Depuis Camus, ses amis l'appellent Julius. Sur les larges dalles de Tipaza au temps de Noces, Jules Roy devait avoir déjà cette démarche de centurion rescapé des légions de Varus, l'air incommode et le langage emporté d'un préfet d'Hippone écœuré par le système et les abus. Il ne lui a pas fallu attendre les ratonnades et les opérations-modèles de Cochinchine et de Grande Kabylie pour se mettre en colère. Il n'en mourra pas, comme Léon Bloy, mais la colère lui aura fait une assez belle vie.
Haut de taille, haut de ton, haut de style, de voix et d'ambitions. Ce n'est pas un petit personnage, un gentil citoyen de la république des lettres. C'est un homme de commerce difficile, aux caprices en forme d'épines et d'une exigence péremptoire.
Si Malraux a bien dit qu'à partir de quarante ans un homme est responsable de son visage, c'est peut-être à propos de lui. Il y a des canailles qui ont de bons sourires et même l'air candide. Mais pas ces traits de pierre dure et ce regard tendu, couleur de châtaigne, sous le capuchon de cheveux blancs qui fait de plus en plus penser à celui que portaient, entre le Tarn et l'Ariège, les prêcheurs de la croisade contre les " parfaits ".
Né le 27 octobre 1907 à Rovigo, en Algérie, officier de carrière de 1927 à 1953, d'abord fantassin, puis aviateur, il sait de quoi il retourne. Chacun de ses livres, jusqu'à la grande chronique des Chevaux du soleil qui comprendra neuf volumes, est né d'une expérience.
Dès son retour de guerre, en 1945, il a parlé de la peur - en un temps où la minceur de nos victoires donnait à l'héroïsme un lustre particulier. Des heures sans limite" de la Vallée heureuse, il ramenait surtout l'angoisse d'être au-dessus de Mannheim ou d'Essen, chargé de tuer et près d'être tué.
Sept ans après, il est à Saigon, encore un peu colonel et toujours préoccupé de la peur, mais cette fois-ci de celle des autres. La peur des gens d'en face, de ces villageois vietnamiens qu'un raid des hommes aux bérets de couleurs variées, mais pas encore américains, rend à la " liberté " par les voies purificatrices du feu. Des semaines durant, on le verra acharné à découvrir comment un village de l'Ouest cochinchinois est parti en fumée, comme aujourd'hui Truong-An.
Sept ans encore, et c'est l'Algérie. Pour personne, le choix n'est facile. Surtout pas pour un fils de " pied-noir " pauvre. Mais lui, qui ne s'interdit ni les états d'âme ni les éclats de cœur, ce ne sont pas ses déchirements qu'il rend publics, mais ses engagements.
La Guerre d'Algérie lui vaut d'être, pour des mois, l'homme le plus détesté de sa communauté d'origine. Il a écrit depuis de beaux livres, de plus beaux livres, qui lui ont déjà valu pas mal de prix littéraires. Pour beaucoup d'entre nous, il restera celui qui a su écrire la Guerre d'Algérie et pour qui les Cerises d'Icherridène avaient, au plus fort de l'été, gardé un goût amer.
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