Ces derniers jours, pour fêter les 60 ans de « la guerre d’Algérie », les documentaires historiques, accompagnés de débats avec les réalisateurs, occupent une place prépondérante sur les écrans des télévisions françaises. Dans les discours de différents présidents français sur cette période, les mots n’ont pas pu porter loin la volonté politique qui veut réconcilier les Français avec leur passé. L’historien spécialiste de l’histoire d’Algérie, Benjamin Stora, l’a clairement souligné lors d’un débat à l’issue du documentaire « C’était la guerre d’Algérie », en affirmant que les discours des présidents qui tentent de trouver l’équilibre entre les mots pour qualifier cette période coloniale, s’ils accrochent un moment, le temps d’une polémique, tombent fatalement dans l’oubli. D’où la volonté d’investir dans un autre créneau, qui fait mieux revivre l’histoire que ne le feraient l’écrit et la parole. Et qu’y a-t-il de mieux que le film documentaire, surtout quand il est bien construit, pour dire et regarder la vérité en face ?
« Quelquefois, d’une image, d’un son, d’un mot jaillit la vérité de l’un de ces jeunes Français – un million et demi – qui ont été envoyés pour combattre en Algérie, entre 1954 et 1962 ou de ces familles de pieds-noirs « soudées par tant de souvenirs accumulés, ou encore d’un nationaliste algérien qui a vécu l’injustice coloniale et a trop longtemps attendu l’indépendance ». C’est une phrase bien révélatrice tirée du rapport sur les questions mémorielles portant sur la colonisation, établi par M. B. Stora sur demande du président français, Emmanuel Macron. L’historien, qui préconise dans ce même rapport « la poursuite de commémorations, comme celle du 19 mars 1962, demandée par plusieurs associations d’anciens combattants à propos des accords d’Evian, premier pas vers la fin de la guerre d’Algérie », semble ainsi s’inscrire en droite ligne de son travail qui vise à réconcilier les Français avec leur histoire. Car, il n’y a pas qu’à dépassionner politiquement les relations mémorielles entre deux pays.
Le fossé est également creusé entre les Français eux-mêmes au sujet de cette guerre d’Algérie qu’on a mis du temps à reconnaître comme telle. Jusqu’en 1999, précisément jusqu’au 10 juin 1999, date à laquelle l’Assemblée nationale française a adopté une proposition de loi reconnaissant officiellement la guerre d’Algérie, on ne parlait en France que « d’évènements d’Algérie ». La commémoration du 19 mars 1962, marquant le cessez-le-feu en Algérie après la signature des accords d’Évian le 18 mars 1962, une date commune partagée entre l’Algérie et la France, les deux signataires des accords en question, répond à deux visions d’une mémoire déchirée qu’on a toujours du mal à faire converger l’une vers l’autre.
Beaucoup de Français ne veulent pas du tout entendre de cette journée du 19 mars 1962, célébrée en hommage aux victimes de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc, car pour eux, il s’agit d’une période trouble qui a vu les violences redoubler de férocité, avec de nombreuses morts de Français et de harkis au tableau. En Algérie, c’est « la fête de la Victoire » qu’on commémore le même jour. L’image, le son et la parole réussiront-ils à donner un plus à l’écriture complexe de l’histoire ?
par Abdelkrim Zerzouri
Le Quotidien d’Oran, 17/03/2022
https://moroccomail.fr/2022/03/18/algerie-lhistoire-et-ses-versions/
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