Événement-phare de la saison touristique en Tunisie et symbole de sa réputation de terre de tolérance, le pèlerinage juif a pu reprendre cette année sur l’île de Djerba après deux ans d’interruption pour cause de covid, sous haute sécurité.
Cette année, après deux ans d’interruption en raison du covid-19, la synagogue de la Ghriba accueille à nouveau ses pèlerins. L’édition 2022 a lieu du 14 au 22 mai. Durant une semaine, des centaines de fidèles juifs affluent du monde entier sur l’île de Djerba, souvent en faisant escale à l’aéroport de Tunis. L’importance de l’événement est telle qu’un dispositif de sécurité renforcé a été mis en place, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’aérogare.
Arrivant en provenance de Rome, Haïm Attoum, 82 ans, dit avoir attendu ce voyage pendant trois ans, lui qui ne ratait quasiment aucune édition. « Malgré mon âge, c’est toujours un plaisir pour moi de revenir à Djerba. C’est à chaque fois un grand moment d’émotion », déclare-t-il à Middle East Eye.
Il est vrai que la fête de la Ghriba constitue un moment de recueillement et de ressourcement pour des milliers de juifs, pour la plupart originaires d’Afrique du Nord, qui y prennent part souvent en famille. Certaines éditions ont rassemblé jusqu’à 8 000 personnes dans cette synagogue, la plus ancienne d’Afrique, faisant de cette fête religieuse un événement-phare de la saison touristique en Tunisie.
Important dispositif sécuritaire
Dans les rues de Djerba, une forte présence policière est remarquée. Des barrages de contrôle sont mis en place aux principaux ronds-points, plus particulièrement sur le chemin menant à la synagogue de la Ghriba.
Amir, un chauffeur de taxi, est impressionné. « On a rarement vu circuler autant de véhicules des forces de sécurité sur l’île de Djerba. On dirait que c’est la visite d’un chef d’État », dit-il à MEE.
De nombreux bus transportant des touristes font des allers-retours entre les hôtels de l’île et la synagogue, escortés par les voitures de police. « On parle de plus de 5 000 touristes venus spécialement pour cette cérémonie. C’est vrai que ça encombre les routes, mais ça rapporte beaucoup pour l’économie locale », commente Amir.
En effet, une majorité d’hôtels affiche complet, à tel point que de nombreux visiteurs se rabattent sur les rares auberges de jeunesse qu’abrite l’île. « Les prix des hôtels sont revus à la hausse durant la période du pèlerinage de la Ghriba car la demande est très forte et les chambres sont souvent réservées à l’avance », confie un hôtelier.
« On parle de plus de 5 000 touristes venus spécialement pour cette cérémonie. C’est vrai que ça encombre les routes, mais ça rapporte beaucoup pour l’économie locale »
- Amir, chauffeur de taxi
Aux abords de la synagogue, à plus de 200 mètres de la porte d’entrée, un énorme barrage filtrant est érigé. Contrairement aux éditions des années précédentes, l’accès est très restreint. Une invitation officielle est exigée pour les visiteurs non juifs. « Ce sont les instructions ! », lance un officier de police visiblement tendu.
Le 11 avril 2002, le lieu de culte avait été la cible d’un attentat meurtrier, revendiqué par al-Qaïda, qui avait entraîné la mort de 21 personnes.
Partage et convivialité
De leur côté, les pèlerins juifs affluent parés de leurs habits de fête. Les chemises de soie et les colliers de perles sont souvent de mise. D’aucuns arrivent avec des sacs de nourriture, notamment des fruits, et des boissons à la main.
La fête de la Ghriba est aussi un moment de partage et de convivialité entre des fidèles venus du monde entier, d’autant plus que les retrouvailles se font cette année après deux ans de suspension due à la pandémie.
Le pèlerinage consiste aussi à suivre en procession une grande menorah, le chandelier (ou candélabre) juif, montée sur trois roues et décorée de tissus colorés.
Cette année, pour des raisons de sécurité, la procession a été limitée à un périmètre réduit à l’intérieur de la synagogue, alors qu’elle n’hésitait pas, dans le passé, à sillonner certaines autres parties du Hara Sghira (le « petit quartier », où les juifs ne sont pas majoritaires, contrairement au « grand quartier », le « Hara Kbira ») .
Beaucoup de pèlerins se contentent ainsi de se recueillir et de prier à l’intérieur de la synagogue. Des prières rythmées par des chants mystiques séfarades, souvent interprétés par des personnes âgées.
Djerba, terre de tolérance
Avant son indépendance en 1956, la Tunisie comptait pas moins de 100 000 juifs. Aujourd’hui, ils sont environ un millier, installés essentiellement sur l’île de Djerba.
Bien que leur nombre soit en net déclin, la présence juive sur l’île de Djerba demeure un témoin de la tolérance dont jouissent les membres de cette communauté sur cette île qui constitue un dernier îlot de coexistence confessionnelle en Afrique du Nord.
Conscients de la fragilité de cet équilibre, les autorités de l’île multiplient les initiatives pour le protéger. La dernière en date est le dépôt du dossier d’inscription de l’île de Djerba au patrimoine mondial auprès de l’UNESCO. Un dossier qui a été accepté en janvier 2022 après plusieurs tentatives infructueuses.
Une liste de 24 monuments implantés partout sur l’île, dont la synagogue de la Ghriba, sont ainsi proposés à l’inscription. L’objectif de cette démarche est la consécration de ces monuments en tant que patrimoine de l’humanité, qu’il importe de protéger et de transmettre aux générations futures.
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