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C'est une rencontre marquée par le silence et la douleur. En 1959, Léopold Mesnil, alors jeune agriculteur normand, était appelé en Algérie. Il passe quatorze mois à se battre dans une guerre qui, longtemps, ne dira pas son nom. Crise cardiaque à vingt ans. Il en a aujourd'hui 83. Et ses larmes jaillissent dès qu'il s'agit d'évoquer cette époque.
TV5MONDE : En 1959, vous avez 20 ans. Dans quelles conditions partez-vous en Algérie ? Savez-vous ce qu'il s'y passe ?
Léopold Mesnil, ancien combattant en Algérie: J'étais depuis quatorze mois à Saumur, dans l'ouest de la France, une cité militaire. En France, on ne disait pas trop ce qui se jouait en Algérie. On parlait d'événements, c'est tout. Mais j'ai un copain qui est mort là-bas en 1956, donc j'étais un peu "refroidi" à l'idée d'y aller.
TV5MONDE : On parlait de maintien de l'ordre...
Oui... avec des mitrailleuses et des canons...
TV5MONDE : Comment se passe votre départ pour l'Algérie ?
De Saumur, nous partons en convoi, en train, jusqu'à Marseille, puis le bateau. Il y a eu beaucoup de malades. On n'était pas bichonné ! Arrivés à Alger, nous sommes triés par régiments puis envoyés dans nos cantonnements. Ce que je découvre c'est à quel point l'Algérie est un beau pays. Mais surtout, on avait peur. On nous exposait. On n'avait aucun espoir.
TV5MONDE : On parle souvent de la question de la transmission. On sait que concernant la guerre d'Algérie elle reste difficile. Est ce que vous avez un souvenir particulier ?
Non, je ne vais rien dire.
A ce moment de l'entretien, Léopold Mesnil fond en larmes une première fois.
TV5MONDE : Vous n'étiez pas préparé à vivre cela...
On était des gamins. Et la guerre, ce n'est pas joli vous savez... C'était oeil pour oeil, dent pour dent.
TV5MONDE : Est ce que vous saviez pourquoi vous vous battiez à l'époque ?
Honnêtement, non. A l'époque non. Mais maintenant, je peux vous le dire : on est allé défendre les biens des gros colons. Ils étaient à Marseille ou Nice en train de se baigner dans la Méditerranée pendant que nous, nous nous faisions casser la gueule. Ca je ne l'ai pas oublié. D'ailleurs, je n'en veux pas aux Algériens, je n'en veux qu'aux colons ! Les Algériens étaient des Français au rabais, ils n'avaient pas les mêmes droits que nous. J'ai vu des petits Algériens de 5 ans marcher pieds nus dans la neige ! Vous trouvez cela normal ?
TV5MONDE : Très rapidement, vous vous êtes engagé au sein de la FNACA, la fédération nationale des anciens combattants d'Algérie. Que signifie cet engagement ?
Il s'agissait d'entretenir la mémoire et le souvenir. A l'époque, dans les années 60, on ne parlait pas de tout cela. Pas question de déposer une gerbe au pied d'un monument aux morts.
TV5MONDE : Mais entre anciens combattants d'Algérie, est ce que vous parlez de tout cela ?
Oui mais on n'étale pas les choses. On se raconte simplement où on était mais cela ne va pas plus loin.
TV5MONDE : Comment est ce que vous expliquez cette difficulté, aujourd'hui encore, à parler de ce qu'il s'est passé en Algérie ?
Je pense qu'on a tout fait pour nous endoctriner à ne rien dire. Mon fils me le dit souvent et je lui réponds "ben non, c'est passé, c'est passé, et c'est tout" ! Mais je ne sais pas si c'est propre à la guerre d'Algérie. Les Poilus de la guerre 14-18, peut-être, racontaient leur guerre. C'était plus ancré dans les moeurs.
TV5MONDE : Ce silence douloureux des anciens combattants est quelque chose qui revient énormément et donne le sentiment d'une génération sacrifiée. Qu'en pensez-vous ?
Oui, c'est vrai. Mais vous savez, il fallait le faire. C'était notre devoir.
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