Livre
Tamurt Imazighen. Mémoires d'un survivant, 1940-1962. Récit de Ali Zamoum. Editions Rahma, Alger 1993, 339 pages.
Une phrase clé, celle qui résume à elle seule la franchise et l'engagement de Ali Zamoum : «Je veux bien assumer (puisqu'on en est arrivé là) jusqu'en 1962. Mais depuis ma responsabilité est égale à celle de tous les Algériens. Y compris les jeunes» (p 323). Mais cela a été dit et écrit après l'Indépendance... en pleine conscience du devoir bien accompli mais, hélas, après avoir rencontré et/ou constaté, sur le terrain de la gestion du pays dès les premiers mois bien des dérives...
Il y avait de quoi, de la part d'un homme qui a commencé à militer pour la libération du pays, dès le jeune âge; ayant participé au déclenchement de la guerre , le 1er Novembre 1954, ayant côtoyé des héros et des personnages extraordinaires, au maquis ou en prison (dont Zahana) , Algériens musulmans ou d'origine européenne, condamné (trois fois) à mort, torturé et ayant passé une bonne partie de sa jeunesse dans les prisons coloniales d'Algérie (Tizi Ouzou, à l'âge de 20 ans et 4 mois en mars 55, Barberousse, El Harrach, Lambèse (Tazoult), Constantine, Grandes Baumettes / Marseille), Fresnes, Caen, Rouen, Île de Ré et, enfin un retour à Serkadji pour être libéré...)
Déçu mais jamais découragé, engagé mais jamais enfermé dans un dogme précis sinon celui de la libération, de la justice et de la liberté, il a choisi le travail de proximité, ce qui avait d'ailleurs paré le ministère du Travail et de la Formation professionnelle, dirigé alors par un autre monument de la guerre de Libération nationale, Mohamed Said Mazouzi, de sa plus prestigieuse auréole. Son humanité et sa compréhension des choses de la vie l'avaient, par ailleurs rapproché des intellectuels de l'époque, en l'occurrence l'écrivain Kateb Yacine et le peintre Issiakhem : la couverture du livre est d'ailleurs illustrée par un dessin à la plume de ce dernier (en plus, à l'intérieur de l'ouvrage, on découvre quelques pages de «l'explication de M'hamed sur la spécificité vestimentaire des femmes kabyles», et quelques autres pages adressées à l'ami et frère Yacine qui l'avait encouragé auparavant à écrire) .
L'Auteur : Grande figure de la guerre d'indépendance de l'Algérie, Ali Zamoum est mort samedi 28 août, des suites d'une longue maladie. Né le 20 octobre 1933 à Boghni / Tizi Ouzou, il était âgé de 71 ans. Fils d'un instituteur de la région de Tizi Ouzou, en Kabylie, Ali Zamoum s'engage à l'âge de 15 ans dans les rangs du mouvement nationaliste qu'incarne le PPA, le Parti du peuple algérien. A l'automne 1954, il se voit confier par Krim Belkacem un texte de deux pages qu'il doit reproduire à plusieurs milliers d'exemplaires. Il s'agit de la proclamation du 1er Nnovembre 1954 qui servira de déclencheur à la guerre de Libération nationale. Responsable de la région de Tizi Ouzou, il est arrêté en février 1955, les armes à la main, au cours d'un accrochage. Torturé, il est condamné à mort mais finalement gracié. Suivent sept années d'incarcération. L'Algérie devenue indépendante, Ali Zamoum devient le premier préfet de Grande Kabylie. Directeur central au ministère du Travail et de la Formation professionnelle, poste qu'il occupa jusqu'à la retraite, et fort de ses appuis au sein de l'Etat, il devient le protecteur des écrivains et des artistes, en particulier de la troupe de théâtre de Kateb Yacine. L'âge de la retraite venu, Ali Zamoum se retire dans son village de Kabylie et crée une association,' Tagmat's (Fraternité), pour venir en aide aux déshérités.
