire est un rouleau compresseur, les intellectuels sont les faiseurs de cette Histoire. Par la raison, par la lumière, par la science, ils font bouger les lignes de l'interdit, reculer la zone de l'ignorance et de la peur et élargir le champ de la liberté de pensée» (p 129), «La société arabo-musulmane vomit tout respect à la notion du temps. Elle n'a aucune estimation, aucune considération pour le temps, parce que le temps est lié au travail, parce que le travail est lié au capital, parce que le capital est l'image du juif et de l'Occident athée...» (p 152).
Amin Zaoui : «Il faut avoir le courage intellectuel pour dénoncer la mainmise sur la religion au nom de la politique»
Posté le 02.08.2018
Dans cet entretien, Amin Zaoui revient sur son essai «La Boîte noire de l’islam», paru récemment aux éditions Tafat, dans lequel il aborde la question très actuelle du sacré. Dans ses textes, il défend des thèmes chers à son cœur, notamment la liberté et le vivre-ensemble.
Reporters : Vous avez publié chez Tafat un nouveau recueil de chroniques intitulé «La Boîte noire de l’Islam» orienté vers les questions liées au sacré. Cela est-il en lien avec l’actualité de l’Algérie et du monde ou les raisons sont ailleurs ?
Amin Zaoui : Avant de le publier sous forme de chroniques, «La boîte noire de l’Islam» fut d’abord un avant-projet de livre. En le publiant, en partie, sous forme de chroniques, je voulais le faire connaître auprès de mes lecteurs «journalistiques» avant de le faire sortir en volume livre/librairie, aux éditions Tafat. Le sacré est une problématique qui me hante, sur le plan philosophique comme sur le plan littéraire romanesque. Le charlatanisme religieux et politique, profitant de la naïveté des citoyens, exploite le sacré pour faire passer ses messages et atteindre ses abjects objectifs. Dans une société où la culture de la raison est absente ou agonisante, où la pluralité culturelle et religieuse sont bafouées, le charlatan devient un intellectuel et le charlatanisme une religion. Le mal de cette société vient de cette exploitation du sacré par les hypocrites religieux et politistes. Et c’est le rôle des écrivains et des intellectuels éclairés de s’attaquer à ce commerce religieux illicite. Je suis convaincu que notre problème, en Algérie, n’est pas économique, mais plutôt civilisationnel et culturel. La religion est utilisée comme moyen pour éloigner le citoyen de sa réalité. La religion est la drogue la plus efficace pour endormir une société.
La charia serait, selon vous, cette «boîte noire de l’islam» qui l’aurait «vidé de sa spiritualité et de son ouverture», pourquoi ?
Dans «La boîte noire de l’Islam», j’ai imaginé l’islam comme un avion qui a chuté dans les eaux profondes d’un océan, un vieil avion de quinze siècles sans pilote! Et afin de comprendre les conséquences de ce crash, j’ai ouvert la boîte noire que j’ai trouvée dans les textes religieux et dans l’histoire de ces textes. J’ai lu, j’ai essayé de décoder le message qui explique cette chute catastrophique. Ainsi, j’ai essayé d’interpeller le pourquoi de «la haine islamique envers la femme», le pourquoi de «la violence islamique», le pourquoi de ce «sang islamique», le pourquoi de «la phobie de l’autre»… Effectivement, la charia est un ensemble de textes politiques avec une rhétorique religieuse. La charia est une explication politique saisonnière dont le but est de jeter la société musulmane dans une prison au nom des lois islamiques bien sélectionnées. Chaque calife avait son mufti qui est une sorte du ministère de la propagande religieuse. Chaque calife avait son Coran, parce que le Coran, sur le plan social, est une interprétation politique, juridique et sociétale! C’est les califes omeyyades qui ont débuté cette tradition, non recommandée par le prophète, afin de mettre une interprétation bien définie pour le texte sacré, le Coran, et mettre en avant des hadiths falsifiés ou pas fiables pour justifier leur pouvoir sur la société musulmane et justifier leur mainmise sur la religion. Et depuis, et jusqu’au jour d’aujourd’hui, chaque calife, président, roi ou roitelet a fait de l’islam un costume sur-mesure !
Pour quelles raisons, selon vous, les idées les plus radicales et les pensées les plus dogmatiques trouvent un écho auprès d’un nombre important de personnes ?
Aux yeux des pouvoirs politiques, la religion n’a jamais constitué un but en lui-même, elle n’est qu’un moyen fort pour gouverner, pour régner. Celui qui détient les mosquées déteint le pouvoir. Ce ne sont pas les universités qui forgent le pouvoir ou détrônent celui qui le détient. D’abord, le discours extrémiste islamiste est un discours populiste, accessible et piégeur. Il ressemble au discours fasciste. Il rêve d’une oumma et un califat islamique sans frontières. Une oumma sur toute la planète, où ne vivent que les musulmans. Les autres n’ont pas droit d’y vivre parce que l’islam, aux yeux des extrémistes religieux, est la dernière religion révélée ; la seule religion vraie et absolue. Les autres sont falsifiées et n’ont pas le droit d’exister. Leur existence est contre Allah. Cette idéologie hégémonique a trouvé une terre fertile pour germer ses grains empoisonnés. Une société sans culture de liberté, sans culture de la rationalité. Une population qui vit sans rêve. Des générations suicidaires. Et parce que l’idéologie religieuse islamiste extrémiste use d’un discours coléreux, elle a trouvé et facilement sa place et son impact sur ces générations égarées. Cette idéologie néo-fasciste est opérante parce qu’elle présente le passé historique des musulmans comme un temps paradisiaque, angélique, ce qui est complètement faux. L’Histoire des musulmans est une Histoire pleine de sang et de violence, cela perdure depuis la mort du Prophète. Les guerres entre les compagnons du Prophète nous montrent l’image de cette violence et de cette soif du pouvoir au nom de la religion ! Cette idéologie extrémiste religieuse néo-fasciste fait rêver les jeunes en détresse de mettre la main sur les richesses de l’Occident athée, prendre en butin de guerre les femmes, l’agent et la technologie!
Et les intellectuels «éclairés» dans tout cela ? Sont-ils démissionnaires ?
Nos intellectuels éclairés sont démissionnaires ou loin de la réalité. Ils vivent dans un silence complice. Dans chaque intellectuel éclairé sommeille un féqih ! Ce féqih se réveille dès qu’on touche à la religion ! Il n’existe plus ou peu d’intellectuels, à l’image de Mouloud Mammeri, de Jean Sénac ou de Kateb Yacine… Des intellectuels de réflexion, mais aussi de terrain. Nos intellectuels éclairés sont paresseux et fainéants surtout les arabisants. Ils ne participent pas dans le débat ou peu, et avec hésitation et confusion.
Vous le dîtes dans votre note introductive de «La boîte Noire de l’Islam» et vous le rappelez dans vos chroniques : le citoyen passe avant le croyant. Comment l’être selon vous?
Sur le plan institutionnel, nous sommes dans un Etat basé sur le droit civil, un Etat séculier, mais, en réalité, nous vivons dans un Etat pris en otage par une société religieuse. Le poids de la religion se sent partout. La société est régentée par le religieux. Il y a une énorme régression dans la liberté individuelle. Notre société est devenue un «ensemble d’êtres humains», un nombre de «gens qui se ressemblent». La société s’est transformée en un espace de clonage intellectuel. L’intellectuel de service politique, professionnel ou de nourriture ! Usant du même discours religieux, imprégnés par le même discours religieux, les citoyens, plutôt les individus, sont devenus identiques, le médecin comme le forgeron, l’universitaire à l’image de l’épicier. Face à cette uniformisation idéologique, la société est gangrénée par l’hypocrisie religieuse, intellectuelle, politique et morale. Le chaos dans l’échelle des valeurs. La patrie est un espace pour la diversité, pour la différence. Elle est capable, et elle est créée pour abriter les religions et les langues et les cultures de ses citoyens. Et c’est à l’Etat de droit de garantir cette pluralité en cultivant la culture de la citoyenneté au lieu d’encourager la culture de la foi. La foi, c’est un acte personnel. Un contrat entre créature et créateur ! La foi, dans notre société, est devenue un acte politique. Il faut que l’Etat, garant de la cité, veille au respect de la différence comme principe fondamental de la citoyenneté.
Vous avez titré cette note introductive «Islam(s) ou le non-dit !», est-ce une manière de souligner les différentes interprétations de cette religion ?
• L’Islam a une multitude de visages, selon les interprétations faites au texte fondamental de cette religion qui est le Coran. Les musulmans prient d’abord leur calife avant de prier Dieu. C’est le Calife qui est l’ombre de Dieu sur terre. Et chaque Calife a ses féqihs qui produisent des lectures des textes religieux à sa taille, sur commande. Donc le nombre d’Islams est au nombre des califes. Il y a l’islam de Daesh, celui du wahhabisme, celui du chiisme, celui des Mozabites, celui des Maghrébins, et chacun de ces islams a enfanté d’autres islams. Et chaque islam voit en lui la vérité divine absolue et en même temps considère que l’autre est un islam égaré et faux. Et par conséquent, il faut lui déclarer la guerre. Et c’est cela la réalité de l’islam politique dans le monde arabo-musulman.
Pensez-vous qu’il existe aujourd’hui en Algérie un véritable débat sur la question de l’islam ou vous vous sentez un peu seul ?
Je pense que la question de la religion et celle de la religiosité sont des phénomènes d’absurdité démesurée dans notre société. Si on n’arrive pas à établir un Etat séculier qui respecte la citoyenneté, on n’arrivera jamais à accéder à la modernité et à la liberté. Il faut avoir le courage intellectuel pour dénoncer la mainmise sur la religion au nom de la politique. Il nous faut un statut clair qui définit le rôle des mosquées. Il faut revoir le statut des écoles coraniques qui sont des bombes à retardement.
Dans quel état d’esprit vous écrivez vos chroniques ?
