Pourquoi, pendant les funérailles de la journaliste Shireen Abu Akleh, des policiers israéliens s’en sont-ils violemment pris aux porteurs du cercueil ? C’est en tout cas le résultat d’un demi-siècle de non-respect du droit international.
Comme tous ceux qui connaissent un peu les gens, le terrain, le contexte du Proche-Orient, j’ai découvert avec sidération les images des événements des derniers jours. Le corps inanimé, toujours affublé de son gilet pare-balles portant le mot « PRESS » en gros caractères, de la journaliste de la chaîne d’information qatarie Al-Jazeera, Shireen Abu Akleh, mercredi 11 mai, à Jénine ; et surtout les images de ses funérailles, vendredi, à Jérusalem ; les vidéos, en gros plan, au ralenti, qui montrent les policiers israéliens s’en prenant aux porteurs du cercueil avec une violence incompréhensible, l’un d’eux donnant un brutal coup de pied à l’un des hommes qui portaient le lourd cercueil, et celui-ci manquant de tomber avant d’être redressé au milieu de la mêlée.
Comme toute personne dotée d’un minimum de bon sens, doublé du fait d’avoir « couvert » ce type d’événements, y compris à Jérusalem, Gaza ou Hébron lorsque j’y étais correspondant, ma première réaction a été : « pourquoi ? »… Quel peut être le but, l’intention de cette violence ? La mort de Shireen Abu Akleh, une journaliste chevronnée, connue et reconnue, est déjà incompréhensible ; mais on ne peut pas demander une enquête indépendante et tirer par avance des conclusions.
En revanche, le comportement des forces de l’ordre israéliennes lors des funérailles, deux jours plus tard, alors qu’il était évident qu’il y aurait du monde, de l’émotion et des dizaines de caméras de tous pays, dépasse l’entendement. La police israélienne a annoncé qu’elle mènerait une enquête interne pour savoir ce qui s’est passé, mais des policiers ne peuvent pas s’en prendre à un cortège funéraire de cette sensibilité sans ordres et sans conscience de ce qui se joue.
Un huis clos qui n’intéresse plus le reste du monde
Ces images m’ont travaillé, obsédé, perturbé, comme je crois beaucoup de gens qui ont un intérêt pour cette région. Et en prenant un peu de recul, je me suis mis à repenser à ce qui s’y déroule, ce qui s’y joue, alors que l’attention du monde est depuis longtemps ailleurs, à la pandémie, à la guerre en Ukraine, aux recompositions géopolitiques.
Et c’est sans doute l’un des problèmes : la relation entre Israéliens et Palestiniens a pris l’allure d’un huis clos qui n’intéresse plus le reste du monde, à commencer par le monde arabe, en tout cas ses gouvernants qui ont progressivement décrété que la question palestinienne n’était plus « centrale », selon l’expression consacrée. Ils ont renoué progressivement leurs relations avec l’Etat hébreu, les fameux Accords d’Abraham avec les Emirats arabes unis, Bahreïn, le Soudan et le Maroc. Des liens moins officiels mais tout aussi réels existent avec l’Arabie saoudite ou le Qatar.
Ces accords changent la donne géopolitique, c’est incontestable, mais ils n’ont rien changé sur le huis clos entre ces deux peuples qui se disputent la même terre depuis un siècle. Il faut donc en revenir aux « fondamentaux » – et encore, même sur ce que j’appelle les « fondamentaux », il ne peut pas y avoir d’accord dès lors qu’on invoque la parole divine comme acte de propriété d’une terre ou qu’on ne reconnaît pas à l’« autre » le droit à l’existence. Mais il faut bien commencer le récit de la confrontation quelque part, et je le démarre de manière arbitraire à la guerre dite des « Six-Jours », en juin 1967.
Car, à ce moment-là, Israël, le petit Etat qui se bat pour sa survie face à des voisins arabes qui la lui nient, se transforme en puissance occupante et responsable de la vie de millions de Palestiniens. Ce jour-là, le pays a changé, inconsciemment – le « septième jour » comme l’a surnommé de manière prophétique le visionnaire philosophe Yechayahou Leibovitz (voir son livre d’entretiens avec Joseph Algazy, « la Mauvaise conscience d’Israël », publié en 1994 par Le Monde-éditions). Comment ne pas voir que les images des funérailles de Shireen Abou Akleh découlent directement de ce jour fatidique de juin 1967 ?
Le droit international pas respecté depuis un demi-siècle
Nous sommes en 2022, cinquante-cinq ans après l’occupation de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie et de la bande de Gaza par l’Etat hébreu ; des « territoires occupés », selon la définition des Nations unies, avec tout ce que cela comporte de droits et de devoirs. Et cette région ne connaît pas la paix, n’a pas de perspective de paix, pas même l’idée ou le désir de paix. Je sais que cette phrase fera hurler ceux qui n’ont que le mot « paix » à la bouche, ou qui feront porter à l’autre partie la responsabilité de cet état de fait.
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https://www.nouvelobs.com/chroniques/20220516.OBS58514/israel-palestine-il-est-temps-de-revenir-aux-fondamentaux.html
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