Extraits : «Quant à la Préfecture où j'avais poireauté, mouillé et tremblant de froid, qui pouvait prédire que j'en serai son occupant officiel, en tant que préfet du département après 62 ? Mais d'abord qui pouvait espérer être vivant dans une Algérie indépendante ? Celle-ci n'était qu'un horizon que l'on n'atteint jamais, mais que l'on poursuit tout de même» (p143), «Je ne sais pas comment a été préparé la réunion des vingt-deux personnes, mais je n'ai jamais appris que les représentants de la Kabylie aient refusé d'y participer» (p 147), «La prison est un foyer propice aux échanges et à la confrontation des idées (...) C'est à juste titre qu'on dit que la prison est une école de formation» (246) , «Un mensonge mille fois répété devient une vérité. Il ne faut pas oublier que pendant plus de trente ans, le peuple algérien a été harcelé par le discours des gens du pouvoir. Avec une belle continuité et une naturelle coordination, en arabe classique, mais aussi en arabe algérien, en tamazight ou en français, ils nous ont tenu la même langue de bois» (p315)
Avis : Une leçon d'Histoire à hauteur d'homme (de cœur et d'engagement). Un ouvrage qui mérite largement d'être ré-édité.
Citations : «La liaison intime entre la France et la chrétienté et entre l'Algérie et l'islamité était telle qu'encore aujourd'hui beaucoup d'Algériens font la confusion» (p104), «En vérité, lorsqu'on sait toutes les tortures que subissaient les personnes arrêtées, on ne peut en vouloir à quelqu'un d'avoir cédé à la souffrance. La résistance humaine a des limites. Un individu qui avoue sous la torture n'est pas forcément un traître, loin de là» (p173), «La prison est, paradoxalement, le premier lieu où les Algériens purent enfin communiquer entre eux en toute liberté. Et par là-même, s'informer (...). Personnellement, c'est dans les prisons que j'ai appris à connaître les Algériens de toutes les contrées d'Algérie. Les arrestations massives des populations ont permis un brassage des Algériens extraordinaire» (p196), «Connaître, c'est comprendre, et comprendre, c'est déjà un préalable pour aimer l'autre et se comprendre soi-même» (p196), «Il y a des vérités d'une période qui ne le sont plus à une autre (...) En vérité, seul le doute est vrai .Toute vérité doit être mise en doute. Et même de cette vérité, je doute (p248)
Ali Zamoum, le juste. Essai de Rabah Zamoum (préface de Hocine Zahouane et postface d'Amir Imalayène). Inas Editions, Alger 2016, 1.000 dinars, 338 pages (Fiche de lecture déjà publiée en 2019. Pour rappel)
Il ne s'est jamais arrêté de lutter. Hier, encore tout jeune, pour la libération du pays du joug colonialiste. Fait prisonnier, condamné à mort à plusieurs reprises, il erra de prison en prison jusqu'à l'Indépendance du pays en 1962. Entre- temps, son frère aîné, Mohamed Zamoum (Si Salah) commandant de la wilaya 4 historique, tombait au champ d'honneur.
Un homme hors du commun, un moudjahid vrai qui n'a jamais cherché à tirer un avantage matériel ou une quelconque gloriole.
Hocien Zahouane, le préfacier, en trois points, a tracé son portrait: Anti-carriériste (il aurait pu faire un très beau parcours, ayant débuté, en 1962, à la tête de la wilaya de Tizi-Ouzou).
Anti-apparatchik (ce qui lui avait valu bien des inimitiés au sein du Fln dont il a animé la Fédération).
Incorruptible (résistant aux «appels» continuels de Houari Boumediène, allant alors qu'il était directeur d'un des plus gros complexes industriels, celui du textile- jusqu'à s'opposer publiquement et de quelle manière !- à Belaid Abdesselam, alors ministre en charge omnipotent du secteur) Mille et une fonctions, mille et une difficultés... et, c'est au ministère du Travail, avec comme boss, Mohamed Said Mazouzi, un autre vrai grand de la Révolution, qu'il va s'épanouir le mieux et le plus, à la tête de la direction de la Formation professionnelle. Il y a développé sa demarche novatrice, «révolutionnaire» pour H. Zahouane retrouvant, certainement, par bien des expériences originales (dont celles culturelles avec ses «complices intimes, Kateb Yacine et M'hamed Issialkem), le chemin du combat a commencé déjà durant la révolution armée à partir du village natal, Igihl Imoula, lieu de production et de publication de la Déclaration de Novembre: la libération économique, sociale et politique du citoyen.