J’écris mes chroniques quand je me sens interpellé. Mon entourage universitaire et intellectuel, dans son côté fanatique, m’interpelle. Je suis un citoyen qui fait le marché et respecte la file d’attente devant la boulangerie ou devant l’agence de voyage, donc ce quotidien m’interpelle. La société algérienne est une mine de sujets qui nous interpellent, sur le plan religieux, sur le plan politique, sur le plan intellectuel, sur le plan universitaire, artistique… Je n’aime pas écrire en colère. Je préfère l’humour pour dénoncer. L’humour est plus fort que la colère. Je suis choqué par l’absence de la raison dans notre société prise en otage par le religieux et le fanatisme.
Pensez-vous traduire ce livre ?
J’ai déjà signé un contrat pour une traduction en allemand, il sortira aux éditions Sujet Verlag.
Cette question ne concerne pas votre livre directement, mais elle rejoint cet idéal de liberté que vous défendez : vous avez signé une tribune il y a quelques jours dans «Al-Arab» sur la liberté de création dans le Monde arabe. Vous y évoquiez les voix qui s’élèvent pour confiner les auteurs dans des cases, ce qui ne concorde par avec la réalité puisqu’il y a toujours des interconnexions et des liens entre les genres littéraires.
Dans la culture et la littérature arabes, le religieux a affecté la création. Ainsi dans la pensée littéraire arabe dominante, il est interdit ou mal vu celui qui mélange les genres littéraires, ou celui qui écrit dans plusieurs genres littéraires. Cette pensée littéraire conservatrice hisse des barrières entre les genres littéraires. Et cette situation bloque ou handicape la liberté de l’imaginaire dans l’écriture littéraire. Ces derniers temps, les critiques et les journalistes littéraires arabes parlent beaucoup de ce qu’ils appellent «l’exode littéraire des poètes vers le roman» tout en condamnant cet acte. La littérature, le texte littéraire, est libre dans sa forme et dans son style. La liberté est le sens et l’essence du beau. Il n’y a pas de frontières entre le roman et la poésie. Dans chaque texte narratif, il y a une poétisation et il y a du poétique, et dans chaque texte poétique il y a de la narration. La faiblesse des textes littéraires arabes réside, en partie, dans cette mentalité conservatrice moraliste qui règne et oriente inconsciemment le créateur dans son atelier.
Pierre Audin, fils du chahid Maurice Audin, mort pour l'indépendance de l'Algérie, vient d'obtenir, ce 14 avril, son passeport algérien après plus de 55 ans d'attente, lui qui est Algérien de fait depuis 1963. Il répond, dans cet entretien, à quelques-unes de nos questions autour de cet acte puissant à forte teneur symbolique.
Le Quotidien d'Oran : M. Pierre Audin, vous venez d'obtenir très récemment un passeport algérien et donc officiellement la nationalité algérienne. On devine la motivation très profonde qui vous a poussé à accomplir une telle démarche à très forte portée symbolique, un tel acte quasi fondateur. Pouvez-vous nous en parler davantage SVP, nous confier le cheminement intellectuel, émotionnel et aussi administratif qui vous a conduit à faire ce choix ?
Pierre Audin : En réalité, comme me l'ont expliqué des amis algériens, j'avais la nationalité algérienne sans le savoir depuis que ma mère l'avait obtenue, par décret du 4 juillet 1963. Selon la loi algérienne, je suis Algérien. En novembre 2018, j'ai donc commencé des démarches auprès de l'ambassade d'Algérie en France. En août 2020, le président a confirmé ma nationalité algérienne, et en avril 2022 le consul général m'a donné mon passeport vert. C'est la première fois que j'ai des papiers algériens, alors que je suis Algérien depuis presque 59 ans ! J'en suis fier et ému. Maintenant, si je veux m'adresser au président algérien, ce sera à mon président que je m'adresserai.
Le Quotidien d'Oran : Ma seconde question va vous paraître assez difficile : pensez-vous que l'Algérie a fait son devoir pour honorer la dette qu'elle a contractée vis-à-vis des Européens (tel votre regretté père) qui se sont battus à ses côtés durant la guerre d'Indépendance ?
Pierre Audin : Josette et Maurice Audin se considéraient comme Algériens. Ils ne se sont pas battus à côté des Algériens mais parmi eux, pour l'Algérie, leur pays. Ils sont entrés au PCA (Parti communiste algérien) pour mener la lutte pour l'indépendance de l'Algérie. Le 1er novembre 1954, il y avait déjà longtemps que le PCA revendiquait l'indépendance. Dans le PCA, il y avait environ 40% d'Européens, qui luttaient pour l'indépendance de leur pays, l'Algérie. Lorsqu'on se bat pour un idéal, on n'attend rien en retour. Ce n'est pas un marché. Le seul devoir qu'on a vis-à-vis de ceux qui sont morts pour cet idéal, c'est un devoir de vérité historique.
Le Quotidien d'Oran : Vous avez fait votre vie en France mais l'Algérie n'a jamais quitté votre cœur, l'Algérie avec laquelle vous avez toujours essayé de garder un lien, de construire des passerelles, notamment au niveau universitaire...
Pierre Audin : Oui. Suite au coup d'État de 1965, ma mère a décidé d'émigrer et en 1966, nous nous sommes donc installés en France. Ma mère était enseignante en mathématiques et m'a transmis sa passion des maths. J'ai d'abord été prof de maths, comme elle, puis j'ai travaillé au Palais de la découverte, à Paris, dans le département de mathématiques, en tant que médiateur scientifique. En 2010, à l'invitation de la DG-RSDT, la direction générale de la recherche, je suis venu à Alger pour la remise du prix de mathématiques Maurice Audin. C'est ainsi que j'ai commencé à travailler avec la DG-RSDT sur des projets de vulgarisation des maths et de la science en général. Développer la culture pour le peuple et en particulier la culture scientifique est une condition indispensable à l'épanouissement d'un pays et à son rayonnement national et international. Il faudrait créer des lieux un peu partout sur le territoire national pour faire vivre cette culture scientifique et la mettre à la portée de tous, et surtout à la portée des jeunes.
Le Quotidien d'Oran : En tant que fils du martyr Maurice Audin qui a donné sa vie pour l'indépendance de l'Algérie, quel message souhaitez-vous adresser au peuple algérien (et en particulier aux jeunes) à la veille de la célébration du 60e anniversaire de celle-ci ?
Pierre Audin : Je suis un Algérien comme un autre, et je ne sais pas faire parler mon père ou les morts en général. Je pense que c'est aux Algériens de décider comment ils veulent célébrer cet anniversaire, comment ils veulent poursuivre l'action des moudjahidine et des chouada. En 2019, le Hirak a montré que le peuple algérien a des aspirations et des ambitions pour l'Algérie. L'économie de l'Algérie reste à construire.
Les ressources sont là certes, mais les hydrocarbures sont une ressource limitée, alors que les jeunes, eux, sont une ressource inépuisable. J'ai eu l'occasion de travailler avec des étudiants et des étudiantes algérien-ne-s : ils ont des idées, des envies, des compétences, des exigences, ils et elles ont tout ce qu'il faut pour construire l'Algérie de demain, une Algérie moderne, multiculturelle, au service du peuple.
26 avril 2022. Les États- Unis convoquent, sur leur base militaire de Ramstein en Allemagne, 40 États, 40 pays occidentaux. C'est tout l'Occident qui est là pour armer de plus en plus l'Ukraine. L'Histoire retiendra peut être cette date, si la guerre a lieu et si l'humanité y survit, comme le début de la troisième guerre mondiale.
Peut-on parler en effet militairement de non belligérance, sauf à faire preuve d'hypocrisie, lorsqu'on voit l'effort de guerre des États Unis, 30 milliard de dollars prévus, et celui dans lequel ils impliquent toujours plus les États occidentaux, ainsi que le type d'armes fournies, de plus en plus lourdes, de plus en plus sophistiquées. Le Secrétaire à la Défense des États Unis , Lloyd Austin , reprenant une formule du président Roosevelt à la veille de l'entrée des États Unis dans la deuxième guerre mondiale, qualifie cet énorme effort militaire «d'aide pour renforcer l'arsenal de la démocratie ukrainienne». Mais il révèle, en même temps, sans autre précaution, que le but de cette réunion, ainsi que celui de la guerre est «d'affaiblir» durablement la Russie. Dans le même sens, et dès le début de la guerre d'ailleurs, le 24 février, le président Joe Biden annonçait des sanctions dévastatrices» contre la Russie et le 7 avril il promettait que «ces sanctions effaceraient quinze ans de progrès économique de la Russie».
Bref, il s'avère, et en fait depuis le début, que les États Unis envisageaient la guerre en Ukraine comme une guerre contre la Russie.
Un tournant dangereux
Mais jusqu'à présent, il s'agissait militairement d'une guerre entre deux pays, l'Ukraine et la Russie. Avec cette réunion du 26 avril, un tournant, dangereux pour tout le monde , est pris résolument par les États Unis, celui vers une guerre de 40 États, de tout l'Occident, par procuration contre la Russie. Les États Unis précisent même que ces 40 États vont garder le contact et se réunir régulièrement pour évaluer la situation militaire. Ce faisant, mais les États Unis en ont-ils conscience, ils donnent de fait ainsi à la guerre en Ukraine l'allure d'une confrontation mondiale.
Le 18 janvier 2017 déjà, au Forum économique mondial de Davos, Joe Biden, alors vice-président des États Unis, accusait le président Poutine de «menacer l'ordre libéral international», c'est-à-dire l'ordre étasunien, la domination jusqu'à présent sans partage des États Unis sur le monde. Un peu partout, actuellement, dans les médias occidentaux, des voix autorisées précisent désormais que la défaite de l'Ukraine serait celle de l'hégémonie occidentale. Remarquons au passage, que l'expression trompeuse, d'il y a à peine quelques mois, de «communauté internationale», a disparu en général du vocabulaire occidental pour laisser la place au mot «Occident».
