Avec un long-métrage à hauteur d’hommes qui cherche à comprendre des trajectoires humaines pendant la guerre d’Algérie, le réalisateur Philippe Faucon se rapproche d’une vérité historique que personne n’accepte.
Il existe des sujets de film qu’on peut considérer comme quasi-impossibles à représenter sous forme de fiction pour le grand écran – on connaît, à cet égard, les polémiques autour de certaines œuvres sur la Shoah. Du moins si l’on veut les traiter avec honnêteté, sans concession vis-à-vis de la vérité historique, en proposant au spectateur le destin de personnages permettant de figurer une version des faits à la fois convaincante et, pourquoi pas, passionnante à découvrir.
Culpabilité des deux côtés
L’histoire des harkis, ces supplétifs algériens de l’armée française pendant la guerre d’indépendance, fait assurément partie de ces thèmes a priori maudits. Parce que la façon dont on raconte qui furent ces hommes qui ont combattu le FLN et ce qu’ils ont fait pendant le conflit colonial est totalement différente, antagoniste même, des deux côtés de la Méditerranée. Et suscite des passions à la hauteur de la culpabilité ressentie par ceux (les Français) qui les ont abandonnés en 1962, malgré des promesses de protection, à un sort tragique après le cessez-le-feu ; et par ceux (les Algériens, en particulier ceux qui n’avaient guère combattu) qui se sont donnés bonne conscience à vil prix en s’en prenant avec cruauté, sans jugement, même sommaire, et sans s’interroger sur leurs motivations, à ces « traîtres » et à leurs familles une fois les combats terminés.
Nul doute, ainsi, que « Harkis », déplaira au niveau officiel et chez les « bien-pensants », autant en Algérie qu’en France. Voilà pourquoi il faut saluer ce film admirable de Philippe Faucon, qui réussit la gageure de surmonter à peu près tous les obstacles pour nous offrir, à partir d’une situation complexe, un récit à la fois rigoureux et prenant. En s’attachant au vécu personnel de ces harkis qui ont eu « tout faux » pendant la guerre et l’ont payé durement.
Fouilles violentes et torture
Les premières images du long-métrage, montrant furtivement une tête coupée dans un seau déposé devant le domicile familial d’un supplétif capturé après le cessez-le-feu, suffisent à évaluer le prix exorbitant de leur erreur de jugement. Mais le reste du film ne privilégie jamais les images spectaculaires, bien au contraire. Il raconte en effet avec sobriété le quotidien en opérations d’un groupe de harkis commandés par un jeune officier français.
Et ce, après avoir fait comprendre lors de quelques scènes intenses comment on devenait supplétif de l’armée française : le plus souvent, alors qu’on n’avait pas de conscience politique affirmée, simplement pour nourrir les siens en des temps difficiles. Parfois parce qu’on avait eu à subir des violences qu’on estimait totalement injustifiées de la part du FLN. D’autres fois parce qu’après avoir été fait prisonnier et torturé sans ménagement, on avait fini par accepter d’être « retourné » par l’armée du colonisateur. D’autres fois encore parce qu’on croyait les promesses d’émancipation et de progrès économique à venir que faisaient miroiter les autorités françaises, surtout à partir de 1958, avec l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle.
La diversité des parcours conduisant à rejoindre les rangs des supplétifs ne le cédait en rien, montre le film, à celle des comportements une fois enrôlé dans l’armée. Racontant la vie de la patrouille qui crapahute de village en village pendant trois ans, il ne cache aucune exaction : fouilles violentes dans les maisons, arrestations arbitraires éventuellement suivies d’exécutions sommaires, torture. Mais en filmant ses personnages de façon rapprochée, il permet de distinguer entre les individus, entre les sensibilités de chacun.
Ni absoudre, ni accabler
Le plus implacable, parmi les harkis, face aux prisonniers indépendantistes, sera bien sûr l’ancien moudjahidine. Auquel s’opposeront parfois plusieurs de ses camarades de combat, la majorité, comme toujours, étant plutôt « suiviste ». Impossible donc de généraliser quand on veut comprendre ce que ces hommes avaient en tête. Seule la crainte de l’avenir une fois évidente la perspective de l’indépendance et le risque d’être abandonné sans véritable protection par l’armée française sur le sol algérien les réunira tous dans un même désarroi. Qui se révèlera on ne peut plus justifié.
Philippe Faucon, ne cherchant ni à absoudre ni à accabler les harkis, en dit finalement plus sur ce que fut la guerre d’Algérie avec cette chronique à hauteur d’homme, jamais simpliste et dénuée de tout pathos, que la plupart de ceux qui ont proposé des récits héroïques, accusateurs ou compassionnels sur le conflit. On retrouve là, filmé au cordeau, ce qui avait fait la réussite, déjà à propos de la guerre d’indépendance, de son film La Trahison en 2005. Et celle, plus récemment, de Fatima, magnifique portrait d’une courageuse femme de ménage maghrébine.
Une enfance passée en partie en Algérie explique sans doute chez Faucon l’envie d’aborder de tels sujets. Tout autant que son souci de donner chair aux « invisibles » et aux oubliés de l’Histoire. Rien d’étonnant à cet égard si son film a été produit par les frères Dardenne, avec lesquels il partage ce dernier désir.
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