Véronique Gazeau interroge la responsabilité de l'armée française dans une opération militaire qui a coûté la vie à quinze soldats, le 11 janvier 1958, en Algérie.
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Véronique Gazeau interroge la responsabilité de l'armée française dans une opération militaire qui a coûté la vie à quinze soldats, le 11 janvier 1958, en Algérie.
Rédigé le 27/03/2022 à 10:19 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Beaucoup d’Irakiens se reconnaissant à la fois dans la tragédie vécue par les Ukrainiens victimes de l’invasion russe et dans le calvaire de la population russe qui paie le prix de la politique de Moscou.
Des Irakiens manifestent pour dénoncer la hausse des prix des denrées alimentaires de base dans la ville de Nasiriyah, dans la province de Dhi Qar, dans le sud du pays, le 9 mars 2022. Asaad Niazi/AFP
On la compare tantôt à l’invasion américaine de l’Irak en 2003, tantôt à l’invasion irakienne du Koweït en 1990. Dans le premier cas, il s’agit de mettre en parallèle deux moments charnières de l’histoire géopolitique du XXIe siècle jusqu’ici, chacun initié par l’une des deux grandes puissances qui se sont opposées tout au long de la guerre froide : Washington d’une part, Moscou de l’autre. Dans le second cas, de rapprocher deux situations où un pays plus grand se lance à la conquête d’un voisin plus petit dont il juge l’existence, en tant que nation indépendante, artificielle et qu’il souhaite annexer au nom d’une histoire commune mythifiée. L’invasion russe de l’Ukraine depuis le 24 février dernier aurait ainsi de quoi susciter l’intérêt des Irakiens au vu de la symbolique qu’elle charrie, d’autant que Bagdad vient tout juste de s’acquitter de sa dette de guerre envers le Koweït – 52 milliards de dollars –, soit plus de trente ans après l’offensive irakienne.
Les perceptions exprimées par les Irakiens dans leur diversité témoignent de projections et de connexions liées à leur propre histoire, tragique aussi. Ainsi que l’écrit l’un des rédacteurs de la plateforme d’analyse Iraqi Thoughts dans un tweet datant du 28 février : « Les Irakiens sont dans la position unique de pouvoir faire preuve d’empathie avec à la fois le peuple d’Ukraine qui a été envahi par une armée étrangère et le peuple de Russie qui doit faire face à des sanctions économiques paralysantes dues aux transgressions de son leader. » L’embargo économique imposé par le Conseil de sécurité des Nations unies à l’Irak dans les années 90 s’est traduit par un coût humain – des centaines de milliers de morts – et économique exorbitant.
Officiellement, Bagdad n’a ni condamné la guerre en Ukraine ni pris parti, forcé à une position de neutralité étant donné ses liens avec les États-Unis d’un côté, et de manière moins forte avec la Russie de l’autre. De ce fait, à l’instar de Téhéran et de Pékin, le pays a choisi l’abstention lors du vote historique à l’Assemblée générale des Nations unies qui s’est tenu le 2 mars dernier et par lequel 141 États ont condamné l’invasion russe. « Il n’y a pas de réelle réflexion autour de la position russe, surtout du fait que le credo politique est désormais fondé sur les intérêts. Ce n’est pas comme à l’époque de Saddam Hussein où tout était basé sur la volonté d’un individu. Aujourd’hui il y a une position d’État, malgré les tentatives de certaines parties de la contrôler, résume l’analyste irakien Ihsan al-Shammari. Mais de toute manière, la Russie est moins influente dans les affaires politiques irakiennes que d’autres acteurs, si ce n’est indirectement par rapport aux alliés de l’Iran. »
Sentiment d’injustice
Historiquement, Moscou et Bagdad peuvent se targuer d’une relation solide, notamment sur le plan militaire. « À l’époque de Saddam Hussein, les Russes lui ont fourni des équipements de pointe, en particulier des chars dans sa guerre Iran-Irak, sans parler des armes légères et moyennes de l’armée irakienne, majoritairement de fabrication russe, souligne le commentateur politique Mohammad al-Waëli. La relation militaire s’est poursuivie après 2003 et a atteint son apogée au cours du deuxième mandat de Nouri el-Maliki lorsqu’il a voulu reconstruire une armée de l’air pratiquement inexistante, mais que les États-Unis traînaient des pieds pour livrer les F-16 que l’Irak avait commandés. »
En revanche, les liens avec l’Ukraine sont plutôt d’ordre culturel et éducatif, puisque dans le sillage de la chute de Saddam Hussein en 2003, nombre d’Irakiens sont allés étudier en Ukraine, notamment dans le domaine médical. Cependant, « les troupes ukrainiennes faisaient partie des forces de coalition qui ont envahi l’Irak. Alors que ces troupes ne sont pas spécialement connues pour avoir commis des crimes contre les citoyens irakiens, reste qu’elles ont appuyé les États-Unis qui, eux, en ont commis », nuance M. Waëli. À quoi s’ajoute également un sentiment d’injustice lié au traitement des étudiants étrangers empêchés dans un premier temps de traverser la frontière polonaise à l’approche de l’envahisseur et du décalage entre l’accueil réservé aux réfugiés ukrainiens aujourd’hui, qui contraste avec les images encore vives des centaines de Kurdes irakiens empêchés d’entrer sur le territoire polonais à la fin de l’année dernière et dont beaucoup sont morts à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie.
Rédigé le 26/03/2022 à 17:55 dans Ukraine, USA | Lien permanent | Commentaires (0)
L’invasion russe de son voisin le 24 février dernier constitue un véritable choc géopolitique, à l’image de l’invasion américaine de l’Irak il y a près de 20 ans. Des tournants remettant en question à deux décennies d’intervalle deux postures érigées en dogmes : celle de l’interventionnisme, puis du désengagement occidental... au profit d’autres acteurs aux ambitions tout aussi impériales.