De son côté, la Russie, elle aussi, désigne clairement l'enjeu actuel de cette guerre, lorsqu'elle parle de remettre en question l'hégémonie occidentale. Elle l'a même fait plus tôt que les États Unis en disant , dès le départ, que ceux-ci n'avait cure de l'Ukraine, et «de la défense du droit international qu'ils n'ont cessé de violer», mais que leur véritable objectif était de mener une guerre contre la Russie par procuration.
L'Histoire nous apprend que, jusqu'à présent, lorsque deux grandes puissances se sont affrontées, ou bien l'une a été détruite ou les deux l'ont été, sauf quelques exceptions. C'est vrai depuis la guerre du Péloponnèse entre Sparte et Athènes et jusqu'aux deux guerres mondiales. Mais cette fois ci, à l'ère nucléaire, c'est le monde qui sera détruit, l'humanité qui probablement disparaitra. Sparte avait dominé pendant cent ans le monde civilisé connu d'alors. Athènes a émergé, et une fois devenue une puissance sur tous les plans, économique, culturel, militaire, elle a demandé plus de place, la place qui désormais lui revenait. La guerre était inévitable.
Un engrenage mortel
L'Histoire nous apprend aussi que lorsqu'une puissance domine le monde longtemps, ce qui est le cas des États Unis, mais aussi, depuis plus longtemps encore, de l'Occident en tant que puissance globale, elle vit sa remise en cause, la contestation de sa domination, l'éventualité de son déclin , comme une agression insupportable. Elle la ressent de façon douloureuse, angoissante, avec aussi le sentiment de l'ingratitude des puissances montantes, dans un monde qu'elles ont la conviction d'avoir bâti, façonné, de lui avoir tout donné: sa technologie, sa culture et même ses valeurs.
Cela ferme leur perception des réalités nouvelles, pire il leur devient pratiquement impossible d' accepter ces réalités. Le changement, le bouleversement de l'ordre établi est vécu comme une menace existentielle. Leur domination est perçue comme une condition de leur survie même. D'où le caractère extrême, aussi bien verbal que matériel, que peut avoir leur affrontement avec les puissances montantes, celles qui les contestent, l'impossibilité totale de prendre en compte le point de vue de l'autre, car tout ce que dit l'autre, tout ce qu'il fait, lui parait une menace. La volonté de compromis n'existe pas. On veut vaincre. Là est le mécanisme intime d'une l'escalade continuelle, et celui de l'escalade actuelle entre les États Unis et la Russie: tout recul de l'autre est interprété comme une faiblesse et donc un encouragement à l'escalade, en même temps que tout succès de l'autre est perçu comme un danger et donc comme une raison d'aller encore plus loin dans l'escalade. Un engrenage mortel.
Du côté de la Russie, un même mécanisme se met en place, même si c'est pour des raisons différentes. L'obsession hégémonique des USA depuis la fin de la guerre froide, celle de l'OTAN à l'encercler, puis à s'installer directement en Ukraine à ses frontières, ont amené la Russie, à avoir, elle aussi, mais par un autre processus, le sentiment que son existence même était menacée. Elle vit, elle aussi, le conflit actuel comme une question de survie. C'est ce qu'a répété sans arrêt Vladimir Poutine.
Tous les ingrédients alors sont réunis pour une déflagration qui ne peut être que majeure, et toucher à l'existence même de l'autre. Les États Unis n'ont pas besoin, du moins actuellement, de recourir à l'arme nucléaire puisqu'ils disposent d'autres armes de destruction massive, notamment économiques et que, surtout, ils peuvent faire mener par les ukrainiens, une guerre par procuration, qu'ils sont décidés à entretenir, à alimenter financièrement et militairement, pour qu'elle soit longue. C'est là leur calcul.
Mais on ne joue jamais tout seul. La Russie ne peut accepter cette différence toute théorique, de plus en plus formelle entre belligérance et non belligérance, d'autant plus que le but de la guerre et l'ennemi sont clairement définis par les États Unis : la Russie. Les États Unis disent qu'ils ne font pas la guerre contre la Russie en Ukraine. Mais c'est une pétition de principe. Ce qui est certain, c'est que la Russie, elle, ne fait pas la guerre en Ukraine contre les États Unis, mais que les États Unis eux la font, presque directement en Ukraine, contre la Russie. Ils le proclament d'ailleurs.
Les situations de la Russie et des États Unis, sont totalement différentes: si les États Unis peuvent faire la guerre contre la Russie par procuration, la Russie elle ne le peut pas. Elle n'a pas d'autre solution que de la faire directement aux États Unis si l'action des États Unis s'avère constituer pour elle une menace directe, stratégique, existentielle. C'est cela qui fait que la situation est lourde de terribles dangers pour le monde.
«Nous les utiliserons si cela s'avère nécessaire»
En désignant à la réunion de Ramstein, aux 40 pays occidentaux, la Russie comme l'ennemi, comme l'objectif de cette guerre en Ukraine, les États Unis en ont changé la signification, y compris aux yeux de certains pays européens. Ils ont imposé au conflit leur vision, leur direction, et le risque désormais probable, d'un affrontement direct.
La réaction du président Vladimir Poutine, le lendemain 27 avril, devant la Douma, à St Petersburg, a voulu prendre en compte désormais clairement ce risque. Il déclare que s'il y a l'ingérence d'un «élément externe», et que la Russie se sent menacée de façon vitale, sa réponse sera «rapide et foudroyante». Il signale une nouvelle fois que la Russie a des armes stratégiques que ne possèdent pas les États-Unis:. «Nous avons pour cela tous les instruments. De ceux que personne ne peut se vanter de posséder.» Et surtout, il précise sur ces armes nouvelles: «Nous ne nous contenterons pas de nous en vanter, nous les utiliserons si cela s'avère nécessaire» et il ajoute « «Toutes les décisions là-dessus ont été déjà prises».
Toute la gravité de la situation est dans ces mots «nous les utiliserons». Jusqu'à présent la règle implicite pour tous, résidait dans la dissuasion nucléaire, c'est-à-dire dans le principe stratégique que les armes nucléaires ne peuvent être utilisées, d'où le terme «dissuasif», parce que leur utilisation signifierait l'anéantissement réciproque. Or on passe désormais à autre chose, à quelque chose de différent de ce qu'a vécu le monde jusqu'à présent, le risque, non plus théorique, mais réel d'une guerre nucléaire.
De théorique, «le risque de guerre nucléaire est devenu réel», comme l'a dit dans une déclaration, le 25 avril, le ministre russe des affaires étrangères, Serguei Lavrov.
A la gravité de la situation, les étatsuniens répondent par la désinvolture, l'ironie, voire la dérision. Pour Le président Joe Biden, dans des déclarations du 28 avril «c'est une réaction de désespoir de la Russie face à son échec en Ukraine». Pour les médias des États Unis, ce risque de guerre nucléaire n'est depuis le début que de «la propagande», «du bluff», des tentatives de faire peur à l'Occident, de l'intimider. Le ton est donné ainsi à tous les médias occidentaux qui vont dans le même sens, dans un unanimisme quasi total.
Par contre, sur les médias russes le ton est diffèrent, grave. Le 30 avril, sur la chaine «Russia 1», la gravité de la situation n'est pas niée ou sous-estimée. On considère l'éventualité d'une guerre nucléaire comme réelle. Les gens en parlent avec sérieux, et même avec une sorte de fatalisme, comme si on voulait préparer l'opinion à cette situation.
Le 28 avril sur le plateau de Rossiya 1, Margarita Simonyan, la directrice de la chaîne d'information russe Russia today, affirme :» L'idée que tout se termine par une attaque nucléaire me semble plus probable que tout autre scénario.» On va jusque dans les détails, le discours est concret: on explique l'avantage dont dispose actuellement la Russie sur le plan de la technologie militaire et des armements nucléaires, avec ses missiles hypersoniques qui arrivent invisibles sur l'ennemi, et avec l'énorme missile balistique Sarmat , invisible lui aussi, et qui peut détruire, à lui seul, un pays tout entier. On donne même des chiffres sur leur rapidité «foudroyante»: 106 secondes pour arriver à Berlin, 200 à Paris, 206 secondes à Londres, ce qui ne permet pas à l'adversaire de réagir. «Personne n'y survivrait» dit un animateur de l'émission, «Personne sur cette planète» rectifie le présentateur du Programme. Le dialogue est hallucinant.
Les images de ce dialogue sur un plateau de la télé russe sont transmises, fait rare, sur des chaînes françaises. Les animateurs français en rient. Ils rivalisent de moqueries envers les russes. L'atmosphère est surréaliste. Sur un plateau , une jeune femme ukrainienne, qui fait la guerre à Paris, accuserait presque les français d'être des lâches, et» d'avoir peur de Poutine» et de la guerre nucléaire. Un vieux général en retraite lui dit que la vitesse des missiles russes ne devrait pas impressionner, et qu'un missile de plus ou de moins ne change rien à l'affaire, puisque chaque camp a les moyens d'anéantir l'autre. Ils voient tous dans ce dialogue à la TV russe la preuve de la folie russe.
Mais moi, cela me rappelle cette histoire d'un fou qui monte sur le mur de son hôpital pour voir l'extérieur et qui voit un homme passer dans la rue. Il crie alors au passant: «vous êtes combien là-dedans.»
Où sont les pacifistes ?
Ce qui est terriblement inquiétant, plus que tout le reste, c'est la façon avec laquelle les États Unis, et derrière eux les canaux d'opinion occidentaux minimisent ou veulent minimiser la gravité extrême de la situation, cette escalade qui nous charrie invinciblement vers une troisième guerre mondiale, vers une guerre nucléaire. S'agit-il d'aveuglement comme c'est le cas des empires, notamment déclinants, quand ils sentent leur domination contester, comme la conteste actuellement la Russie qui déclare sans détours qu'elle veut remettre en cause l'ordre mondial existant. La réaction des États Unis est sans nuances. Le contestataire de l'ordre régnant est à la fois méprisé et sous-estimé .
Sur ce danger nucléaire, on peut noter que l'attitude russe est différente de celle des États Unis. Autant la Russie en informe son opinion franchement, autant les États Unis le nient.
