Amour d'été
Le roman porte la trace des lieux et d'une mémoire blessée. Dans les brumes du quotidien et de l'exil — journaliste, poète et romancière, Nadia Ghalem est née à Oran, en Algérie, et vit à Montréal depuis l965 — remontent à la surface des histoires brèves, impressionnistes, qui s'enchevêtrent sous forme de poèmes, de lettres, de récits brefs, de chroniques. Un livre délicat. Dans le télescopage des temps et des lieux. Qui passe de la fraîcheur juvénile au clair-obscur de la vie.
Les souvenirs du pays lointain, de l'enfance, d'un amour de jeunesse se présentent à la mémoire de la narratrice comme un diaporama, avec des images qui changent suivant l'angle et la luminosité. Retrouver le pays, c'est retrouver la Casbah d'Alger, les chanteuses de chaâbi (musique traditionnelle populaire), Timgad, la belle endormie, les robes fleuries des femmes des Aurès, de Kabylie et d'Oranie, Khadidja, la marchande de bijoux ambulante. Puis la mémoire traque l'enfance. Là, devant la porte de la maison de pierres grises, le mimosa chargé de boutons floconneux jaunes délicatement parfumés, au pied duquel la narratrice enterre une bouteille remplie de poèmes. Il y a aussi les courses folles dans les champs de blé parmi les coquelicots, les enfants qui font éclater les châtaignes dans le foyer de la maison, la traversée de l'Algérie d'est en ouest, 1020 km, avec les parents, le premier chagrin d'enfant quand disparaît sa petite tortue, les nuits magiques sur la terrasse, quand sous le ciel étoilé les enfants allongés près d'Amti (tante en arabe) l'écoutent raconter les histoires de Schéhérazade: «Amti, en nous enseignant l'histoire, le rêve, l'imaginaire, a sauvé une certaine innocence en nous, a sauvé notre esprit comme Schéhérazade a sauvé sa vie.» Les enfants, que la guerre qui déchire leur pays angoisse, peuvent enfin dormir.
Confession voilée
Dans le brouillard de la mémoire apparaît enfin Fodhil, l'amour impossible. Il vient tous les étés en vacances chez les grands-parents de la narratrice. Elle a quatorze ans. «Il l'a regardée, a dit qu'il la trouvait belle. Elle s'était levée à l'aube pour le voir passer dans la rue. Il a pris le train de cinq heures du matin. C'était la fin des vacances. C'était le début de la guerre.» Longtemps après, il y aura les départs, les voyages en Europe, dans plusieurs pays africains, l'exil «au pays de la neige et de l'eau, et du bonheur tranquille», d'autres départs vers la Californie, la Louisiane, le Mexique. Et toujours au détour d'une rue, d'une ville ou d'une gare, ou à la terrasse d'un café, surgira la silhouette de Fodhil. Un amour resté en suspens, comme la vague de l'artiste japonais Hokusai retenue comme un souffle, laissant deviner toute la puissance qui l'a provoquée et anticiper l'impact qu'elle aura en s'abattant sur le rivage...
Sur des feuillets dépareillés, nous découvrons une femme éprise d'harmonie et de beauté, s'intéressant à l'histoire de l'art, à l'Antiquité méditerranéenne et aux imaginaires croisés des artistes et des écrivains. Dans un autre registre, la narratrice parle de l'errance, comme une manière d'être au monde. Son univers n'est pas toujours celui de la joie. D'arrachement en arrachement, la narratrice demeure en quête de ce paradis perdu, de ce «pays innocent» dont parle Ungaretti. Les mots crépitent quand elle évoque les pays balafrés de guerres et de violences ou la montée des intégrismes religieux qui menacent les droits des femmes. Comme si elle touchait à une figue de barbarie hérissée de piquants.
On se laisse bercer par le flux de la mémoire et des sensations qui se superposent en fines touches. L'écriture fonctionne comme une confession voilée, pudique mais explicite, discrète et profonde. Le récit a de fortes résonances autobiographiques, les souvenirs arrangés, restitués, avec dissimulation ou au contraire mis en lumière avec excès. Du vécu restitué esthétiquement. Tout dans L'amour au temps du mimosa est descriptif et mystérieux à la fois, remarquable prouesse que celle de transformer une histoire belle et touchante en véritable épopée du coeur humain. On ne sort pas de la lecture de ce roman sans être touché, sans se sentir complice de l'auteure.