Des marines couvrant la tête de la statue de Saddam Hussein d’un drapeau américain, avant de le remplacer par celui de la République irakienne, et de mettre à bas le monument à l’aide d’un câble. 9 avril 2003. Patrick Baz/AFP
Ça leur est arrivé comme ça, du jour au lendemain, clouées au pilori par leurs anciens fans. Pour une phrase jetée de manière spontanée devant un public londonien en liesse. Car outre-Atlantique, dans leur pays, le moment est grave. On ne plaisante pas avec les symboles ; surtout quand vient l’heure du ralliement autour de la bannière étoilée. Depuis plus d’un an, dans le sillage du 11-Septembre, Washington mène une « guerre contre la terreur », guidée par un messianisme américain opposant le camp du « bien » – le sien – au camp d’un « mal » indéfinissable.
Or, en ce 10 mars 2003, un peu plus d’une semaine avant l’invasion de l’Irak, la chanteuse de l’illustre groupe de musique country Dixie Chicks, Natalie Maines, lance à la foule qui l’acclame « Nous ne voulons pas de cette guerre, de cette violence. Et nous avons honte que le président des États-Unis soit du Texas », en référence au locataire républicain de la Maison-Blanche de l’époque, George W. Bush. Ni une ni deux, les réactions à domicile ne se font pas attendre. De Denver à Nashville, les stations de radio sont inondées d’appels à la déprogrammation. Les supporters conservateurs du groupe, très nombreux, accusent le coup et traitent leurs idoles d’hier de traîtresses ou encore d’« anges de Saddam ».
Dans l’Amérique de Bush Jr., la majorité de la population se prononce ainsi en faveur de l’odyssée martiale qui se prépare. 58 % selon un sondage CNN/USA Today/Gallup datant du 14-15 mars 2003, soit de quelques jours avant l’agression US de l’Irak. Un chiffre qui grimpe à 71 % une fois la campagne de bombardements enclenchée. La psychose suscitée par le 11-Septembre est toujours là, prégnante, obsédante. Le spectacle ahurissant d’un effondrement sonnant la sortie d’une ère, dix ans après la victoire idéologique des États-Unis sur l’ennemi soviétique.
Fin de l’insouciance mais pas de l’hybris. Au contraire. Le nouveau siècle débute par la célébration mortifère du « choc des civilisations », offrant aux néoconservateurs au pouvoir une opportunité en or d’imposer leur agenda. Celui d’un Oncle Sam qui n’hésite pas à renforcer son hégémonie par la force pour diffuser son idéologie aux quatre coins du monde. Animés par un impératif jugé « moral » mais aussi sécuritaire, convaincus que les « démocraties » ne se font pas la guerre. Saddam Hussein, dictateur sanguinaire mégalomane et paranoïaque, est un alibi de poids. Ses faits d’armes sont nombreux, trop nombreux pour que la liste soit exhaustive. Et l’embargo imposé par la communauté internationale tout au long des années 90 lui a permis d’endosser le costume du héros arabe qui résiste à l’impérialisme occidental, qui tient tête à Washington à coup de sorties menaçantes.
OLJ / Soulayma MARDAM BEY, le 25 mars 2022 à 00h00
https://www.lorientlejour.com/article/1294773/irak-2003-ukraine-2022-dun-reveil-a-lautre.html
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Rédigé le 26/03/2022 à 17:42 dans Ukraine, USA | Lien permanent | Commentaires (0)
Le 19 mars 2022, nous commémorerons le 60e anniversaire de la fin de la guerre d’indépendance algérienne (1954 – 1962), qui fut aussi la fin de 132 années de colonisation française en Algérie.
Cet anniversaire revêt une double importance pour la société française : une importance générationnelle d’abord car les personnes ayant vécu la guerre disparaissent, parfois sans avoir pu raconter leurs histoires et se débarrasser du poids du passé. Une nouvelle génération émerge avec un désir de connaissance et des besoins de compréhension qui lui sont propres. Une importance politique ensuite, car, en cette année d’élection présidentielle, les mémoires de la guerre d’Algérie n’échappent pas aux instrumentalisations. Entre appel à la réconciliation ou spectre de la guerre civile, le monde politique se saisit du sujet pour lire les tensions dans la société française. Parce qu’elle renvoie à notre relation à la République et à l’altérité, l’Histoire algérienne de la France est intimement liée à ce que nous sommes et voulons être.
La société française d’aujourd’hui est en effet héritière de ce passé. Nos institutions républicaines comme le capitalisme français se sont en partie construits dans l’expérience de la colonisation et de la guerre. Des familles françaises touchées par ce passé algérien - que l’on pense à celles des appelés, des pieds-noirs, des immigrés algériens, des Juifs d’Algérie, des harkis et des militants pour ou contre l’Indépendance – regroupent actuellement des millions de personnes sur notre territoire. 39% des jeunes de 18 à 25 ans ont grandi dans ces familles, où l’Algérie est une histoire intime mêlant douleurs et nostalgie.
Emmanuel Macron a fait de la guerre d’Algérie le défi mémoriel de son quinquennat. Son volontarisme politique s’est traduit par un nombre important de gestes mémoriels issus pour parties des préconisations retenues dans le rapport commandé à Benjamin Stora : reconnaissance de l’assassinat de Maurice Audin, de la pratique de la torture et, plus récemment, de, l’assassinat de l’avocat Ali Boumendjel ; processus de restitution de crânes de résistants algériens à la conquête ; préfiguration d’un projet de musée de l’histoire de la France et de l’Algérie à Montpellier ; hommage inédit aux victimes décédées au métro Charonne lors de la manifestation anti OAS du 8 février 1962.