S'agit-il alors de déni, de sous-estimation de la situation, ou est-ce une volonté délibérée de vouloir chloroformer l'opinion publique, de vouloir empêcher son intervention, en un mot de la garder inconsciente de la situation réelle, et de cette escalade insensée dans laquelle les États Unis entrainent les pays occidentaux.
Jamais depuis l'invention de l'arme nucléaire, quelles que soient les crises qu'a connues le monde pendant la guerre froide, il y eu un tel degré de gravité de la situation. Et il n'y a plus, on dirait, les forces populaires qui faisaient naguère obstacle à la guerre et à l'armement nucléaire, aussi bien en Occident que dans le monde. Il y avait dans les années 70 et 80 un puissant mouvement de la paix. Les gens se mobilisaient, par millions, contre le déploiement de missiles en Europe, ils constituaient des chaines humaines de plusieurs centaines de km entre les pays européens pour s'opposer à la guerre. Les élites intellectuelles et scientifiques, les savants , les artistes publiaient des déclarations contre la guerre. Les prix Nobel avaient constitué des groupes pour analyser les conséquences d'un holocauste nucléaire et en décrire l'horreur. L'opinion en était régulièrement informée. Ce n'est plus le cas. Où sont les pacifistes d'antan, des temps de la guerre froide ?
On est au bord de la guerre nucléaire, et on a l'impression que tout le monde s'en fiche!
La raison, les raisons ? En Occident, les gens semblent être soumis à une propagande de guerre sidérante, paralysante. Ailleurs dans le monde, on pense que c'est une guerre limitée à l'Europe et aux États Unis. «Est-ce que les missiles peuvent arriver jusqu'à nous» m'a demandé innocemment quelqu'un. On ne comprend pas les conséquences globales d'une guerre nucléaire, même limitée à une partie du monde. Peu savent que l'hiver nucléaire s'étendra partout, que la guerre nucléaire est par définition totale, qu'elle peut signifier la fin du monde, la fin de l'humanité. Aucun journal, aucune chaine, aucun site n'en parle, ne dit, ne décrit les horreurs de la guerre nucléaire.
Qui donc va pouvoir réveiller l'opinion publique mondiale ? Que faire ? Qui va donner l'alerte ? Qui peut arrêter cet engrenage mortel? Quelles personnalités, quels hommes de bonne volonté, quels partis, quels gouvernements, quels États ? Il faut arrêter ça ! Il faut que «les gens», que les peuples «bougent».
Massacres de Sétif, Guelma et Kherrata le 8 mai 1945
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la population française est exsangue. Que dirait-on des populations "indigènes" des colonies françaises, notamment algérienne qui venait de participer à l'effort de guerre par la mobilisation forcée de plus 150 000 tirailleurs algériens, dont 12 000 sont morts en combattant pour la France ? Dans tous ces pays colonisés, notamment l'Algérie et Madagascar, les populations sont accablées de misère, affamées.
Pourtant, le grondement de la révolte trouble déjà sourdement l'atmosphère sociale. L'insurrection anticolonialiste, embusquée derrière le fracas catastrophique de la débandade française, accentuée plus tard par l'effondrement du régime vichyste, fourbit ses armes. L'heure de la lutte armée anticolonialiste sonne l'alarme du réveil des consciences politiques subversives et activités militantes libératrices.
Après le long sommeil d'asservissement, marqué par la vie coloniale cauchemardesque, le tempétueuse de la révolution afin de se jeter dans l'odyssée des indépendances nationales inscrite dans l'histoire de l'émancipation des peuples.
Contre la pusillanimité des structures indigènes collaborationnistes œuvrant pour le maintien de l'Algérie française ou, au mieux, l'indépendance par voie légale et pacifique, conçue dans le cadre de l'Union française et de la préservation des intérêts économiques de la France, de nouvelles organisations révolutionnaires patriotiques se fixent pour programme maximaliste le soulèvement armé contre la puissance française colonialiste. Le baptême du feu est déclenché en Algérie le 8 mai 1945.
En ce jour de la libération de la France du joug nazi, tandis que la population française fête dans l'allégresse sa liberté recouvrée, les Algériens croient bon de s'inviter aux festivités des libérations nationales pour revendiquer également leur indépendance, la restauration de leur souveraineté nationale.
Mais, aux yeux de la France coloniale, l'indépendance de l'Algérie n'est pas prévue dans son menu de la restauration des libertés, du recouvrement de l'indépendance nationale. Les Algériens ne peuvent pas prétendre goûter les délices de la libération, réservée, selon la conception coloniale, aux seuls Français. L'Algérien doit encore manger la vache enragée française. Subir le joug colonial. Nourrir la France coloniale. Trimer pour les pieds-noirs, ces hobereaux aux pieds d'argile. Vivre dans l'indigence sous le code de l'indigénat.
Or, sans avoir reçu de faire-part, le peuple algérien s'invite aux cérémonies libératrices par sa résolution d'entrer dans la séquence historique émancipatrice amorcée le 8 mai 1945, jour de la libération de nombreux pays du joug allemand. Il s'empare de la rue pour réclamer également son indépendance. Dans la liesse, dans plusieurs villes d'Algérie, d'ordinaire marquées par la ségrégation raciale et spatiale et la relégation sociale, des manifestations populaires éclatent. Des Algériens paradent avec un orgueil national triomphant d'espérances libératrices. Par milliers, de paisibles manifestants désarmés scandent des slogans de liberté : " Indépendance ", " Libérez Messali Hadj ", " L'Algérie est à nous ". Pour la première fois de l'histoire de l'Algérie, un invité-surprise, paré de couleurs vert et blanc frappé d'un croissant et étoile rouges, s'est fièrement joint à la pacifique foule pour devenir l'étendard sacré du peuple algérien indépendantiste : le drapeau algérien, hissé triomphalement par Bouzid Saal et Aïssa Cheraga. Les nationalistes algériens brandissent également des banderoles sur lesquelles est inscrit : "A bas le fascisme et le colonialisme". "Nous voulons être vos égaux".
Dans cette nouvelle séquence de l'histoire des libérations des peuples colonisés, les manifestants algériens donnent le la des revendications de l'indépendance nationale. Cependant, la France coloniale ne compte pas laisser ce concert de liberté entonner ses premières vocalises libératrices, permettre aux Algériens d'enchanter la rue par leur revendication d'indépendance de l'Algérie criée à tue-tête.
Comme à l'accoutumée, la France coloniale riposte violemment. Le 11 mai 1945, le chef du gouvernement, Charles de Gaulle, ordonne l'intervention de l'armée. Plus de 2?000 militaires sont envoyés en Algérie, épaulés par la légion étrangère, les goumiers marocains [1] et les tirailleurs sénégalais. Pour rétablir l'ordre colonial et terroriser les Algériens, les troupes armées françaises et les milices composées de civils procèdent à la "pacification" des régions soulevées pour revendiquer l'indépendance de l'Algérie. L'État colonial instaure le couvre-feu à 13 heures. L'état de siège est décrété à 20 heures. La loi martiale proclamée. Des armes sont distribuées aux Européens.
La répression est sanglante. La France réprime dans le sang ces manifestations. Plusieurs semaines durant, la soldatesque française, épaulée par des chars et des avions, se déchaîne contre la population algérienne désarmée. Une milice d'Européens surarmée est constituée. Elle se livre à la chasse de toute personne algérienne, à des exécutions sommaires. Les tribunaux civils et militaires condamnent sévèrement les Algériens arrêtés. Des milliers de soldats sont mobilisés pour réprimer sans distinction la population algérienne : hommes, femmes, enfants. Pire : des navires de guerre tirent depuis la rade de Bougie sur la région de Sétif, l'aviation bombarde la population jusqu'aux douars les plus reculés. Des villages entiers sont décimés, incendiés, des familles brûlées vives. La répression se généralise. Elle s'étend à tout le pays. Le massacre génocidaire dure plusieurs semaines.
De nombreux corps sont jetés dans les puits, dans les gorges de Kherrata. Des miliciens européens, autrement dit français, utilisent les fours à chaux pour faire disparaître les cadavres. Après avoir rétabli l'ordre colonial au prix du massacre de 45 000 Algériens, de l'arrestation de 4000 personnes, d'une centaine de condamnations à mort, les autorités coloniales procèdent à des cérémonies de reddition, pendant lesquelles les hommes algériens sont réunis sur les places des villages pour être forcés de se prosterner devant le drapeau français et répéter en chœur " Nous sommes des chiens et Ferhat Abbas est un chien".
Ainsi, pour défendre son empire colonial et préserver son statut de grande puissance mondiale, la France a perpétré un génocide contre le peuple algérien.
Cette politique répressive génocidaire ne fait que se conformer aux mesures dictées par le général de Gaulle, alors chef de gouvernement, par télégramme à l'armée coloniale : " Veuillez prendre toutes mesures nécessaires pour réprimer tous agissements antifrançais d'une minorité d'agitateurs. ".
Dans un de ses textes, l'écrivain algérien Kateb Yacine, témoin oculaire, a immortalisé ces tragiques événements qui l'ont traumatisé : " C'est en 1945 que mon humanitarisme fut confronté pour la première fois au plus atroce des spectacles. J'avais vingt ans. Le choc que je ressentis devant l'impitoyable boucherie qui provoqua la mort de plusieurs milliers de musulmans, je ne l'ai jamais oublié. Là se cimente mon nationalisme. ". " Je témoigne que la manifestation du 8 mai était pacifique. En organisant une manifestation qui se voulait pacifique, on a été pris par surprise. Les dirigeants n'avaient pas prévu de réactions. Cela s'est terminé par des dizaines de milliers de victimes. À Guelma, ma mère a perdu la mémoire... On voyait des cadavres partout, dans toutes les rues. La répression était aveugle ; c'était un grand massacre. "
Bilan : 45 000 "indigènes" algériens massacrés, exterminés par les autorités coloniales françaises, les pieds-noirs. Sans compter les autres milliers de victimes arrêtées, torturées, embastillées.
