Septembre 1842 : El Hamelaoui, chef de guerre algérien exilé à Nogent le Rotrou
Au tout début du mois de septembre 1842, un vieil homme au teint buriné, habillé d’un burnous, coiffé du keffieh, franchissait le seuil d’une maison de la rue Saint-Hilaire à Nogent-le-Rotrou.
Informés de sa venue par Le Nogentais, les curieux découvrent Ahmed ben hadj Ahmed ben el Hamelaoui, chef de guerre du Constantinois algérien.
Le portrait d’El Hamelaoui par le journal Le Glaneur…
« Notre ville a en ce moment le bonheur de posséder un vrai bédouin pur-sang, ex-ministre de l’ancien bey de la province de Constantine. Son costume étrange, sa longue barbe blanche et ses manières insolites excitent la curiosité générale et comme on devait s’y attendre, les bruits les plus bizarres sont répandus sur son compte par les badauds. Les uns disent que c’est un roi détrôné, ayant 10 000 boudjous à dépenser par jour [Pièce d’argent, dans l’Algérie, compté pour 1 fr. 80 centimes.] ; les autres affirment sérieusement qu’il va transporter à Nogent son harem, qu’il aura comme le sultan Salomon, cinq à six cents femmes et que pour maintenir ce nombre d’odalisques au grand complet, il recrutera au besoin parmi les beautés percheronnes. On cite un bourgeois, courtier d’élection en réforme, qui doit demander une place d’eunuque au sérail. On prétend que son passe-port [sic] à la suite de la formule « signes particuliers », porte le mot circoncis, ce qui a singulièrement embarrassé le brigadier de gendarmerie et son épouse[1] »
D’abord allié des Français…
Revenons maintenant aux origines de l’histoire. Pourquoi El Hamelaoui s’était-il installé dans la capitale du Perche, si loin du doux soleil méditerranéen ?
Opposant à l’armée française dans un premier temps, il s’était rallié aux vainqueurs après la prise de Constantine en 1837 et, dans la foulée, il avait été nommé calife de Ferdjiouab, jurant fidélité à Louis-Philippe, roi des Français.
Comme il donnait satisfaction, faisant notamment rentrer l’impôt, la France reconnaissante le récompensa de la Légion d’honneur.
Il la reçut à Constantine le 13 octobre 1839 des mains du duc d’Orléans, fils du roi, lequel se félicita que « les chefs arabes si longtemps nos ennemis soient si bien dévoués aujourd’hui à la cause française[2] ».
Quelques jours plus tard, El Hamelaoui prouvait une nouvelle fois sa loyauté en prêtant son concours à l’expédition des Portes de fer en octobre 1839. Essentielle pour le contrôle de la jeune colonie, elle permettait d’établir une liaison terrestre entre Alger et Constantine.
En octobre 1840, El Hamelaoui était fait officier de la légion d’honneur.
… puis rallié à Abd del Kader
Mais peu de temps après, l’un de ses ennemis transmettait aux autorités françaises un courrier qu’il avait intercepté. Courrier fâcheux puisqu’il promettait son appui à Abd del Kader qui combattait la colonisation française[3].
Jugé en août 1841 par le conseil de guerre de Constantine pour « correspondance non autorisée par les ennemis de la France », El Hamelaoui fut condamné à vingt ans de détention.
Cet homme – dont on avait loué pendant trois ans les qualités – avait soudain tous les défauts du monde.
Non seulement fourbe, il était, si l’on en croit le journal La France de « mœurs très dissolues », mauvais musulman puisqu’il « ne jeûnait pas, n’allait jamais à la mosquée, changeant souvent de femmes » et administrateur « détesté » de la population en raison de ses exactions [4].
Des îles Margueritte à Nogent-le-Rotrou
Alors qu’il purge le début de sa peine aux îles Margueritte [5] – au large de Cannes – sa jeune femme vient plaider sa cause auprès de la reine.
Emue, elle adresse un courrier au ministre de la guerre qui contient ces mots : « Le pauvre vieillard n’a pas le temps d’attendre ». Le vieillard avait une soixantaine d’années…
Le roi lui accorda sa grâce.
Le général Lebreton qui avait présidé le conseil de guerre avait ses racines en terre percheronne [6].
C’est ainsi qu’El Hamelaoui posa ses babouches à Nogent-le-Rotrou au mois de septembre 1842. Son épouse l’y suivit, « suivant le précepte du Coran qui prescrit aux femmes de fermer les yeux de son mari [7] ». Lequel était tout, sauf mourant.
Intégré à la population nogentaise
Assisté d’un interprète et d’une petite escorte, l’exilé passa quelques mois dans la capitale du Perche, vécut comme un bourgeois, fréquenta les notables, manifestation d’une cohabitation empreinte de respect réciproque et ne manquant pas à l’occasion d’une tendre familiarité.
Plusieurs vieux Nogentais se souviennent parfaitement de cet hôte de marque qui logeait dans l’immeuble de la rue Saint-Hilaire, faisant en ville des promenades au cours d’une desquelles il enleva dans ses bras » un petit Nogentais. Ses parents avaient été alors « très fiers de l’honneur fait à leur bébé [8]
Quand El Hamelaoui quitta le Perche, ce fut pour aller à Meaux, puis Paris où, raconte Alain Loison, « il parut dans nombre de soirées mondaines, mais toujours après s’être assuré de l’absence de tout autre concitoyen arabe ou musulman, afin de vivre pleinement à l’occidentale [9] »
[1] Le Glaneur, 29 septembre 1842.
[2] Journal des débats politiques et littéraires 23 octobre 1839.
[3] Abd del Kader capitula en 1847 et fut emprisonné au château d’Amboise. Libéré en 1852, cet homme ouvert devient ensuite un interlocuteur de la France dans le monde arabe. Une stèle a été inauguré en son honneur à Amboise le 5 février 2022.
[4] La France, 14 aout 1841.
[5] Lieu de détention pour les prisonniers maghrébins d’Algérie
[6] Eugène Casimir Lebreton était le troisième fils d’un laboureur. Ses parents s’étaient installés à Luigny alors qu’il avait 4 ou 5 ans. Il fut élu député d’Eure-et-Loir en 1848. Il fut aussi conseiller général de Nogent-le-Rotrou pendant 30 ans et président du Conseil général pendant vingt ans.
[7] Le Glaneur, 6 octobre 1842.
[8] Bulletin de la société Percheronne d’histoire et d’archéologie, 1904, p. 34.
[9] Alain Loison, Les mystères d’Eure-et-Loir, De Borée, 2012, p.370.
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