Au 113e jour d’audience, les interrogatoires des accusés se sont achevés ce vendredi avec des excuses de Salah Abdeslam adressées aux victimes. Une scène étonnante mais qui illustre aussi les avancées du procès.
Salah Abdeslam, à l’audience le 14 avril. (BENOIT PEYRUCQ / AFP)
L’emprise que Salah Abdeslam a réussi à imposer au procès des attentats du 13-Novembre peut se déplorer ou être considérée comme le grand succès de ces audiences. Mais, ce vendredi à 15h25, au dernier jour de son interrogatoire sur les faits, elle est indéniable tant la cour d’assises semble suspendue à ses paroles.
Voilà trois jours que chacun écoute avec une attention soutenue ses aveux, qu’ils soient crédibles ou non, ses réflexions, qu’elles soient pertinentes ou non, et même ses messages sibyllins que des spécialistes du djihadisme analyseront peut-être un jour de manière plus fine qu’on ne peut le faire au soir d’une semaine d’audiences intenses.
Mais, à ce moment-là de la journée, nous en sommes arrivés aux interrogations de la défense. Maître Olivia Ronen, qui défend le principal accusé du procès aux côtés de Me Martin Vettes, s’installe au micro face à son client pour une série de longues questions sur les faits.
« Est-ce que vous regrettez de ne pas avoir eu le “courage” d’aller jusqu’au bout ?, interroge-t-elle.
– Je ne regrette pas d’avoir renoncé. Ces personnes [qui étaient dans le bar non identifié du 18e arrondissement dans lequel il devait se faire sauter, NDLR], elles sont vivantes. Et je me pose la question : si elles savaient ! J’ai été envoyé faire une mission, je me suis retrouvé en face d’elles… »
Evoquant alors sa propre vie et la souffrance de sa mère, il semble gagné par l’émotion au point de laisser couler ses larmes.
« Je voudrais dire que cette histoire du 13 novembre, elle s’est écrite avec le sang des victimes. C’est leur histoire. Et moi j’en fais partie. Je suis lié à eux. Ils sont liés à moi. On dit [dans un hadith, recueil des actes et paroles de Mahomet, NDLR] : “Aime ton ami avec modération, car demain, il pourrait devenir ton ennemi. Déteste ton ennemi avec modération, demain il peut devenir ton ami”…
Je vous demande de me détester avec modération. Je présente mes condoléances. Je présente mes excuses pour toutes les victimes. Je sais qu’on a des divergences, je sais qu’il y a une haine qui subsiste entre vous et moi. Je sais qu’on ne sera pas d’accord, mais je vous demande de me pardonner. »
Cette fois, la salle ne gronde pas. La veille, un vent de stupéfaction et de colère avait gagné les rangs tandis qu’Abdeslam estimait que l’épreuve des attentats « avait rendu plus forts » les victimes qui y avaient été confrontées… Cette fois, peu de soupirs dubitatifs accueillent ses propos, contrairement à ses explications fragiles sur son rôle dans le déroulement des attentats.
De fait, si les paroles de Salah Abdeslam semblent si scrutées, c’est bien en raison de leur abondance. Quelques minutes auparavant, également sur une question d’Olivia Ronen, il a ainsi donné de nouveaux détails sur la nuit 11 au 12 novembre 2015 et la rencontre avec le chef des commandos terroristes, Abdelhamid Abaaoud. Depuis son box, l’accusé décrit ainsi cette séance de mise en condition : « On m’explique que ce sera quelque chose de grand de frapper la France en son centre, que beaucoup de femmes et d’enfants ont été tués par la coalition dont la France fait partie, que la France ne cesse de combattre les musulmans, de les insulter, de les rabaisser, que mes frères sont en train de souffrir. On m’explique que c’est le paradis qui m’attend si je suis cette voie-là. […] A force de ça, je dis : “c’est bon, je vais y aller”. »
A force de tant parler, Salah Abdeslam confirme ainsi son emprise sur l’audience. Il l’impose même à ses propres avocats.
« Vous avez été piégé ?, tente Olivia Ronen.
– Je n’aime pas ce terme-là, je ne veux pas passer pour une victime », grimace-t-il.
Et quand Me Negar Haéri, l’avocate de Mohammed Amri, tente d’introduire dans le débat le mot de « déserteur », il grimace de nouveau : « Je n’aime pas trop ce terme. »
Ainsi, l’accusé, qu’on annonçait muet au début du procès et qui parle tant, veut désormais pousser son avantage : donner sa version des faits, écrire sa propre histoire, conceptualiser un « lien » avec les victimes et donc choisir les mots.
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https://www.nouvelobs.com/attentats-du-13-novembre-le-proces/20220415.OBS57199/je-vous-demande-de-me-detester-avec-moderation-les-droles-d-excuses-de-salah-abdeslam.html
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