Contre le peuple algérien, aux yeux de l'Histoire, la France a commis un crime contre l'humanité.
Massacre colonial français à Madagascar le 29 mars 1947
À Madagascar, en écho au soulèvement du peuple algérien, à partir de 1946, des manifestations violentes se déroulent dans différentes villes de l'île contre l'arbitraire colonial. Ces manifestations se transforment rapidement en émeutes, aux cris de " Vive l'indépendance ! ".
Plus tard, le 29 mars 1947, des centaines d'hommes se soulèvent contre la misère, en particulier contre les exactions des colons, ces Français imbus de leur supériorité, pétris d'arrogance, installés dans leur domination qu'ils croyaient éternelle. Armés seulement de sagaies et de coupe-coupe, ils attaquent des villes côtières et des plantations. Ils s'en prennent aux Européens. Le soulèvement s'amplifie. Rapidement, toute l'île s'embrase. La réaction coloniale est violente et brutale. Elle débute le 4 avril 1947, appuyée par l'instauration de l'état de siège. La France coloniale dépêche immédiatement à Madagascar des troupes coloniales (tirailleurs sénégalais). Au total 18.000 hommes sont mobilisés début 1948 : infanterie, parachutistes et aviations attaquent les civils désarmés. La répression s'abat sur la population malgache révoltée. Ces premières révoltes sont durement réprimées : tortures, exécutions sommaires, regroupements forcés, incendie de villages, etc.
Au cours de cette expédition punitive à Madagascar, l'armée française expérimente une nouvelle technique de guerre psychologique: des suspects sont jetés vivants de l'avion pour terroriser les villageois de leur région.
En l'espace de quelques mois, la " pacification " fait 89.000 morts malgaches. Les forces coloniales perdent 1.900 hommes (essentiellement des supplétifs malgaches). On compte aussi la mort de 550 Européens, dont 350 militaires.
Au reste, il faut plusieurs mois aux forces armées coloniales pour venir à bout de la rébellion. Le 7 décembre 1948, Mr De Chevigné, Haut-commissaire de France à Madagascar, déclare : " Le dernier foyer rebelle a été occupé. " Bilan : l'île est ravagée et on dénombre 89.000 morts reconnus officiellement, sans compter les blessés, les personnes arrêtées, torturées.
Ironie de l'histoire, au cours de ces longs mois de massacres génocidaires, dans la métropole, les organisations malgaches et françaises brillent par leur silence criminel. Aucune formation politique ne dénonce les répressions et exactions, encore moins n'apporte son soutien aux insurgés indépendantistes. De même, les dirigeants du mouvement ouvrier ne manifestent aucune sympathie pour les insurgés. Au contraire, ils les condamnent avec virulence.
Comme lors de l'écrasement du soulèvement du peuple algérien le 8 mai 1945, le Parti communiste français, membre de la coalition gouvernementale de l'État colonial français, observe un silence criminel. En revanche, il manifeste son soutien indéfectible à l'empire colonial français. En effet, en juin 1947, au onzième congrès du PCF à Strasbourg, Maurice Thorez déclare : " A Madagascar, comme dans d'autres parties de l'Union française, certaines puissances étrangères ne se privent pas d'intriguer contre notre pays. " Auparavant, à l'issue de la Seconde Guerre mondiale, au lendemain de l'insurrection du peuple algérien le 8 avril 1945, l'organe théorique du PCF, les " Cahiers du communisme " d'avril 1945, avait écrit : " A l'heure présente, la séparation des peuples coloniaux avec la France irait à l'encontre des intérêts de ces populations. " L'Humanité, le quotidien du Parti communiste français, dénonce le 19 mai 1945 les " chefs pseudo-nationalistes qui ont sciemment essayé de tromper les masses musulmanes, faisant ainsi le jeu des cent seigneurs dans leur tentative de rupture entre les populations algériennes et le peuple de France ". Il somme le gouvernement à faire preuve de sévérité contre les " insurgés " algériens, allant jusqu'à exiger que " des mesures soient prises contre des dirigeants de cette association pseudo-nationale, dont les membres ont participé aux tragiques incidents ". Plus tard, le journal l'Humanité insinue que les manifestants algériens seraient des sympathisants nazis : des " éléments troubles d'inspiration hitlérienne [qui] se sont livrés à Sétif à une agression armée contre la population qui fêtait " la libération de la France du joug allemand. Il est de la plus haute importance de relever que l'une des plus sanglantes interventions militaires de l'impérialisme français débute sous un gouvernement dominé par les socialistes, au sein duquel siègent également des membres du Parti communiste français (PCF). Ce dernier occupe, entre autres, le ministère de la Défense nationale, dirigé par François Billoux, et le ministère de l'Air et de l'Armement, conduit par Charles Tillon. En mai 1945, le Parti communiste ne manifeste aucune opposition à l'envoi des renforts militaires pour écraser dans le sang le soulèvement du peuple algérien pour revendiquer pacifiquement son indépendance. Décidément, en France, toutes les organisations politiques, de gauche comme de droite, se sont toujours liguées contre le peuple algérien.
Au-delà de ces deux pays colonisés, l'Algérie et Madagascar, pour la France coloniale, cette répression génocidaire perpétrée contre les "indigènes" algériens et malgaches, soulevés pour leur indépendance, constitue un clair avertissement à destination de ses autres colonies tentées par des velléités d'indépendance ou d'insurrection.
Nul doute, ces massacres contre le peuple algérien marquent le prologue des crimes contre l'humanité commis au XXe siècle par la puissance coloniale française en déclin. Il ouvre une phase d'exactions et d'exécutions de masse perpétrées par l'armée coloniale, secondée par des civils " européens ", notamment les pieds-noirs en Algérie. En effet, outre l'Algérie et Madagascar, plusieurs autres pays colonisés subissent la même politique répressive génocidaire: Haiphong (1946) : 6000 morts; répression des manifestations à Sfax en Tunisie (1947) 29 morts ; guerre d'Indochine (1946/1954) 400 000 morts ; guerre de Libération d'Algérie (1954/1962), 1,5 million de morts. Ainsi, durant vingt longues années (1945/1964), la France livre une guerre génocidaire contre plusieurs de ses colonies insurgées pour se délivrer du joug colonial français.
Sous l'Etat impérialiste de France, les entreprises génocidaires poursuivent toujours leurs activités exterminatrices, de siècle en siècle.
Note
[1] Incidemment, on découvre que les Marocains (du moins les supplétifs mobilisés en mai 1945), bien avant la guerre larvée enclenchée depuis 1975 contre l'Algérie, date de l'occupation du Sahara occidental, bien avant la guerre réelle menée contre l'Algérie en 1963, livrèrent la guerre aux Algériens en secondant les troupes coloniales lors du massacre de Sétif, Guelma et Kherrata.
On l’appelle la « guerre des grottes ». De 1956 à 1962, dans les montagnes de l’Aurès et du Djudjura, l’armée française a utilisé des armes chimiques pour combattre le FLN et l’ALN. Des historiens et journalistes demandent aux autorités françaises que les archives militaires sur le sujet soient ouvertes et consultables.
L’enquête de la journaliste, Claire Billet dans la revue XXI, fait froid dans le dos. Pendant plusieurs mois, elle a rencontré d’anciens militaires français qui ont accepté de raconter le recours aux gaz toxiques durant la guerre d’Algérie. Cela a conduit à ce qui s’appelle la « guerre des grottes« .
Cet épisode tragique de l’histoire de la guerre d’Algérie aurait commencé en 1956 jusqu’en 1962, selon l’historien Christophe Lafaye. En 1956, le commandant de la 10ème région militaire demande une étude sur l’utilisation des armes spéciales contre les militants de l’ALN et du FLN. Ceux-ci utilisent alors des grottes et des réseaux souterrains dans l’Aurès et le Djurdjura pour échapper aux forces coloniales. Ces grottes permettent aussi aux indépendantistes de garder les otages militaires français.
Peu d’informations ont filtrées
Le processus est souvent le même. « On se sert de gaz toxiques pour pouvoir chasser les indépendantistes de leurs réduits souterrains, indique Christophe Lafaye. Ils pouvaient ensuite les faire prisonnier pour obtenir des renseignements. » Ainsi, selon un témoin qui a connu cette période de 1959 à 1961, ce sont 95 opérations menées et 200 algériens tués lors de ces opérations. Il faut aussi dire « de nombreux corps n’étaient pas sortis des grottes car difficiles à retirer. Les soldats pratiquaient alors le dynamitage de l’entrée de la grotte. »
« Cette « guerre des grottes » est un grand impensé de la guerre d’Algérie » pour l’historien. Si comme l’affirme Christophe Lafaye, « ces faits sont connus mais ils n’ont jamais été travaillés parce qu’ils renvoient à une mémoire traumatique, par un manque de sources (en dehors de témoignages d’anciens combattants) et d’archives cadenassées. »
Des archives à ouvrir pour « un apaisement des mémoires »
Au siège de la Ligue des Droits de l’Homme, la journaliste et les historiens ont indiqué qu’il était possible d’écrire cette histoire. « Ce serait une action positive de l’histoire, affirme Christophe Lafaye. Les derniers témoins sont en train de disparaitre. De nombreux appelés en gardent une mémoire extrêmement traumatique. Ils ne voulaient pas en parler avant. »
Si les historiens peuvent se baser sur des témoignages d’anciens combattants, cela coince au niveau de certains archives. Christophe Lafaye indique faire la demande au Président Macron, « à prendre un décret qui permette l’ouverture de l’intégralité de ces fonds d’archives sur la guerre souterraine, qui sont au ministère des Armées et la levée des obstacles législatifs. »
Pour expliquer ces freins, l’historien évoque la peur de l’institution militaire ou la question taboue de l’utilisation des armes chimiques par la France. Rappelons que l’Hexagone a signé en 1993 à Paris, la convention interdisant la mise au point, la fabrication, le stockage ou l’emploi d’armes chimiques.