Les gestes cités constituent d’indéniables avancées. Mais d’autres donnent également l’impression d’un rendez-vous manqué tant ils ont pû paraître insuffisants (à l’image de la reconnaissance des responsabilités sur le massacre du 17 octobre 1961 qui, si elle fut bienvenue , fut « muette » et incomplète) ou manquer de cohérence politique
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Relier les histoires de toutes les familles
Comme ses prédécesseurs, Emmanuel Macron s’est laissé enfermer dans une logique catégorielle, répondant à certaines associations de harkis ou de rapatriés, sans considérer l’utilité d’un discours orienté vers l’ensemble de la société et notamment la nouvelle génération. Emmanuel Macron n’aura pas non plus échappé au piège politique. En cinq ans et à mesure que l’activisme de l’extrême-droite tendait la société, le Président sera passé de « la colonisation est un crime contre l’humanité » à « Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? Ça, c’est la question ».
Mais Emmanuel Macron aura surtout fait l’impasse sur ce que le candidat reconnaissait sans mal à Alger en février 2017 : l’inscription de note Histoire algérienne dans le fait colonial.
En effet, le Président n’a jamais de mots pour nous confronter à la source de ce passé, c’est-à-dire au système colonial. Il ne donne pas non plus de direction pour traiter ce qu’il reste de ce passé, c’est-à-dire le racisme et l’antisémitisme.
La confrontation au système colonial, à ce qu’il a produit et à ce qu’il charrie encore, est le seul chemin pour faire passer le passé, pour comprendre notre présence au monde et pour relier les histoires de toutes ces familles françaises. Sans système colonial, il n’y a ni harkis, ni pieds noirs, ni appelés du contingent, ni Juifs d’Algérie exilés, ni militants indépendantistes.
Or, malgré des avancées, le Président n’a pas organisé ce travail, comme s’il s’empêchait de produire des outils et de proposer un cadre qui puisse projeter la société vers un dépassement. l ne commissionne personne pour enfin établir un bilan du 17 octobre. Il n’y a toujours pas de chaire universitaire sur l’Histoire coloniale ou le postcolonial. Il n’y a pas de fondation pour financer des projets culturels, scientifiques ou pédagogiques. Il n’y a pas d’office organisant la rencontre entre les jeunesses des deux rives. Et la lutte contre le racisme est au point mort, si ce n’est suspecte.
Nous pensons que le traitement de ces 132 ans de colonisation et de leurs conséquences nécessite davantage de structures et d’outils pour connaître et comprendre ce passé. Non pas pour leressasser mais pour le dépasser et ainsi pouvoir collectivement nous projeter avec sérénité dans un avenir commun.
Ainsi nous demandons que le Président de la République porte un discours de reconnaissance et de clarification de notre rapport moral et politique à la colonisation.
Nous demandons des moyens pour améliorer la production et la diffusion des connaissances sur ce passé, c’est-à-dire des financements pour la recherche, une fondation et un musée pour accompagner des projets culturels, pédagogiques ou scientifiques. Nous réitérons notre appel à la création d’un office franco-algérien pour la jeunesse afin que les jeunes des deux rives puissent se rencontrer, échanger et construire une nouvelle relation faite d’égalité et de curiosité mutuelle.
S’attaquer aux origines du racisme
Enfin le travail mémoriel ne doit pas se substituer à une transformation du réel. Le racisme et l’antisémitisme font encore des victimes aujourd’hui. La lutte contre ces phénomènes doit faire l’objet d’une politique plus ambitieuse et être – aussi - considérée comme une forme de réparation de cette histoire coloniale. Il ne s’agit pas seulement de s’attaquer aux seules discriminations mais bien aux origines du racisme. La colonisation était soutenue par une idéologie et des images qui ont déterminé notre manière de nous définir et de percevoir les Arabes, les musulmans, les Juifs et les immigrés. Une forme d’idéologie coloniale est encore active dans une partie de la société française d’aujourd’hui. Elle se lit dans le refus du travail critique sur le passé, notamment les attaques virulentes de l’extrême-droite contre le rapport Stora et son auteur, le mépris pour l’Autre, la peur du « grand remplacement » et la demande de violence que l’extrême-droite française porte avec une vigueur déconcertante. La déconstruction de ces imaginaires en friches ne passera que par une politique culturelle, éducative et sociale plus ambitieuse.
Parmi les signataires :
Dominique Sopo, Président de SOS Racisme ; Saphia Aït Ouarabi, vice-présidente de SOS Racisme ; Hakim Addad, membre fondateur dun RAJ en Algérie ; Pierre Audin, mathématicien, fils de Josette et Maurice Audin ; Raphaëlle Branche ; Margaux Eskenazi ; Bachir Hadjadj ; Mathieu Kerbouche ; Nicolas Lebourg ; Pierre Mansat, président de l’association Audin ; Jacques Pradel, président de l’ANPNPA ; Alain Ruscio, historien ; Eric Sirvin, président de la 4ACG (anciens appelés en Algérie et leurs amis contre la guerre) ; Sylvie Thénault, historienne.
mercredi 23 mars 2022, par Michel Berthélémy
http://www.4acg.org/La-confrontation-au-systeme-colonial-a-ce-qu-il-produit-et-charrie-encore-est
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Rédigé le 25/03/2022 à 09:17 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Le film d'Hélier Cisterne, "De nos frères blessés", avec Vincent Lacoste et Vicky Krieps est à découvrir dans les salles de cinéma à partir de ce mercredi 23 mars.
