Le cristal de l’enfance s’ébrèche quand vient le loup. L’hiver 1954, le loup guettait quand il prit Grand-père. Aucun rire, aucun blagueur ne résiste à son l’appel. Même Sethi, le vieux Sethi, celui qui lui rendait visite, l’ami revenu du Chemin des Dames, l'avait rejoint avec son tablier de pauvre et sa béquille. Longtemps qu'il toussait des restes de gaz moutarde, longtemps que le cri du fauve soufflait dans ses vieilles bronches.
La campagne grondait comme une souricière. La mort avait de longues dents.
À 8 ans, à la Toussaint, j’ai su que nous habitions la tanière du loup. À 8 ans, j’ai su qu’il n’y a pas d’âge pour être grand, ni d’âge pour être enfant. À 8 ans, j’ai appris que vouloir être qui l’on est, suffit. À 8 ans, j'ai compris que la destination m’était moins importante que le chemin.
Grand-mère avait la patience de ceux qui partent. Le secret habitait sa maison. Lorca la faisait pleurer, des noms jaillissaient du noir. Je n’ai jamais su s’il avait été utile à mon père de vouloir être plus fort que ses peurs d'homme, je n’ai jamais su ce qu’il savait du bonheur, il était mon père.
Depuis le premier hurlement du loup, je n’ai jamais cessé d'être le petit garçon qui en a peur, le petit garçon qui sait que, jusqu'au bout, il lui faudra se battre pour mériter la vie.
J’ai toujours su qu’il me faudrait parcourir cette brisure d’éternité où seule la beauté rassure. Tout cela, je l’ai appris en regardant le ciel d’Algérie et ses hirondelles hiéroglyphes courir entre le silence de mon père et l’aridité des peurs.
Depuis, le loup a tout mangé, les amis ont essaimé loin d’une enfance devenue étrangère, mon père est parti, et ma mémoire est un pays d'exil. Sur ma route de Poucet, si vieux que je sois, il me faudra encore semer des mies de beautés et des croutons de douceurs, si les oiseaux les mangent, plus fort que mes peurs je ferai canard et chanterai le bonheur d'être encore là.
Il y a longtemps que je le sais : les imbéciles ne croient pas au loup.
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