Algérie : "La guerre des grottes", quand la France utilisait du gaz toxique en Algérie
Dans "La guerre des grottes", article paru dans la revue XXI, Claire Billet a recueilli les témoignages d'anciens militaires français, qui lèvent le silence sur l'utilisation de gaz toxiques pendant la guerre d'Algérie. Selon la journaliste indépendante "l'armée française savait ce que c'était, ce qu'il y avait dedans quand elle a décidé de l'utiliser en Algérie".
« Dramatique Algérie », ce titre d’un excellent ouvrage qui avait fait du bruit à l’époque (années 60) n’a rien perdu de son actualité. En effet, à chaque initiative des tenants du pouvoir dans ce pays, le choix s’avère plutôt en contradiction totale avec les intérêts de cette nation qui dispose d’un côté de richesses naturelles en abondance et de ressources humaines qui ne manquent pas de répondant.
Dernière trouvaille des généraux algériens : se positionner complètement dans le camp russe dans le bras de fer qui oppose Moscou à l’Occident. Alors que même les pays africains les plus engagés avec la Russie freinent des quatre fers pour ne pas paraître soutenir ouvertement la guerre de Poutine contre l’Ukraine et voient d’un mauvais œil l’activisme des espions de Moscou sur leurs propres territoires, Alger continue d’offrir à son allié russe une base arrière pour ses incursions en Afrique. Ce qui a poussé, les services de sécurité américains à multiplier les initiatives pour convaincre Alger d’interdire son espace aérien aux avions militaires russes, qui servent notamment à acheminer le ravitaillement et la logistique aux mercenaires de Wagner pour des opérations au Mali, entre autres.
C’est grâce à Alger qui a offert l’open bar aérien aux appareils militaires russes se rendant à Bamako, que le déploiement de milliers d’hommes de Wagner a été possible au Mali. Alors que le Niger, pays frontalier du Mali, avait refusé l’ensemble des demandes d’autorisation de survol de son ciel par les autorités militaires russes et que de nombreuses voix au sein de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) s’étaient insurgées contre le refus d’Alger de bloquer l’accès des mercenaires à l’Afrique.
Le site Africa Intelligence, généralement bien informé, précise d’ailleurs que « preuve de l’activisme continu des avions militaires russes au-dessus de l’Algérie, les 30 mars et 17 avril, un Antonov 124, de la 224 Flight Unit, a ainsi livré à Bamako plusieurs équipements militaires. Après avoir survolé la Turquie et la Tunisie, l’appareil a éteint sa balise avant d’entrer vraisemblablement dans le ciel algérien. Un plan de vol sensiblement similaire utilisé le 24 avril par un IL-76 russe de la société Aviacon Zitotrans ».
Malgré le risque de déstabilisation de la région par les forces paramilitaires russes, au moment où la guerre en Ukraine, impose aux Africains de se tenir à une distance respectable de ce conflit qui ne nous concerne ni de près, ni de loin, la nomenklatura algérienne rame à contre-courant en déroulant un storytelling digne de la propagande stalinienne où l’on voit les généraux algériens tout sourire poser avec des gradés russes. Une « coopération militaire » qui a été couronnée par la tenue d’un exercice militaire conjoint avec la Russie, le long de la frontière avec le Maroc le 4 avril dernier. Le show qui a été le fait d’une demande provenant de la hiérarchie de l’état-major algérien avait été bouclé en mars dernier à l’occasion de la visite discrète du directeur de la coopération militaire russe, Dimitri Chouguaev, dans la capitale algérienne pour finaliser tout cela avec le chef d’état-major algérien Saïd Chengriha.
Bien sûr, entre les gradés algériens (à leur tête Saïd Chengriha) et Moscou, on ne peut évacuer le faible qu’ont ces officiers supérieurs avec la Russie où ils ont effectué leurs études, un pays qui reste aussi le principal fournisseur de matériel militaire de l’Algérie, mais ces généraux sont-ils inconscients à ce point pour servir de cheval de Troie à Moscou et permettre ainsi aux Russes l’installation de bases militaires en Libye et, cerise sur le gâteau, d’offrir à ses mercenaires sur un plateau en or le sort de régimes africains déjà bien fragilisés par leur allégeance à l’ex-colon français.
Est-ce bien là, le sort funeste de ce magnifique pays, patrie de milliers de martyrs de la liberté et de l’indépendance : une servitude volontaire pour « vendre » l’Afrique aux Russes ? Nombreux sont les Algériens qui voient dans ces dérives les traces annonciatrices d’une condamnation de l’Algérie par la plupart des instances internationales du fait, tout de même de l’irresponsabilité de ses dirigeants. Les uns et les autres doivent affronter aujourd’hui une vérité redoutable parce qu’elle véhicule des mythes séculairement opposés : ce sont bien les têtes pensantes de ce pays, chantre de la décolonisation de l’Afrique, qui a fortement contribué par le passé, à l’éveil du panafricanisme, au mouvement des pays non alignés qui s’activent désormais dans les coulisses pour introduire le loup soviétique dans la bergerie africaine.
Tout au long de l’histoire, des Algériennes ont combattu l’injustice au travail, à la maison et sur les champs de bataille. Pourtant, leurs contributions sont relativement peu honorées.
Zohra Drif fait partie des milliers de femmes qui ont été actives pendant la guerre d’Algérie. Nombre d’entre elles ont été emprisonnées et torturées par les Français (AFP)
Tout au long de la colonisation française en Algérie, les femmes ont joué un rôle essentiel dans la quête d’autodétermination, ainsi que dans la protection et le développement de la culture et des traditions du pays.
Cela s’est particulièrement manifesté pendant la guerre d’Algérie (1954-1962), lors de laquelle les Algériens se sont battus pour libérer le pays nord-africain de 132 ans de domination française, en livrant une bataille appelée à devenir un exemple type de résistance révolutionnaire acharnée.
Une section féminine de l’ALN (Armée de libération nationale), branche armée du FLN durant la guerre d’Algérie, en 1962 (AFP)
Poussées par la volonté de libérer l’Algérie à tout prix, les femmes ont pris part au combat en assumant une multitude de rôles, notamment en tant que combattantes paramilitaires, transporteuses, collectrices de fonds, infirmières, cuisinières et communicatrices.
L’une des nombreuses tactiques souvent employées par les femmes pendant la guerre consistait à servir de communicatrices entre les soldats algériens et l’ensemble de la population, afin de collecter des fonds et de propager les nouvelles de la révolution.
Ironiquement, en prenant part à de telles opérations à haut risque, les Algériennes ont stratégiquement contribué à subvertir le stéréotype colonial de la femme indigène nonchalante et soumise dont les affublait une armée française peu méfiante.
Le 5 juillet 1962, la révolution a abouti à la libération de l’Algérie. Mais sitôt cette bataille terminée, d’autres se sont présentées pour les femmes du pays.
Les Algériennes ont continué de s’engager activement dans la politique nationale au cours des années qui ont suivi l’indépendance en luttant contre le patriarcat, la misogynie et l’aliénation politique face à d’anciens compagnons de combat qui ne voulaient pas d’elles à la table des dirigeants du nouvel État.
En première ligne des manifestations contre la corruption en 2019, les femmes ont veillé à faire entendre leur voix (AFP)
Malgré les nombreux obstacles auxquels elles ont été confrontées, les Algériennes sont restées actives sur le plan social et politique, comme en témoigne le retour des femmes sur le devant de la scène politique lors du lancement du hirak, un mouvement populaire également connu sous le nom de « révolution du sourire ».
Les manifestations ont été déclenchées par l’annonce de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika, qui a fait part le 10 février 2019 de son intention de briguer un cinquième mandat. Si le hirak est parvenu à évincer Bouteflika, la lutte visant à faire tomber la structure de l’ensemble du système se poursuit.
Malgré leurs énormes contributions historiques, les femmes emblématiques que l’Algérie a connues restent relativement peu honorées en dehors du Grand Maghreb et du monde arabe.
Voici huit révolutionnaires algériennes entrées dans l’histoire par leur défiance envers les normes sociales et les inégalités de genre.
Lalla Fatma N’Soumer (1830-1863)
Lalla Fatma N’Soumer est une icône reconnue du militantisme armé féminin (Wikicommons/Jean Geiser/pd-us)
Née au sein d’une famille de marabouts religieux en 1830 (année du début de la conquête de l’Algérie par la France) dans le village d’Ouerdja, en Kabylie, Lalla Fatma N’Soumer est une icône reconnue du militantisme armé féminin et une autorité religieuse islamique de son temps.
Connue pour son intelligence et sa combattivité, elle a mené la première vague de résistance (1850-1857) contre les Français après la mort de Cherif Boubaghla au cours d’une bataille le 26 décembre 1854.
Si ses ennemis la surnommaient « la Jeanne d’Arc du Djurdjura » en raison de ses campagnes militaires, elle était aussi appelée Lalla (dame) en signe d’honneur et de sacralité.
Dans son article consacré à Lalla Fatma N’Soumer, l’auteure Samia Touati raconte que le jour où elle a été capturée par l’armée française, le maréchal Jacques-Louis-César-Alexandre Randon (1795- 1871) lui a demandé pourquoi ses hommes résistaient violemment aux troupes françaises.
Voici ce qu’elle a répondu : « C’est Dieu qui l’a voulu. Ce n’est ni votre faute, ni la mienne. Vos soldats sont sortis de leurs rangs pour pénétrer dans mon village. Les miens se sont défendus. Je suis désormais votre captive. Je n’ai rien à vous reprocher. Vous ne devriez rien avoir à me reprocher. C’est ainsi que c’est écrit ! »
Zoulikha Oudai (1911-1957)
Née Yamina Echaïb en 1911 au sein d’une famille instruite de Hadjout, Zoulikha Oudai s’est tout d’abord engagée dans le combat pour la liberté en tant que médiatrice entre le Front de libération nationale (FLN) et la population algérienne.
Zoulikha Oudai est connue en Algérie sous le nom de « mère des résistants » (Creative commons/memoria)
Parti nationaliste créé en 1954 qui a gouverné l’Algérie après l’indépendance, le FLN a initialement résisté au colonialisme français par une guérilla paramilitaire.