THÈME
1954. Hélène (Vicky Krieps) et Fernand (Vincent Lacoste) se sont rencontrés dans la région parisienne et sont tombés amoureux l’un de l’autre. Fernand travaillant comme ouvrier tourneur à l’usine d’El Hamma, dans le quartier du Ruisseau à Alger (où il est né et a grandi), elle part le rejoindre. Comme son père, Fernand est communiste et anticolonialiste. En 1955, devenu tout naturellement activiste dans le bras armé du Parti — alors que la guerre pour l’indépendance de l’Algérie bat son plein —, il suggère de réaliser un sabotage dans l’usine qui l’emploie, en précisant qu’il ne veut tuer personne, mais juste plonger Alger dans le noir et appeler les Pieds-noirs à la révolte. Sa bombe est réglée pour exploser une heure après le départ des ouvriers. Mais un contremaître qui a vu Fernand entrer dans un local avec un sac de sport et en ressortir les mains vides, le dénonce. L’engin est désamorcé et Fernand, arrêté, torturé, puis, enfin, jugé par le Tribunal militaire d’Alger. Le Parti communiste l’abandonne et il est condamné à mort, sans avoir pourtant une seule goutte de sang sur les mains, et malgré les efforts de ses deux avocats (commis d’office). Fernand sera guillotiné le 11 février 1957 à Alger. Il sera le seul européen à mourir pendant cette période du fait d’une décision de justice.
POINTS FORTS
- A l’origine de ce film, il y a le roman méconnu d’un écrivain très (trop) discret, Joseph Andras, qui relate l’histoire — vraie — de Fernand Iveton, inexplicablement et injustement condamné à l’exécution capitale (la peine de mort ne sera abolie en France qu’en 1981), alors qu’il n’a commis aucun crime de sang. Lorsqu’il lit ce livre, un des rares qui traitent de la solidarité qu’ont montré certains européens à l’égard des algériens indépendantistes, Hélier Cisterne (Vandal) décide de le porter sur le grand écran. Avec sa compagne Katell Quillévéré, il recherche les rares témoins qui restent de cette affaire et il bâtit son scénario au plus près de la vérité
- Au-delà de la stricte relation des faits, il parvient à faire le portrait psychologique d’un homme profondément humaniste qui va payer de sa vie sa fidélité à ses engagements. Cette réussite est pour beaucoup dans le côté bouleversant de son film
- On n’attendait pas forcément Vincent Lacoste dans ce rôle de militant jusqu’au-boutiste. Le comédien y est sensationnel. On le découvre capable d’une grande puissance dramatique, cela, sans jamais forcer son jeu. Du grand art.
QUELQUES RÉSERVES
Les allers et retours entre le parcours de l’activiste Fernand Iveton et son histoire d’amour avec son épouse… Parce qu’il « traque » deux « lièvres » en même temps, le scénario reste finalement assez à la surface des choses. Etant donné le sujet, on aurait aimé en savoir plus sur le militant Iveton, notamment sur ses liens avec ses camarades algériens.
ENCORE UN MOT...
Dans le cinéma français, la guerre d’Algérie, ses exactions et ses bavures (côté français comme algérien) restent un sujet épineux, pour ne pas dire tabou. On peut compter sur les doigts d’une main les longs métrages qui lui ont été consacrés. En cette période de célébration des accords d’Evian, ce film tombe à point nommé, qui rappelle l’embarras et les contradictions des autorités françaises dans ce conflit, jusqu’à, parfois, « couvrir » les mauvaises appréciations de la Justice dans les affaires d'attentat. De nos frères blessés en témoigne. Il est d’autant plus poignant qu’il relate la tragédie d’un homme décapité pour avoir eu le cran de rester fidèle à son engagement envers un peuple qu’il considérait comme « frère ». Renversant et… navrant.
UNE PHRASE
«J’étais au départ un peu hésitant parce que c’était un rôle très différent de ce que j’avais fait jusque là. On devait croire à l’engagement de cet homme qui est prêt à mourir pour une cause, et j’étais plein de doutes sur le fait de réussir à l’incarner pleinement. On en a beaucoup discuté avec Hélier, et il a fini par me convaincre… J’avais adoré le scénario, particulièrement le mélange entre l’engagement politique et l’histoire d’amour. Ça composait un dilemme dramaturgique qui me semblait intéressant » (Vincent Lacoste, comédien).
L'AUTEUR
Après un bac littéraire option cinéma, Hélier Cisterne, né dans le Lot en 1981, monte à Paris pour y suivre des études de philosophie à l’Université de Paris VIII. C’est là qu’il réalise, à 22 ans, Dehors, son premier court-métrage. Après trois autres courts et moyens-métrages, il réalise son premier long, Vandal qui obtient en 2013 le Prix Louis Delluc du premier film. L’année suivante, il rejoint l’équipe d’Eric Rochant et réalise, sous sa direction, neuf épisodes sur les trois premières saisons du Bureau des Légendes.
Écrit avec sa compagne Katell Quillévéré, avec laquelle il a créé une mini-série sur la naissance du groupe NTM et l’arrivée du hip-hop en France, De nos frères blessés est son deuxième long métrage. Il est membre de la S.R.F. (Société des Réalisateurs de Films), qui œuvre à la défense de l’indépendance et de la liberté du cinéma français. Il est par ailleurs membre du collectif 50/50 pour l’égalité hommes/femmes et la diversité.
ET AUSSI
- BRUNO REIDAL de VINCENT LE PORT — Avec DIMITRI DORÉ, JEAN-LUC VINCENT, ROMAN VILLEDIEU…
Le 1er septembre 1905, Bruno Reidal, un jeune paysan de 17 ans, intelligent, lettré et épris de Dieu - il est séminariste - est arrêté dans le fin fond du Cantal. Non seulement il a tué un enfant de 12 ans, mais il l’a ensuite décapité, avec une violence inédite chez un adolescent. Pour comprendre son acte, des médecins et des hommes de loi vont lui demander de relater sa vie, depuis sa petite enfance jusqu’au jour de son crime. Sa confession va les sidérer : ce jeune homme taiseux, en apparence si frêle et si doux, est en fait un psychopathe, un être possédé par des pulsions meurtrières depuis son plus jeune âge. Comme il a du mal à s’exprimer oralement, c’est essentiellement par écrit qu’il va se livrer. Avec un étonnant talent.
