FIGAROVOX/ENTRETIEN - Pour Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France à Alger, la France manque de volonté dans sa politique algérienne, notamment pour renégocier les accords concernant l'immigration.
Xavier Driencourt est diplomate. Ancien directeur général de l'administration du quai d'Orsay, chef de l'inspection générale des Affaires étrangères, il a été ambassadeur de France à Alger à deux reprises, entre 2008 et 2012, puis entre 2017 et 2020. Il a publié un livre retraçant ces postes: L'énigme algérienne, Chroniques d'une ambassade à Alger (éditions de l'Observatoire, mars 2022).
FIGAROVOX.- L'Algérie «est le seul pays où un ambassadeur de France doit non seulement réfléchir à l'avenir, mais aussi gérer le passé », écrivez-vous. Les récriminations mémorielles de l'État Algérien envers la France sont régulières. Comment interpréter les déclarations ambiguës, contradictoires du président Macron sur le sujet ?
Xavier DRIENCOURT.- C'est vrai, en Algérie, l'ambassadeur de France traite du passé, des questions mémorielles, mais, évidemment doit préparer l'avenir. De même que pour notre diplomatie et pour la France, l'Algérie, c'est un objet de politique étrangère, comme peuvent l'être l'Ukraine ou la Chine ; mais c'est aussi un objet de politique intérieure, compte tenu de l'importance de la population française, 10% environ, qui a un lien avec l'Algérie. C'est tout le paradoxe et la difficulté.
Au départ, j'imagine qu'Emmanuel Macron avait un objectif, qui était de réactiver le projet de «traité d'amitié» entre les deux pays ou à tout le moins, de saisir l'occasion pour normaliser les relations avec Alger. Il s'est appuyé sur les travaux de Benjamin Stora, et a commencé par cette tonitruante évocation de «crimes contre l'humanité» supposément perpétrés par la France en février 2017, alors qu'il n'était encore que candidat à l'Élysée. Mais au fil des déclarations, il s'est aperçu qu'il n'obtenait aucun «retour» de la part de ses interlocuteurs. Après la publication du rapport Stora en janvier 2021, le conseiller algérien chargé des archives et de la mémoire, Abdelmadjid Chikhi, a par exemple déclaré qu'il s'agissait d'un «problème franco-français», sans plus de commentaire. Ces fins de non-recevoir, cette absence de répondant ont généré déception et amertume chez le président, à l'égard de l'Algérie. D'où la plus récente déclaration (octobre 2021) d'Emmanuel Macron sur la «rente mémorielle» exploitée par Alger. Cette fois seulement, l'Algérie a vivement réagi ! Mais au-delà des protestations de part et d'autre, le statu quo règne.
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… Ce qui n'empêche pas une forme d'«attachement », tout aussi ambigu: vous soulignez les très nombreuses demandes émanant de ministres ou personnalités algériennes afin d'obtenir des visas vers la France, ou une scolarisation…
Pour les Algériens, la France est l'ancien colonisateur qu'on critique, mais c'est aussi le pays proche où chacun a un frère, une grand-mère, un cousin… Tout en critiquant, on est conduit à demander qui, un visa, qui une place au lycée français d'Alger ou à la Sorbonne… Il est intéressant de noter que cette attraction perdure malgré l'éloignement économique entre nos deux pays, qui va croissant. En 2008, les entreprises françaises fournissaient 16% du marché algérien, aujourd'hui, ce n'est plus que 10%. Les décideurs algériens se sont tournés massivement vers l'Italie, l'Espagne, l'Allemagne et bien sûr la Turquie et la Chine. Mais quand il s'agit de la santé ou de l'éducation, le réflexe français prévaut largement, par commodité.
À gauche, l'héritage Mitterrandien et ses déclarations sous la IVe République (« L'Algérie, c'est la France », la bataille d'Alger etc.) entraîne un sentiment de remords qui conduit à ignorer certaines réalités.
Xavier Driencourt
Comment expliquer notre incapacité à renégocier l'accord franco-algérien de 1968, qui permet toujours aux Algériens d'immigrer vers la France dans les mêmes conditions que pendant les Trente Glorieuses ?