Le caractère secret des opérations menées en vue de l’indépendance de l’Algérie justifiait la nécessité pour des médiatrices telles que Zoulikha Oudai de contacter individuellement et confidentiellement les familles algériennes afin de collecter des fonds pour le FLN.
En octobre 1957, l’armée française l’a arrêtée et torturée pendant dix jours.
À la suite de son refus de divulguer des informations secrètes, des soldats français l’ont poussée d’un hélicoptère. Cet acte lui a valu le titre de « mère des résistants ».
L’écrivaine algérienne Assia Djebar évoque la figure de Zoulikha Oudai dans son film La Nouba des femmes du Mont-Chenoua (1977) et dans son roman La Femme sans sépulture (2002).
Djamila Bouhired (1935)
Née en 1935 dans le quartier historique de la Casbah d’Alger, la militante Djamila Bouhired a montré des signes de leadership politique dès sa plus jeune enfance. Élève dans une école française, Djamila Bouhired s’est rebellée un jour en chantant « l’Algérie est notre mère » au lieu de « la France est notre mère ».
Djamila Bouhired était une militante pendant la guerre (AFP)
Enthousiaste, elle a rejoint le FLN à l’âge de 20 ans, puis les fedayin (militants armés), pour participer à la guérilla contre les colons français.
Après son arrestation en 1957, Djamila Bouhired a été victime de coups, de brûlures et d’électrocutions à la prison de Reims où elle était incarcérée.
Dans le monde entier, des activistes ont défilé pour réclamer sa libération. Le célèbre poète syrien Nizar Kabbani, le cinéaste égyptien Youssef Chahine, le dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev et le président égyptien Gamal Abdel Nasser ont tous appelé à sa libération.
Elle a été honorée par des personnalités de premier plan de la région : Nasser l’a reçue en Égypte, Nizar Kabbani lui a consacré un poème, l’artiste libanaise Fairouz lui a dédié une chanson et Youssef Chahine a réalisé en 1958 le film Djamila l’Algérienne qui retrace sa vie. Djamila Bouhired est également apparue dans la production italo-algérienne La Bataille d’Alger (1966).
Pourtant, après l’indépendance, elle a été délibérément écartée de la scène politique par les hommes du FLN. Djamila Bouhired a décidé de mener une nouvelle bataille contre l’élection de Bouteflika en défilant en 2019 aux côtés des jeunes étudiants activistes.
Exaspérée par l’injustice du patriarcat, elle a affirmé le rôle des femmes dans la libération de l’Algérie lors des manifestations de 2019 : « Notre sang est le même que celui des hommes. Notre sang n’est pas de l’eau. Notre sang, c’est du sang », a-t-elle lancé.
Louisette Ighilahriz (1936-)
Née en 1936, la militante et auteure Louisette Ighilahriz a consacré sa jeunesse à la révolution algérienne en travaillant comme coursière pour transporter des documents et des armes du FLN.
Les mémoires de Louisette Ighilahriz, publiées en 2000, ont déclenché un débat sur la torture en France (AFP)
Louisette Ighilahriz a rendu compte de son incarcération et des tourments infligés par l’armée française dans son autobiographie intitulée Algérienne. En plus de témoigner de l’engagement actif des femmes pendant la guerre d’Algérie, son récit met en lumière le recours généralisé à la torture auquel se livraient les Français, finalement reconnu en 2018.
Il a fallu plusieurs décennies à Louisette Ighilahriz pour pouvoir parler des horreurs auxquelles elle a été confrontée. Dans son livre, elle révèle un témoignage douloureux, affirmant notamment avoir été sujette à un traitement déshumanisant, mais aussi frappée et violée par le capitaine de l’armée française Jean Graziani, lorsqu’elle était en prison.
Au-delà des sévices physiques, Ighilahriz a été forcée de vivre dans ses propres excréments : « Mon urine s’infiltrait sous la bâche du lit de camp, mes excréments se mélangeaient à mes menstrues jusqu’à former une croûte puante. » Ce calvaire l’a poussée au bord de la folie.
Ce témoignage de torture rejoint d’autres récits évoquant les sévices subis par d’autres activistes, notamment la biographie Pour Djamila Bouhired (1957) de Georges Arnaud et Jacques Vergès, La Question (1958) d’Henri Alleg et Djamila Boupacha (1962) de Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi. Louisette Ighilahriz a cependant été la première femme algérienne à évoquer le sujet du viol dans une autobiographie.
Aujourd’hui âgée de 85 ans, elle est toujours active : dénonçant la trahison de la révolution commise par ses propres militants après l’indépendance, elle s’est jointe à la révolution de 2019.
Zohra Drif (1934)
Née au sein d’une famille bourgeoise en 1934, Zohra Drif, avocate et femme politique aujourd’hui retraitée, a développé au fil de son éducation des positions féministes et anticoloniales fermes, qui l’ont poussée à s’engager activement dans le FLN.
« Nous avions enfin accès aux publications des nombreux partis et associations qui composaient notre mouvement national : La République algérienne de l’UDMA, L’Algérie libre du PPA-MTLD et El-Bassair, publié par les oulémas. La presse nous apportait des informations, des articles d’opinion et des analyses sous divers angles, tandis que les conférences données par ceux-là même qui étaient engagés dans les premiers combats nous permettaient de séparer le bon grain de l’ivraie. »
Après l’indépendance, Zohra Drif a poursuivi son engagement politique en tant qu’avocate et membre du Conseil de la Nation. Ses mémoiressont un témoignage de sa lutte au cours de la révolution algérienne. Elle a poursuivi son activisme féministe après l’indépendance en dénonçant certaines politiques du gouvernement.
Lorsqu’un nouveau code de la famille islamique a été proposé en 1981, limitant les droits des femmes au sein du foyer, Zohra Drif a rejoint ses camarades féministes qui ont envahi les rues d’Alger pour dénoncer le « code de l’infamie ».
Elle a également accompagné les foules qui ont manifesté en 2019 contre la candidature de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat en Algérie, dans le cadre du mouvement de protestation qui a réclamé la démission du président et s’est opposé à un État militaire.
Salima Ghezali (1958-)
Salima Ghezali a combattu le fondamentalisme pendant la guerre civile algérienne, dans les années 1990 (Creative Commons/Claude Truong-Ngoc)
Membre fondatrice du Femmes d’Europe et du Maghreb et présidente de l’Association pour l’émancipation des femmes à Alger, Salima Ghezali est connue pour son rôle actif dans la lutte contre le fondamentalisme pendant la guerre civile algérienne, dans les années 1990.
Sur la scène politique, la montée du patriarcat islamiste en Algérie a été matérialisée par la proposition d’un nouveau code de la famille en 1981 qui attribuait au patriarche masculin le rôle de chef de famille et lui conférait ainsi une autorité sur les femmes.
En tant que rédactrice en chef de l’hebdomadaire francophone algérien La Nation, sa vie a été menacée en raison de son opposition politique inflexible au gouvernement de l’ex-président Chadli Bendjedid et au Front islamique du salut (FIS). Sa dissidence face à la censure irritait aussi bien les islamistes que les responsables gouvernementaux.
Le courage de Salima Ghezali en tant que journaliste et féministe a été reconnu dans le monde entier ; ses actes lui ont notamment valu les éloges de World Press Review et du Parlement européen.
Nour el Houda Dahmani et Nour el Houda Oggadi
La révolution récente s’est construite sur les luttes du passé. Les jeunes étudiantes Nour el Houda Dahmani et Nour el Houda Oggadi ont toutes deux rejoint les marches contre la corruption de 2019 pour réclamer des réformes démocratiques tant attendues et un système politique représentatif de la jeune population du pays.
Étudiante en droit et activiste, Nour el Houda Dahmani a été arrêtée en septembre 2019 alors qu’elle participait aux manifestations étudiantes du hirak contre les élections présidentielles imposées par l’armée.
Nour el Houda Dahmani, qui tenait au moment de son arrestation une pancarte sur laquelle on pouvait lire « Tous les corrompus devront rendre des comptes », est rapidement devenue l’un des nombreux visages emblématiques de la révolution du sourire.
« Notre révolution, c’est maintenant ou jamais ! »
Bien qu’elle ait affirmé ne pas avoir subi de mauvais traitements en prison, son incarcération a été pour elle une expérience traumatisante. Elle a reçu d’innombrables marques de soutien, comme elle l’a expliqué dans une interview accordée à Berbère Télévision : « Quand j’ai lu les articles écrits sur moi et quand j’ai entendu que les manifestants du hirak réclamaient ma libération, même mon incarcération ne m’a plus semblé horrible. »
À sa libération, Nour el Houda Dahmani n’avait qu’un seul objectif : retourner à l’université, même si elle avait manqué un trimestre entier.
Comme elle, Nour el Houda Oggadi est une étudiante et activiste militante qui a été arrêtée quelques mois plus tard, le 19 décembre 2019. Inculpée pour « outrage à l’armée » en raison de ses publications sur les réseaux sociaux et des pancartes qu’elle brandissait lors des manifestations pour réclamer un État civil et non militaire, Nour el Houda Oggadi a passé 45 jours en prison.
La prison ne l’a pas découragée. Après sa libération, elle s’est déclarée fière de son rôle dans le hirak, saluant « la naissance d’une nouvelle génération ».
Devenues de puissants symboles de la résistance des femmes en Algérie, ces deux étudiantes ont intégré la longue lignée de femmes engagées dans la lutte contre la tyrannie et l’injustice.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Par
Ouissal Harize
Published date: Vendredi 18 mars 2022 - 22:48 | Last update:1 month 2 weeks ago
Sur fond de controverses face à des renvois illégaux de migrants interceptés en Méditerranée, le directeur de l’agence européenne des frontières a démissionné jeudi dernier, mettant en lumière les failles de l’organisation.