Pour son premier film, Vincent Leport transpose pour le grand écran un fait divers qui avait secoué l’opinion publique de l’époque : celui d’un meurtre d’une violence inouïe commis sur un enfant par un mineur poids plume d’un mètre 62, jusque là sans histoire. Pour réaliser son film, le cinéaste s’est appuyé sur les onze cahiers d’écolier dans lesquels le jeune tueur, Bruno Reidal (son vrai nom a été gardé) avait consigné ses souvenirs et expliqué les raisons de son geste. Découvert à la Semaine de la Critique au dernier Festival de Cannes, ce film-drame avait sidéré le public par la précision de son récit, restitué d’une voix blanche et sans affect, par le jeune Dimitri Doré (l’impressionnant interprète du rôle-titre); par ses images, d’une beauté sépulcrale, et par sa mise en scène, d’une maîtrise très étonnante s’agissant d’un primo-réalisateur. Glaçant.
Vincent Lacoste incarne Fernand Iveton, seul Européen guillotiné pendant la guerre d’Algérie. (Laurent Thurin Nal/Les Films du Belier)
https://atlantico.fr/article/decryptage/de-nos-freres-blesses-d-helier-cisterne-le-destin-tragique-de-fernand-iveton-le-seul-pied-noir-d-algerie-a-avoir-ete-guillotine-pendant-la-guerre-de-l-independance-du-pays-avec-un-vincent-lacoste-tres-convaincant
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Rédigé le 24/03/2022 à 22:06 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
GUERRE EN UKRAINE - Il a remporté en Ukraine “Danse avec les stars” et le voilà aujourd’hui forcé à danser avec le Tsar, Vladimir Poutine. Élu en 2019 à la tête de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky doit faire face à l’invasion de son pays par la Russie depuis le 24 février.
Près d’un mois jour pour jour après le début du conflit, le président ukrainien interviendra ce mercredi 23 mars à 15h en direct par vidéo devant les députés et sénateurs français.
Avant ce rendez-vous avec les parlementaires, le président âgé de 44 ans s’est distingué par son sang-froid et sa capacité à utiliser les réseaux sociaux pour maintenir le lien avec ses concitoyens durant la crise. Il y fait le compte rendu de ses appels téléphoniques avec les chefs d’État du monde entier, en quête de soutiens, ou se filme avec son smartphone dans les rues de Kiev pour appeler la population à résister et prouver qu’il reste dans la capitale, violemment attaquée par les troupes russes.
Un chef d’État, devenu bien malgré lui chef de guerre... et qui ferait presque oublier son étonnante carrière avant la politique. Car avant son élection le 21 avril 2019, Volodymyr Zelensky était un humoriste et comédien très populaire dans son pays, comme vous pouvez le voir dans notre vidéo en tête d’article.
À la fois producteur et présentateur, Volodymyr Zelensky se fait connaître en Ukraine avec sa société de production, Studio Kvartal 95, co-fondée en 2003. Et bien avant de présider aux destinées de son pays, Volodymyr Zelensky s’était distingué dès 2006 par ses pas de danse. Il remporte la toute première édition de la version ukrainienne de “Danse avec les Stars” (“Tantsi z zirkamy”) diffusée sur la chaîne 1+1. Le comédien avait séduit le jury en dansant notamment la salsa et le tango avec la danseuse professionnelle Olena Shoptenko.
En plus de se déhancher à la perfection, Volodymyr Zelensky fait rire le public. C’est notamment le cas dans la comédie Rzhevsky Versus Napoleon en 2012. Il y incarne l’empereur Napoléon Bonaparte qui envahit la Russie au 19e siècle. Alors qu’il a conquis Moscou, les Russes mettent au point un plan surprenant pour le ralentir dans sa progression: un lieutenant déguisé en femme est chargé de séduire l’empereur français. Le tout sur les notes de Et si tu n’existais pas de Joe Dassin. Un film déroutant dans lequel apparaît même Jean-Claude Van Damme.
Fort de ses succès dans les comédies, Volodymyr Zelensky accepte de doubler en ukrainien l’ours Paddington en 2014. Il renouvellera l’expérience en 2017 lors de la sortie du second volet du film à succès.
Mais de toutes ses expériences, son rôle dans Serviteur du peuple est incontestablement le plus marquant. De 2015 à 2019, il incarne un professeur d’histoire honnête et naïf qui va devenir président de l’Ukraine. Cette série, dont la première saison est disponible sur Arte.tv, rencontre un véritable succès en Ukraine. Au point de donner des idées à Volodymyr Zelensky.
L’acteur très populaire décide de profiter de la série pour créer un parti politique du même nom et se lance dans la campagne présidentielle à coups de posts sur les réseaux sociaux. Au terme d’une campagne éclair, il triomphe avec plus de 70% au second tour, écrasant au passage le président sortant Petro Porochenko, souffrant d’une popularité en berne.
Celui qui hérite de l’étiquette de président ”élu par accident” a dû faire face à plusieurs crises depuis son entrée en fonction. Volodymyr Zelensky s’était rapidement fait connaître du reste du monde après une conversation téléphonique controversée avec Donald Trump qui tentait d’obtenir du néophyte président ukrainien une enquête pour embarrasser son rival, Joe Biden.
