Désigné par le témoignages posthumes de ses supérieurs comme l’assassin présumé de Maurice Audin, l’ancien parachutiste Gérard Garcet, adjoint d’Aussaresses pendant la bataille d’Alger, se mure dans le silence.
Vannes (Morbihan), envoyée spéciale. «Je n’ai jamais éprouvé le besoin de soulager ma conscience », plastronnait Paul Aussaresses, en 2001, lors de son procès, en réponse à une question de Simone de Bollardière l’exhortant à avouer la vérité sur l’assassinat de Maurice Audin. Celui que ce général tortionnaire désigne, dans un témoignage posthume, comme l’assassin du jeune mathématicien communiste enlevé, torturé et assassiné par les parachutistes à Alger, en juin 1957, a fait sien ce serment du silence sur l’affaire Audin. Gérard Garcet a su se faire oublier, dès 1957. Jusqu’à ce qu’une journaliste du Nouvel Observateur, Nathalie Funès, exhume en 2012 son nom, trouvé dans un manuscrit du colonel Godard, conservé dans les archives de l’université de Stanford, en Californie. Cet officier de la 10e division parachutiste (10e DP), passé par l’OAS, mort en 1975, y désigne Garcet comme l’auteur de l’assassinat de Maurice Audin, ordonné par Massu et organisé par l’équipe que supervisait Aussaresses durant la bataille d’Alger.
Depuis, silence. Témoin clé de ce crime d’État, Gérard Garcet refuse de parler à qui que ce soit. À 88 ans,reclus dans son appartement de Vannes, la ville de garnison du 3e régiment d’infanterie de marine, il ne prend pas même la peine d’adresser un mot aux visiteurs venus frapper à sa porte triplement verrouillée. Ce silence est à la fois glaçant et sordide. Depuis 2012, plusieurs journalistes ont tenté, en vain, d’entrer en contact avec lui. Il vit cloîtré, replié sur lui-même, sans le moindre contact avec ses voisins. Après la guerre d’Algérie, ce militaire aurait été affecté en Martinique, puis au Sénégal, poursuite logique d’une longue carrière dans la coloniale. Il n’a que seize ans lorsqu’il s’engage dans la résistance, en rejoignant les maquis du Vercors. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il passe par Saint-Cyr, puis se porte volontaire pour intégrer le bataillon français de l’ONU en Corée, placé sous le commandement du général Ridgway. « Le profil des soldats français qui se sont portés volontaires pour partir en Corée était très marqué idéologiquement, dans le contexte de la guerre froide », remarque l’historien Alain Ruscio. En 1955, Crèvecœur, un documentaire de Jacques Dupont parrainé par le ministère de la Défense, retrace les combats livrés par ce bataillon. Avec, comme personnage central, un jeune officier nommé… Garcet. Le film, porté par la propagande militaire, fait alors l’objet d’une vigoureuse campagne de dénonciation de la part du PCF.
Après la Corée, c’est l’Algérie, où il se rend vite indispensable auprès du général Massu, dont il est l’aide de camp. Durant la bataille d’Alger, Massu se voit confier la totalité des pouvoirs de police dans la ville blanche. Objectif, démanteler l’organisation politico-administrative du FLN. Pour obtenir des « renseignements », la torture est érigée en institution. Lorsque Aussaresses prend Garcet comme adjoint, c’est ce dernier qui recrute les parachutistes chargés des « basses besognes » au sein d’un « bureau spécial », une structure parallèle, en fait un véritable escadron de la mort. C’est encore Garcet qui déniche, sur les hauteurs d’Alger, la villa des Tourelles, où les suspects soumis à la question sont livrés à l’arbitraire de ce commando de tueurs. Garcet est apprécié de ses pairs et de ses supérieurs, qui le décrivent comme un officier « intelligent » et sans états d’âme.
Cinquante-sept ans après l’assassinat de Maurice Audin, celui qui est désigné par ses supérieurs comme l’assassin du militant communiste se mure dans un silence de plomb. Il est pourtant le dernier à pouvoir lever le voile sur ce crime d’État. Son épouse, qui vit séparée de lui, répond sèchement au téléphone, se plaignant d’être « harcelée ». « Il ne répondra pas ! Pourquoi les journalistes cherchent-ils le diable en nous importunant pour une histoire vieille d’un demi-siècle ? Cet acharnement est insensé ! Garcet a vécu cette guerre dans sa chair et dans son esprit. Il a subi les ordres. Ils sont discutables ou non. Un officier n’agit pas seul. Il y a une hiérarchie, il y a des politiques », s’emporte-t-elle. En vertu des lois d’amnistie empêchant que soient jugés les crimes commis pendant la guerre d’Algérie, aucun tortionnaire ou assassin présumé ne peut être poursuivi en justice. D’un point de vue juridique, rien ne peut contraindre Gérard Garcet à dire ce qu’il sait de l’affaire Audin. Les archives du ministère de la Défense, que Josette Audin a pu consulter l’an dernier, ont été depuis longtemps « nettoyées ». Quant aux archives privées du général Aussaresses, elles ne sont pas versées, pour l’heure, à un fonds d’archives publiques.
Reste l’enjeu politique de la reconnaissance officielle de ce crime d’État. À l’origine d’une question d’actualité qui doit être posée aujourd’hui au gouvernement, le député (Front de gauche) François Asensi milite pour une telle reconnaissance et pour que soient « évaluées les responsabilités des dirigeants politiques de l’époque ». « C’est important pour la France, pour son peuple, insiste l’élu. On ne peut laisser encore dans l’ombre ces agissements intolérables qui ont jeté l’opprobre sur l’armée française. » En 2001, alors que ce passé algérien refaisait surface, Robert Badinter suggérait une voie pour sortir de l’amnésie. Celle d’une « commission vérité » composée de personnalités indépendantes, de magistrats et d’historiens, chargés « d’établir en toute clarté (…) la vérité sur les crimes commis par les forces de l’ordre pendant la guerre d’Algérie ». À défaut de justice, cela contribuerait peut-être à éclaircir des zones d’ombre mortifères.
Vannes (Morbihan), envoyée spéciale.
Mardi 14 Janvier 2014
https://www.humanite.fr/politique/affaire-audin-l-assourdissant-silence-d-un-temoin-556848
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