Embarcation pneumatique surchargée de migrants en mer Méditerranée. Photo d'archives AFP
Un départ qui remet les pratiques de Frontex sous le feu des projecteurs. Directeur de l’agence européenne des gardes-frontières et garde-côtes depuis 2015, Fabrice Leggeri a remis jeudi dernier sa démission. Acceptée vendredi par le Conseil d’administration, elle fait suite à une enquête bouclée en février par l’Office européen anti-fraude (Olaf) visant le Français, notamment pour refoulements illégaux de migrants. « Le rapport est très embarrassant sur le plan personnel, ils ont intercepté des e-mails qui peuvent le rendre complice de meurtre, car il couvrait un certain nombre d'incidents de refoulements illégaux dans lesquels Frontex était impliqué », explique Omer Shatz, avocat et directeur juridique de l’organisation front-LEX. D’un point de vue juridique, pour les quarante-sept États membres du Conseil de l’Europe, ces fameux « push-backs » violent notamment le principe de non-refoulement interdisant le renvoi d'une personne menacée vers son persécuteur. « Le risque doit être évalué pour chaque personne individuellement avant de prendre une quelconque décision, rappelle l’avocat. Les refoulements collectifs de migrants sont donc par essence illégaux ».
Rien qu'une façade
Mais pour l'agence, il s'agirait surtout de répondre à ce qui est considéré comme une menace sécuritaire. Chargée d’assurer la protection des frontières extérieures des 27, Frontex se voit attribuer le plus gros budget de toutes les agences de l’Union européenne (UE), soit 5,6 milliards d’euros pour la période 2021-2027. Une généreuse allocation qui témoigne d’un rare consensus et de la priorité pour l’UE de bloquer l’arrivée des migrants à ses portes, car pour Omer Shatz, il n’y a en réalité pas de vraie distinction entre l’agence et l’UE. « Frontex n'est qu'une façade (...). Le Conseil d'administration de l’agence, ce sont les vingt-sept et deux sièges pour la Commission », explique l’avocat. C’était déjà dans cette logique sécuritaire que l’UE avait annoncé en 2019 le renforcement de Frontex à la veille des élections européennes. Un programme de formation et d’équipement d’un corps permanent de 10 000 agents à l’horizon 2027, mais surtout un élargissement de son mandat, censé améliorer la coopération avec les agences de surveillance des frontières des pays tiers et mieux prévenir l’immigration illégale. Un moyen en réalité de sous-traiter les services d’interception en mer en partageant les positions des bateaux de migrants aux garde-côtes de pays tiers et d’éviter ainsi toute implication directe dans des refoulements illégaux.
Violations des droits humains
Ces opérations conjointes sont notamment monnaie courante avec la Libye, principal point de départ des migrants africains tentant de se rendre en Europe en traversant la Méditerranée centrale. Une étroite collaboration avec l’UE qui s’est officialisée en 2017 lors de la signature des accords de Malte et qui constitue un fort point de convergence des critiques. L’absence d’autorité politique centrale en Libye a instauré un climat de non-droit et limite largement l’application de normes conformes aux droits humains. Malgré la formation en mars 2021 du Gouvernement d'unité nationale (GNU) sous l’égide de l'ONU, ayant pour but d’unifier l'exécutif libyen, le pays compte aujourd'hui deux Premiers ministres perpétuant les clivages internes : Fathi Bashaga, désigné en mars 2022 par le Parlement et soutenu par le maréchal Khalifa Haftar, qui contrôle depuis 2017 l’est du pays à la tête de la LNA (Armée nationale libyenne), et Abdelhamid Dbeibah, portant l’héritage du GNA (Gouvernement d’union nationale) à l’Ouest, dont le mandat a expiré en décembre dernier mais qui refuse de quitter la tête de l’exécutif avant de nouvelles élections. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), en 2021, 32 425 migrants subsahariens ont été ramenés de force en Libye alors qu'ils tentaient de traverser la Méditerranée centrale, presque trois fois plus qu’en 2020. « En finançant, équipant, et coordonnant les opérations de sous-traitance, Frontex a l’obligation de s’assurer qu’il n’y a pas de violations des droits humains liées à celles-ci, ce qui n’est évidemment pas le cas », souligne Omer Shatz. Alors qu’Amnesty International en a signalé au moins 33 en activité depuis 2018, ces centres de détention sont connus pour être des lieux d’horreurs dans lesquels sévissent « tortures, viols et violences sexuelles », mais aussi « extorsions de fonds », « travaux forcés » et « homicides », selon l’organisation. Des violations des droits humains largement documentées par les ONG et conduites de façon systématique, en toute impunité, par des milices, groupes armés ou forces de sécurité libyennes. Preuve en est, la nomination en janvier dernier d’un chef de milice qui serait impliqué dans ces crimes, Mohammed al-Khoja, à la tête de la Direction de lutte contre la migration illégale (DCIM) au sein du ministère libyen de l’Intérieur.
La présence accablante de preuves du caractère illégal de la redirection des migrants vers la Libye agite les défenseurs des droits de l’Homme. De nombreuses procédures judiciaires ont été lancées dans ce sens contre Frontex. La dernière en date, l’ONG allemande Sea-Watch qui a porté plainte mi-avril contre l’agence l’accusant de ne pas divulguer les positions d'embarcations en détresse aux navires de sauvetage européens pour faire appel de préférence aux garde-côtes libyens. Le 31 juillet 2021, non informé de sa proximité immédiate avec un canot de migrants, le navire humanitaire Sea Watch 3 n’a pas pu porter secours à l’embarcation.
Activités criminelles lucratives
Une situation dans laquelle le gouvernement libyen y trouve bien son compte. La coopération avec l’UE reconduit pour l'essentiel le traité d’amitié de 2008 établi entre l’Italie, première destination des migrants en provenance d’Afrique passant par la Libye et l’ex-dirigeant libyen Mouammar Kadhafi. En d'autres termes, en échange du blocage des migrants africains venus de Libye, l'UE s'engage à reconstruire la force des garde-côtes libyens, détruite suite à l’intervention de l’OTAN dans le pays en 2011. Il s'agit de fournir à un ensemble de milices, « entre 6 et 12 » selon Omer Shatz, salaires, formations, équipements et navires pour mener à bien leurs opérations d’interception en mer. « Les bénéfices de la coopération pour Tripoli se résument plus globalement à une chose : l’argent », souligne-t-il. Une industrie migratoire terrifiante bien ficelée et lucrative. Le modèle économique est simple : « Les personnes détenues sont filmées en étant torturées et/ou violées, puis les vidéos sont transférées via les médias sociaux aux proches des victimes, qui doivent payer 10 000 dollars en échange d’une libération, explique l’avocat, pour qui « l'UE permet en réalité l'existence même de ces camps ».
Face aux critiques répétés, le Parlement européen, en charge de la supervision de l’agence, avait demandé en octobre 2021 le gel de 12 % du budget 2022 de Frontex – soit 90 millions d’euros – jusqu’à amélioration apportée notamment « en matière de contrôle des droits fondamentaux », selon le communiqué de presse officiel. Mais la décision du Conseil d’administration de Frontex du 18 mars dernier d’inclure de nouveaux équipements, armes létales et non létales, pour l’année 2023, questionne sur l’efficacité des mécanismes de contrôle. L’agence n’a d’ailleurs pas donné suite à nos demandes d’entretien sur ce sujet. Pour Omer Shatz, « les organes compétents censés superviser Frontex sont trop faibles, le Parlement est trop faible et face à l'échec de ces mécanismes, Frontex jouit d'une totale impunité».
À l’occasion du 60e anniversaire de l’Indépendance de l’Algérie, pour contribuer à renforcer les liens de solidarité entre les peuples algérien et français, l’Association Josette et Maurice Audin organise une délégation en Algérie du 28 mai au 6 juin 2022.
Le rapprochement entre les peuples passe par des échanges réguliers et soutenus dans de nombreux domaines : culturel, sportif, associatif et scientifique. Dans la lignée de l’engagement de Maurice et Josette Audin contre le colonialisme, pour la liberté de l’Algérie, le Prix de mathématiques Maurice Audin traduit le soutien de ces valeurs des deux côtés de la Méditerranée. L’accueil réciproque des chercheurs doit être organisé et s’amplifier, la politique des visas doit être révisée afin de faciliter ces échanges.
La délégation, constituée d’animateurs de l’association, de mathématiciens, d’historiens, d’une juriste et de documentaristes, se rendra à Alger, Oran et Constantine.
Sont programmées dans ces trois villes, des «minutes du silence» dans les lieux symboliques [comme le mémorial du Martyr Maqam Echahid, la place Audin, la prison Barberousse…] et, en partenariat avec nos amis algériens, de multiples rencontres (mathématiciens, étudiants, historiens, artistes, …).
Sont aussi prévues des conférences sur les mathématiques ou l’histoire, comme la guerre des grottes et l’utilisation de l’arme chimique (1956-1962), des lectures du livre de Michèle Audin, «Une vie brève». Des épisodes de la série «En guerre(s) pour l’Algérie» de Raphaëlle Branche et Raphaël Lewandowski seront projetés à Oran.
Des conférences avec les lauréats du Prix Audin de mathématiques depuis 2004, ainsi que la remise du prix 2022, auront lieu en collaboration avec le Ministère algérien de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche scientifique et la Direction Générale de la Recherche Scientifique et du Développement Technologique.
Un journal de bord et une couverture vidéo permettront de suivre les étapes de l’événement sur le site de l’association, sur la chaîne YouTube Place Audin et sur les réseaux sociaux.
Participant.e.s : Said AIT ALI SAID, documentariste – Line AUDIN, AJMA – Pierre AUDIN, AJMA – Sandrine-Malika CHARLEMAGNE, écrivain – René CORI, mathématicien – François DEMERLIAC, documentariste – Fatiha HASSANINE, AJMA – Christophe LAFAYE, chercheur au laboratoire LIR3S Université de Bourgogne – Yamina Kaci MAHAMMED, AJMA – Gilles MANCERON, historien – Pierre MANSAT, AJMA – Alain RUSCIO, historien – Catherine TEITGEN-COLLY, universitaire, juriste.
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