En octobre 2021, le nom du président ukrainien était apparu dans le scandale financier des “Pandora Papers” . Les révélations concernaient “des biens immobiliers de luxe au cœur de la capitale britannique, des sociétés qui dissimulent des affaires en Crimée”. Une polémique qui fait tache pour celui qui a été élu avec pour projet de lutter contre les oligarques.
Face à Vladimir Poutine, Volodymyr Zelensky est confronté à une crise d’une tout autre ampleur. Mais celui qui était jadis présenté par ses détracteurs comme une marionnette à la merci des États-Unis est en passe de faire taire les critiques. Dans ce combat de David contre Goliath, beaucoup louent sa capacité à incarner la détermination de son peuple face à la supériorité militaire de Moscou.
À voir également sur Le HuffPost:Ce “Lego” de Volodymyr Zelinsky rapporte plusieurs milliers d’euros pour l’aide en Ukraine
Par Clément Vaillant
23/03/2022 11:00 CET
https://www.huffingtonpost.fr/entry/volodymyr-zelensky-dacteur-comique-populaire-a-chef-de-guerre-convaincant_fr_6239b755e4b0c727d483335d
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Rédigé le 24/03/2022 à 20:40 dans Russie-Ukraine | Lien permanent | Commentaires (0)
Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France à Alger. © DR
L’ex-ambassadeur de France à Alger Xavier Driencourt s’est délié de son devoir de réserve pour livrer sa vision des relations compliquées et passionnées entre les deux pays. Entretien.
Fin connaisseur de l’Algérie, où il fut chef de la mission diplomatique française pendant près de huit ans (de 2008 à 2012 et de 2017 à 2020), Xavier Driencourt porte un regard sans concession sur les relations entre Paris et Alger. Dans l’entretien qu’il nous a accordé à l’occasion de la sortie de son livre L’Énigme algérienne – Chroniques d’une ambassade à Alger, aux éditions de l’Observatoire, l’ancien ambassadeur évoque l’opacité du système politique algérien, le poids écrasant de la colonisation française et de la mémoire commune, ainsi que le sempiternel dossier des visas qui empoisonne les relations entre les deux pays.
Jeune Afrique : Deux fois ambassadeur de France en Algérie, vous êtes un fin connaisseur de ce pays. Pourtant, vous dites que l’Algérie est une énigme.
Xavier Driencourt : Au bout de huit ans de présence, l’Algérie reste en effet énigmatique, en tout cas pour moi. Nous croyons la connaître, mais nous ne la connaissons pas en vérité. Nous l’avons pourtant colonisée pendant 132 ans et nous y avons fait la guerre durant plus de 7 ans.
Ainsi, il y a peu de touristes français en Algérie, alors qu’un million d’entre eux vont à Marrakech tous les ans. Les Français vont en Tunisie, au Maroc, mais peu en Algérie. D’où le fait qu’ils ne connaissent pas ce pays. Les Algériens me disaient souvent : « Nous vous connaissons mieux que vous nous connaissez. » Un ministre algérien m’a, lui, lancé un jour : « Ce qui fait notre force, c’est notre opacité. »
Comment décririez-vous le système politique algérien ?
Il est, me semble-t-il, le prolongement du système de fonctionnement des wilayas (départements) pendant la guerre de 1954. Ce mode d’administration et de gouvernance, rendu nécessaire par la guerre, avec le culte du secret, de l’opacité et de la confidentialité, a été reproduit à l’indépendance.
Il est donc difficile pour quelqu’un de l’extérieur d’identifier les centres de décision. Quel est le processus de décision ? Qui prend la décision ? Quel est le cheminement d’une décision entre le moment où vous faites une proposition et celui où elle est adoptée ? Ce sont toutes ces questions qui nous interpellent au quotidien quand on travaille sur le dossier algérien.
Pourriez-vous citer un cas qui illustre ce processus opaque de prise de décision ?
En 2019, nous avions proposé aux Algériens de faire débuter le Tour de France 2022 à partir d’Alger pour marquer le 60e anniversaire de l’indépendance. Le directeur du Tour de France, qui a trouvé l’idée géniale, est allé la présenter aux responsables algériens, qui se sont tous montrés enthousiastes pour ce projet qui ferait de la publicité à l’Algérie et redorerait son image à l’extérieur. Le président Macron en avait même parlé à Bouteflika lors de sa visite en 2017. Depuis, aucune suite de la part des Algériens.
Rédigé le 24/03/2022 à 13:29 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Ils n’ont vécu ni la guerre d’Algérie ni la colonisation mais ils en ont absorbé les récits familiaux. À l’occasion des 60 ans de l’indépendance du pays, trois jeunes Français issus de la diaspora partagent leurs réflexions sur les enjeux de mémoire.
Depuis qu’elle est petite, Sarah, 24 ans est constamment renvoyée à ses origines. Quand le cours d’histoire du jour portait sur la guerre d’Algérie, tous les regards se tournaient vers elle. « J’étais souvent la seule Arabe de la classe, d’ailleurs j’étais souvent la seule Arabe un peu partout », se souvient-elle.
Un sentiment qu’elle garde pendant les dix-huit années qu’elle passe dans les Yvelines jusqu’à son départ pour Paris où elle poursuit des études de médecine. Dans la capitale française, elle se lie d’amitié pour la première fois avec des jeunes issus de la diaspora algérienne.
« Quand j’ai rencontré des amis qui étaient bien plus conscients de leur histoire et que je me suis rendue compte que ce vécu était commun, j’ai ressenti un manque de contexte par rapport à ma propre histoire. Le fait de contextualiser m’a aidée à comprendre et à peut-être mieux vivre le racisme », affirme-t-elle.
