Le 19 mars 62, Jacques Arnault était en poste à la frontière marocaine. Il se souvient précisément de la joie des appelés à l’annonce du cessez-le-feu.
À 20 ans, Jacques Arnault, fils de petits agriculteurs de la Vienne, n’était jamais allé bien loin de son village de La Puye. Les 14 premiers mois de son service militaire, près de Bordeaux se sont plutôt bien passés, jusqu’à ce jour de l’automne 1961 où on l’a embarqué dans un vieux rafiot, direction l’Algérie, à la frontière du Maroc. Loin, très loin de La Puye.
C’est le début de huit longs mois passés sur un piton, sans avoir grand-chose à faire, si ce n’est surveiller le réseau électrifié. Rien de bien exaltant mais on n’était jamais à l’abri d’une mine ou d’une balle perdue : « Heureusement qu’en face, ils étaient pas doués. Mais t’aurais reçu un bonbon sur le nez, tu y étais ! » Jacques n’a pas souvenir qu’un de ses camarades ait jamais été touché.
Celui qui a fait
l’Algérie a perdu
son temps
On tue le temps comme on peut. « Un dimanche, pour améliorer l’ordinaire, on est allés à la chasse au dromadaire. On en a tués quatre. C’est un copain boucher à Savigny-sous-Faye qui nous a dépecé ça. C’était pas très bon… »
Ce 19 mars, Jacques Arnault s’en souvient comme si c’était hier : « On s’y attendait un peu. On savait que ça discutait. On avait tous nos postes de radio. Les accords ont eu lieu le samedi (1). Nous, on a su le dimanche vers midi que c’était le cessez-le-feu en Algérie. C’était la liesse, la bière coulait à flots… Bon, le lendemain, les choses ont commencé à se brouiller un peu. On était censés rester au pied du lit avec le paquetage et le fusil prêts. »
Mais rien ne se passe. Ce n’est qu’en juillet que les soldats sont ramenés sur Oran puis rembarqués le 10 août sur le Ville-d’Alger. Les dernières semaines ont été angoissantes. Pas tant avec les fellaghas, qui ne bougeaient pas tant que les soldats français se tenaient « à carreau ». « On craignait surtout l’OAS », avoue Jacques Arnault, pour qui cette guerre d’Algérie restera « un beau gâchis, une histoire politique. Ceux qui sont restés 28 mois là-bas, sans la moindre formation, ils en ont bavé. Celui qui a fait l’Algérie, il a perdu son temps… »
« Il a appris à mûrir, mais d’une drôle de façon », tempère Gérard Mesnil, secrétaire général de la Fnaca 86 et secrétaire du comité de Chauvigny, auquel appartient aussi Jacques Arnault (2).
Vincent Buche
(1) En réalité, le 18 mars 1962, jour de la signature, tombait un dimanche. Le cessez-le-feu est entré en vigueur le lundi 19 mars à midi.
(2) Assez curieusement, l’Office national des anciens combattants ne dispose d’aucune statistique sur le nombre d’appelés en Algérie originaires de la Vienne.
Jacques Lallemand : "Mon lieutenant, tu m'as donné 50 ans de vie supplémentaire"
Le Poitevin Jacques Lallemand, dont le père est un colonel proche de l’Organisation Armée Secrète (OAS), s’engage à 20 ans pour venger la mort de son frère aîné, tombé en Algérie. En mars 1962, il est à la tête d’une harka de 56 hommes dont le sort tragique est réglé s’ils restent en Algérie. Le jeune sous-lieutenant parvient non sans mal à en faire entrer une trentaine dans l’armée régulière.
Pour les autres, les malades ou ceux qui n’ont aucune instruction, les ordres sont clairs : ils doivent rester en Algérie. Peu importe que le FLN ait par avance condamné à une mort atroce ceux qu’ils considèrent comme des traîtres.
Jacques Lallemand, qui s’est déjà fait remarquer l’année précédente pour ses accointances avec les généraux putschistes d’Alger (il épousera plus tard la propre fille du général Zeller), refuse de se plier aux ordres. Mais il n’y a plus de bateau, il faut attendre : « Rien n’était prévu. J’avais peur que l’OAS me tue mes gens… »
Les premiers harkis évacués
Jacques Lallemand parvient finalement à embarquer pour Marseille ses harkis et leur famille, 43 personnes au total, à la grande fureur des Pieds noirs qui attendent eux aussi, et à qui il lance : «Eux, ils se sont battus!» Il est le premier officier, avec le capitaine Jacques Delmotte, originaire de Chauvigny, à faire traverser des supplétifs. Par la suite, il fera embarquer ainsi de nombreux harkis quitte à faire tourner les mitraillettes en direction de gendarmes mobiles trop zélés qui veulent s’opposer à ces départs !
À Marseille, Yannick Lallemand, le frère de Jacques, séminariste, réceptionne ces premiers harkis et les convoie jusqu’à la propriété familiale de Saint-Cassien, à Angliers, dans la Vienne. Logées dans les communs du château, les familles y resteront pour certaines jusqu’à six mois, Yannick puis Jacques, rentré à son tour d’Algérie en juillet, les plaçant un peu partout en France. « Ma mère leur donnait des cours de français, apprenait aux femmes à tricoter », se souvient Jacques Lallemand.
Soixante ans après, l’ancien officier a conservé des liens avec quelques-uns de ses harkis et leurs familles. Il y a dix ans, l’un d’eux, atteint d’une maladie incurable, a tenu à lui rendre une dernière visite, à Mouterre-Silly où il réside une partie de l’année : « L’homme s’est mis à genoux, il m’a embrassé les mains et il m’a dit : “ Mon lieutenant, tu m’as donné 50 ans de vie supplémentaire. ” »
V.B.
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