Les souvenirs du pays lointain, de l'enfance, d'un amour de jeunesse se présentent à la mémoire de la narratrice comme un diaporama, avec des images qui changent suivant l'angle et la luminosité. Retrouver le pays, c'est retrouver la Casbah d'Alger, les chanteuses de chaâbi (musique traditionnelle populaire), Timgad, la belle endormie, les robes fleuries des femmes des Aurès, de Kabylie et d'Oranie, Khadidja, la marchande de bijoux ambulante. Puis la mémoire traque l'enfance. Là, devant la porte de la maison de pierres grises, le mimosa chargé de boutons floconneux jaunes délicatement parfumés, au pied duquel la narratrice enterre une bouteille remplie de poèmes. Il y a aussi les courses folles dans les champs de blé parmi les coquelicots, les enfants qui font éclater les châtaignes dans le foyer de la maison, la traversée de l'Algérie d'est en ouest, 1020 km, avec les parents, le premier chagrin d'enfant quand disparaît sa petite tortue, les nuits magiques sur la terrasse, quand sous le ciel étoilé les enfants allongés près d'Amti (tante en arabe) l'écoutent raconter les histoires de Schéhérazade: «Amti, en nous enseignant l'histoire, le rêve, l'imaginaire, a sauvé une certaine innocence en nous, a sauvé notre esprit comme Schéhérazade a sauvé sa vie.» Les enfants, que la guerre qui déchire leur pays angoisse, peuvent enfin dormir.
Confession voilée
Dans le brouillard de la mémoire apparaît enfin Fodhil, l'amour impossible. Il vient tous les étés en vacances chez les grands-parents de la narratrice. Elle a quatorze ans. «Il l'a regardée, a dit qu'il la trouvait belle. Elle s'était levée à l'aube pour le voir passer dans la rue. Il a pris le train de cinq heures du matin. C'était la fin des vacances. C'était le début de la guerre.» Longtemps après, il y aura les départs, les voyages en Europe, dans plusieurs pays africains, l'exil «au pays de la neige et de l'eau, et du bonheur tranquille», d'autres départs vers la Californie, la Louisiane, le Mexique. Et toujours au détour d'une rue, d'une ville ou d'une gare, ou à la terrasse d'un café, surgira la silhouette de Fodhil. Un amour resté en suspens, comme la vague de l'artiste japonais Hokusai retenue comme un souffle, laissant deviner toute la puissance qui l'a provoquée et anticiper l'impact qu'elle aura en s'abattant sur le rivage...
Sur des feuillets dépareillés, nous découvrons une femme éprise d'harmonie et de beauté, s'intéressant à l'histoire de l'art, à l'Antiquité méditerranéenne et aux imaginaires croisés des artistes et des écrivains. Dans un autre registre, la narratrice parle de l'errance, comme une manière d'être au monde. Son univers n'est pas toujours celui de la joie. D'arrachement en arrachement, la narratrice demeure en quête de ce paradis perdu, de ce «pays innocent» dont parle Ungaretti. Les mots crépitent quand elle évoque les pays balafrés de guerres et de violences ou la montée des intégrismes religieux qui menacent les droits des femmes. Comme si elle touchait à une figue de barbarie hérissée de piquants.
On se laisse bercer par le flux de la mémoire et des sensations qui se superposent en fines touches. L'écriture fonctionne comme une confession voilée, pudique mais explicite, discrète et profonde. Le récit a de fortes résonances autobiographiques, les souvenirs arrangés, restitués, avec dissimulation ou au contraire mis en lumière avec excès. Du vécu restitué esthétiquement. Tout dans L'amour au temps du mimosa est descriptif et mystérieux à la fois, remarquable prouesse que celle de transformer une histoire belle et touchante en véritable épopée du coeur humain. On ne sort pas de la lecture de ce roman sans être touché, sans se sentir complice de l'auteure.
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