C’est à 19 ans que ses premiers engagements politiques à gauche vont amener Sarah à discuter avec son père de l’histoire de sa famille. « Quand mon père a su que j’étais politisée, il a eu une réaction d’incompréhension et d’inquiétude. Pour lui, c’était extrêmement dangereux parce que, dans son histoire, c’est lié à un danger de mort », explique-t-elle. Peu à peu, les langues se délient. Elle apprend alors que sa tante a fui l’Algérie à 17 ans pour éviter les intimidations liées à ses activités militantes pendant la guerre civile de 1991 (décennie noire).
Avant ces cinq dernières années, Sarah ne connaissait qu’un épisode de l’histoire de sa famille : celui de son grand-père qui a échappé de justesse à la mort lorsque les agents français du renseignement découvrent qu’il écrit les courriers du Front de libération nationale (FLN).
« Mon père a toujours été réticent à parler de la guerre d’Algérie. Je ne sais pas si c’est une volonté de détachement ou une envie de ne pas perpétuer cette souffrance par rapport à ses enfants », réfléchit-elle à voix haute.
MON GRAND-PÈRE ÉTAIT POUR L’INDÉPENDANCE MAIS IL N’AVAIT PAS LE CHOIX : SOIT IL TRAHISSAIT L’ALGÉRIE, SOIT IL PERDAIT TOUTE SA FAMILLE
Karim, 26 ans, a lui toujours considéré son grand-père maternel comme un héros. D’abord sergent dans l’Armée de libération nationale (ALN) pendant la guerre d’Algérie, il est par la suite forcé de changer de camp. « À l’époque, dans son village, combattre pour l’Algérie pouvait donner lieu à des règlements de comptes », raconte le jeune ingénieur.
Un jour, des soldats de l’armée française s’introduisent dans la cour de ses arrière-grands-parents et les tuent. Pour protéger le reste de sa famille, le grand-père de Karim se résigne alors à rejoindre leur armée. Il devient un harki comme près de 60 000 Algériens volontaires ou enrôlés de force qui ont rejoint l’armée française pendant la guerre d’Algérie. À l’indépendance, son grand-père s’installe en France avec sa femme, l’une de ses sœurs et ses enfants.
Cette histoire familiale, Karim l’a apprise très jeune : « Quand j’étais petit, je passais chaque période de vacances en Corrèze avec ma grand-mère, ma tante et mon oncle. Ils me racontaient tout avec plus ou moins de détails. Comme je n’avais jamais connu mon grand-père, j’avais un peu de fascination pour cet homme qui a tout fait pour protéger sa famille », se remémore-t-il.
IL NOUS DIT QUE LE PASSÉ C’EST LE PASSÉ
Pour Farah, 24 ans, tout a commencé lors d’une banale discussion de famille il y a maintenant 5 ans. Ce jour-là, Farah se prend une « vraie claque » en découvrant que l’un des oncles de sa mère a disparu pendant la guerre d’Algérie.
Un pan de l’histoire qui va provoquer un déclic en elle : « Tous les étés, je voyais très bien les traces de la présence française en Algérie à travers l’architecture des bâtiments, les panneaux en français etc. Mais je ne m’étais jamais trop posé de questions. Et puis d’un coup, j’ai compris que cette colonisation avait eu des conséquences énormes qui me sont proches. C’est la génération de mon grand-père ! », s’exclame-t-elle, assise sur les coussins berbères du Centre culturel algérien.
Son grand-père, lui, a combattu l’armée française. Mais il n’a jamais voulu s’étendre sur son vécu : « Il dévie rapidement et je suis sûre que c’est pour nous préserver. Il nous dit que le passé c’est le passé », raconte-t-elle, la mine grave comme à chaque fois qu’elle évoque son histoire.
À mesure que leur passé familial s’éclaircit, ces jeunes franco-algériens interrogent leur rapport à l’histoire telle qu’elle leur est enseignée, et à ses ambiguïtés. « Mon cours consistait à nous apprendre qu’il y avait eu des choses positives pendant la colonisation », lâche ainsi Sarah.
Pour la jeune femme, comprendre son histoire a été le fruit d’un long parcours fait d’échanges, de discussions et de rencontres : « Le chemin a été long pour trouver un récit qui me convenait parce que ce n’est pas qu’une question de faits, c’est aussi lié à la manière dont on te raconte les choses et à la façon dont tu t’inclus dedans. J’avais du mal à me dire que cette histoire était aussi la mienne. »
ON PEUT ENCORE APPRENDRE L’HISTOIRE À TRAVERS CEUX QUI L’ONT VÉCUE, C’EST UNE CHANCE ET IL FAUT LA SAISIR TOUT DE SUITE
Pour Karim, ce n’est qu’une fois arrivé au collège qu’il apprend la connotation péjorative du terme harki. « Quand le professeur a indiqué que ça voulait dire « traître », je ne savais plus où me mettre. Dans ma famille, on n’a jamais insisté sur le changement de camp. Mon grand-père se sentait 100 % algérien, il était pour l’indépendance mais il n’avait pas le choix : soit il trahissait l’Algérie, soit il perdait toute sa famille », explique-t-il.
Ils sont nombreux dans sa famille à n’être jamais retournés en Algérie. « Je suis autant algérien que français que marocain, du côté de mon père… Mais je ne peux pas me retenir de penser que la France a une dette envers l’Algérie. Quand tu as empêché un pays de se développer par lui-même et que tu as exploité toutes ses terres, tu as forcément une dette », estime-t-il.
Du silence de son grand-père qui a combattu l’armée française, Farah fait naître en 2020 le média associatif, Récits d’Algérie. « J’ai rapidement pris conscience que ces récits étaient précieux. Aujourd’hui, on peut encore apprendre l’histoire à travers ceux qui l’ont vécue, c’est une chance et il faut la saisir tout de suite », dit-elle avec détermination.