L'accord de 1968 sur la circulation et l'installation en France des Algériens a été négocié dans une période où l'on cherchait à faire venir de la main-d'œuvre étrangère en France. Il a été renégocié à trois reprises, mais ses principes fondamentaux et dérogatoires au droit commun ont subsisté. Chaque fois que nous avons voulu en modifier le fond, nous avons échoué. Il faudrait en effet aujourd'hui remettre tout le dispositif à plat. Mais nous avons tendance à séquencer les sujets concernant l'Algérie, or ce point devrait être abordé avec les autres, pour avoir une réelle vue d'ensemble de notre relation. C'est d'ailleurs la seule arme dont nous disposons, mais c'est une arme «quasi atomique», je dirais. Sur ce sujet, le problème vient à mon sens des politiques français qui sont un peu «timorés ou non lucides» dès qu'il s'agit de l'Algérie, car c'est aussi de la politique intérieure française.
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À gauche, l'héritage Mitterrandien et ses déclarations sous la IVe République («L'Algérie, c'est la France», la bataille d'Alger etc.) entraîne un sentiment de remords qui conduit à ignorer certaines réalités. À droite, même gêne, cette fois concernant le traitement des Pieds-Noirs et des Harkis lors de la décolonisation menée par de Gaulle. Ces dernières décennies, ces deux camps ont donc eu tendance à ne pas vouloir aborder de front les enjeux algériens. Concernant Emmanuel Macron, il a choisi d'aborder en priorité les aspects mémoriels pour renégocier notre relation mais cette approche n'a rien donné. Si nous sommes incapables de renégocier ce texte fondamental dans notre relation, cela est dû à notre rapport affectif à l'Algérie et à un manque de volonté politique.
Vous remarquez en revanche que pour sa politique africaine, la France a eu tendance à largement ignorer les conseils d'Alger. Prêtons-nous l'oreille à l'Algérie sur les mauvais sujets, alors que nous l'ignorons sur les bons ?
Je cite là-dessus l'exemple de la Libye, avec qui l'Algérie partage 1000 kilomètres de frontière. Les mises en garde algériennes étaient plus que pertinentes. Nous avons intérêt à faire confiance à leur expertise africaine. Mais encore une fois, nos relations sont tellement marquées par nos antagonismes, par la politique intérieure française, que ce prisme remplace tous les autres et nous empêche d'approfondir d'autres sujets. De plus, concernant l'offensive en Libye, j'ai l'impression que le Président Sarkozy avait tendance à ne pas écouter grand monde! Lors de ce déjeuner en 2011, lors duquel Alain Juppé avait rencontré Bouteflika, notre ministre des Affaires étrangères n'avait pu que défendre l'intervention française, qui était déjà lancée avec le Royaume-Uni. À l'avenir, notre coopération devra s'intensifier avec l'Algérie sur tous ces sujets, à l'heure d'une forte déstabilisation du Sahel, et d'une pression démographique sans précédent.
Comment jugez-vous l'évolution du système politique algérien, depuis la tentative réformatrice du Hirak, stoppée par la montée en puissance de l'armée ? Le régime actuel vous semble-t-il à même de relever les défis à venir ?
Il est clair que ce que les Algériens eux-mêmes appellent le «système», une gouvernance opaque d'essence en partie militaire, a une capacité de survie forte. Le Hirak représentait une réelle volonté de changement après 20 ans de Bouteflika. En mars 2019, au plus fort du soulèvement populaire, on a pu dénombrer jusqu'à 13 millions de manifestants, sur 44 millions d'habitants. Mais le système s'est efficacement verrouillé et le mouvement a été récupéré par l'Armée à son profit.
Toutefois, des failles apparaissent dans cette apparente stabilité, il est impossible de le nier. L'armée compose notamment avec une montée continue du fait religieux. Il ne s'agit plus des barbus des années de la guerre civile, mais d'intellectuels conservateurs, d'universitaires, souvent des personnes que Bouteflika avait amnistiées en 2002 au moment de la «concorde nationale». Elles sont désormais largement implantées dans les écoles, et notabilisées, en quelque sorte. D'autres mouvements, progressistes, couvent également. Cette question est centrale, y compris pour la France. Nous avons besoin d'une Algérie stable dans les décennies à venir, ce qui ne signifie pas pour autant une Algérie figée dans le statu quo.
https://www.lefigaro.fr/vox/monde/sur-l-algerie-nos-politiques-sont-timores-et-peu-lucides-le-temoignage-d-un-ancien-ambassadeur-de-france-20220429
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