Par la suite, il s'investira dans l'humanitaire avec la Fondation «Tadjemaït» (qui continuera d'ailleurs l'œuvre du fondateur) sous l'appellation «Tagmats Ali Zamoum».
L'Auteur : A tout seigneur tout honneur ! Ali Zamoum, décédé en septembre 2004, est né le 29 octobre 1933 à Ighil Imoula (Tizi Ouzou)... Dès sa prime jeunesse, il se forme aux côtés de son frères aîné Mohamed Zamoum, Si Salah, futur commandant de la Wilaya 4 historique et tombé au champ d'honneur en juillet 1961.
Ali le moudjahid est fait prisonnier en février 1955. Condamné à mort, à plusieurs reprises, il partagea la cellule de Ahmed Zabana, la veille de son exécution. Libéré en 1962, il occupa plusieurs postes de responsabilités, dont celle de wali de Tizi Ouzou, avec toujours une grande volonté d'améliorer le sort des démunis, ce qui ne facilitera pas ses rapports avec le «pouvoir».Très proche de Mohamed Said Mazouzi, l'autre juste et grand ami de Kateb Yacine et de M'hamed Issiakhem. Auteur, en 1994 (Ed. Rahma) d'un ouvrage qui avait connu un mmense success «Tamurt Imazighen... Mémoires d'un survivant» Rabah Zamoum est son neveu, fils de Si Salah.
Extraits : «Quand on examine le fonctionnement des ministères, quand on observe les ministres eux-mêmes, les directeurs centraux, les cadres supérieurs du pays, la bureaucratie,... nous constatons que pour eux et selon eux, tout est une réussite, ils sont forts, devenus les plus grands de tous... Je ne vois pas pourquoi ils militeraient pour une politique qui remettrait en cause leur pouvoir» (Ali Zamoum, p 75), «L'Algérie a agi comme les pays du Golfe : payer pour tout avoir sans posséder le savoir» (Rabah Zamoum, p 232), «Pendant que des spécialistes étudient la confection de taille-crayons de plus en plus perfectionnés pour gagner des clients, d'autres spécialistes concurrents ont inventé des crayons qu'on ne taille pas. Les fabricants de mousse à raser s'ingénient à trouver le meilleur savon, les militants islamistes laissent fleurir leurs barbes. Certains cherchent à satisfaire un besoin, d'autres le suppriment, tout simplement « (Ali Zamoun, p 248).
Avis : Un juste ?Un saint? Un anti-héros? Un naïf politique ? Un hyper-réaliste ? En tout cas, un vrai, un grand «homme libre» ayant l'Algérie dans le sang... et dans la vie. Jusqu'à la mort !
Citations : «Combien d'hommes et de femmes d'affaires, de la culture, des arts et des sciences, ont obtenu telle ou telle distinction, privilège ou récompense, non pas par leurs mérites propres mais simplement pour avoir vanté les vertus surfaites de leurs maîtres. Au fil des années, ces comportements se sont généralisés dans le paysage politique algérien. Il est devenu coutumier d'appartenir pour obtenir» (Ali Zamoum, p 135), «Trente-six idées me viennent à la tête et comme trente-six choses ne peuvent être faites en même temps, je ferai alors la trente-septième...c'est-à-dire que je vais mallonger sur mon lit et regarder bêtement la télé» (Ali Zamoum, p237), «Le fait d'être Kabyle ne signifie autre chose que celui d'habiter la Kabylie. Croire qu'être Kabyles signifie qu'ils sont meilleurs est une dangereuse erreur politique. On peut être un tyran à la tête d'une Djemâa d'un village» (Ali Zamoum, p 320).
par Belkacem Ahcene-Djaballah
Jeudi 31 mars 2022
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5311215
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