Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France à Alger. © DR
L’ex-ambassadeur de France à Alger Xavier Driencourt s’est délié de son devoir de réserve pour livrer sa vision des relations compliquées et passionnées entre les deux pays. Entretien.
Fin connaisseur de l’Algérie, où il fut chef de la mission diplomatique française pendant près de huit ans (de 2008 à 2012 et de 2017 à 2020), Xavier Driencourt porte un regard sans concession sur les relations entre Paris et Alger. Dans l’entretien qu’il nous a accordé à l’occasion de la sortie de son livre L’Énigme algérienne – Chroniques d’une ambassade à Alger, aux éditions de l’Observatoire, l’ancien ambassadeur évoque l’opacité du système politique algérien, le poids écrasant de la colonisation française et de la mémoire commune, ainsi que le sempiternel dossier des visas qui empoisonne les relations entre les deux pays.
Jeune Afrique : Deux fois ambassadeur de France en Algérie, vous êtes un fin connaisseur de ce pays. Pourtant, vous dites que l’Algérie est une énigme.
Xavier Driencourt : Au bout de huit ans de présence, l’Algérie reste en effet énigmatique, en tout cas pour moi. Nous croyons la connaître, mais nous ne la connaissons pas en vérité. Nous l’avons pourtant colonisée pendant 132 ans et nous y avons fait la guerre durant plus de 7 ans.
Ainsi, il y a peu de touristes français en Algérie, alors qu’un million d’entre eux vont à Marrakech tous les ans. Les Français vont en Tunisie, au Maroc, mais peu en Algérie. D’où le fait qu’ils ne connaissent pas ce pays. Les Algériens me disaient souvent : « Nous vous connaissons mieux que vous nous connaissez. » Un ministre algérien m’a, lui, lancé un jour : « Ce qui fait notre force, c’est notre opacité. »
Comment décririez-vous le système politique algérien ?
Il est, me semble-t-il, le prolongement du système de fonctionnement des wilayas (départements) pendant la guerre de 1954. Ce mode d’administration et de gouvernance, rendu nécessaire par la guerre, avec le culte du secret, de l’opacité et de la confidentialité, a été reproduit à l’indépendance.
Il est donc difficile pour quelqu’un de l’extérieur d’identifier les centres de décision. Quel est le processus de décision ? Qui prend la décision ? Quel est le cheminement d’une décision entre le moment où vous faites une proposition et celui où elle est adoptée ? Ce sont toutes ces questions qui nous interpellent au quotidien quand on travaille sur le dossier algérien.
Pourriez-vous citer un cas qui illustre ce processus opaque de prise de décision ?
En 2019, nous avions proposé aux Algériens de faire débuter le Tour de France 2022 à partir d’Alger pour marquer le 60e anniversaire de l’indépendance. Le directeur du Tour de France, qui a trouvé l’idée géniale, est allé la présenter aux responsables algériens, qui se sont tous montrés enthousiastes pour ce projet qui ferait de la publicité à l’Algérie et redorerait son image à l’extérieur. Le président Macron en avait même parlé à Bouteflika lors de sa visite en 2017. Depuis, aucune suite de la part des Algériens.
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