A 24 ans, l’étudiante en droit a réuni une petite équipe de dix personnes autour de ce média intergénérationnel qui fait la fierté de sa mère. Le visage empli de joie, elle explique : « Nos parents y participent autant que nous. Ils font partie du projet. » Ensemble, ils collectent le récit des anciens et conservent les mémoires algériennes. Une démarche qu’elle refuse de présenter comme politique.
Avec le temps et les recherches, Sarah se sent plus légitime à s’approprier son histoire et ses origines. Mais les récentes prises de parole du président de la République, Emmanuel Macron, la laissent perplexe : « J’ai du mal avec les déclarations, ce n’est pas pertinent, ni sincère. On ne peut pas réparer le passé de l’Algérie puis passer à autre chose. Ce qui compte, c’est la manière dont les médias, les partis politiques, les professeurs abordent le sujet. »
De son côté, Karim regrette que l’État français n’ait pu rendre justice à son grand-père de son vivant. Lorsque ce dernier décède, sa femme touche une prime de plusieurs milliers d’euros.
ON NE POURRA PARLER DE RÉPARATION QUE LORSQUE LA FRANCE SERA CAPABLE DE PORTER LES VALEURS QU’ELLE ENSEIGNE À SES CITOYENS
Un geste qui survient beaucoup trop tard pour le petit-fils : « J’aurais préféré que cet argent revienne directement à mon grand-père après la guerre pour qu’il puisse élever ses enfants et trouver un travail en France. Au lieu de cela, il est devenu ouvrier dans une usine métallurgique et a fini par mourir d’un cancer avant que je le connaisse. »
Quant à Farah, elle estime que le président français Emmanuel Macron a fait des efforts contrairement à ses prédécesseurs, en portant la question des mémoires pendant son mandat. Elle regrette simplement que la France n’assume pas complètement son passé colonial.
Une étape pourtant essentielle selon la jeune femme : « La réparation ne peut passer que par là et pourtant il n’y a pas de reconnaissance des crimes de guerre en Algérie aujourd’hui puisque tout a été amnistié. On ne pourra parler de réparation que lorsque la France sera capable de porter les valeurs qu’elle enseigne à ses citoyens. »
https://www.jeuneafrique.com/1332266/politique/algerie-france-la-troisieme-generation-a-elle-aussi-son-mot-a-dire/#:~:text=21%20mars%202022,Par%20Lilia%20Aoudia
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Rédigé le 24/03/2022 à 11:55 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Prévu en janvier, février puis octobre 2021, De nos frères blessés, librement adapté du roman homonyme de Joseph Andras, arrive sur les écrans presque en même temps que le 60e anniversaire des accords d’Évian. Dans son deuxième long métrage, construit en flashback, le talentueux cinéaste Hélier Cisterne convoque la figure de Fernand Iveton, militant communiste anticolonialiste, incarné par l’inattendu Vincent Lacoste, et Hélène, son épouse polonaise sous les traits de Vicky Krieps. Arrêté pour avoir posé une bombe dans son usine, l’ouvrier Iveton, qui se dit algérien, sert d’exemple. En même temps qu’il questionne la représentation d’une guerre, Cisterne porte un regard fascinant et singulier sur l’engagement et son impact sur l’intimité d’un couple.
Pourquoi avez-vous voulu vous concentrer sur la guerre d’Algérie ?
Elle continue d’exister en permanence dans notre inconscient et nos préoccupations. Il est encore très exploité par la classe politique. Au lieu de réfléchir, on parle, on se permet d’utiliser la guerre d’Algérie pour parler des banlieues, de ce que la France devrait ou ne devrait pas être. Partout dans nos familles, il y a des traces conscientes et inconscientes. Elle irrigue la société française. C’est comme un puzzle fragmenté qui continue de produire des pièces éparses. Il n’y a pas de synthèse et d’aperçu. On a l’impression que le cinéma ne traite jamais de la guerre d’Algérie alors que cinquante films en parlaient plus ou moins directement. Dans cet ensemble, la découverte de ce livre écrit par quelqu’un de notre génération nous a permis une plongée intime dans un couple.
Dans ce casse-tête, le hors-champ joue un rôle majeur…
Comment raconter cette histoire et ce qui a été vécu en restant proche de nos personnages pour avoir un portrait plus juste de ce que les gens ne voient pas ? C’est aussi important que ce qu’ils voient. Nous sommes allés voir Félix Colozzi, un militant du Parti communiste algérien emprisonné en même temps qu’Iveton. Sa logique de sabotage avait pour seul but de faire entendre la voix des séparatistes jusqu’à la Métropole, où tout était censuré. Les communistes algériens se disaient que les gens ne se déplaçaient pas en France métropolitaine parce qu’ils ne savaient pas. J’étais sûr qu’il allait me parler d’abus. La seule chose qu’il a vue était une foule autour d’un homme arabe qui venait vraisemblablement d’être abattu par la police. Les gens ont craché sur lui en le traitant de meurtrier et de terroriste. Même s’il y a eu des attaques, il n’en a pas vu. La question de la représentation est centrale au cinéma. Si on raconte la guerre de manière caricaturale, on ne peut pas l’identifier quand elle arrive. Cependant, cette image est souvent caricaturale. Représenter la torture pose des questions d’obscénité et d’esthétique, mais aussi de ce qu’il y a de plus dramatique : voir un homme se faire torturer, souffrir pour lui, ou le voir crier dans le désert qu’il a été torturé sans avoir la possibilité d’être cru et entendu ? Nous avons essayé de rendre justice à ce qu’était ce moment du point de vue de nos deux personnages. S’engager dans quelque chose qui est aussi facile à voir qu’à nier est un acte d’un courage incroyable.
Que raconte le film de la gauche au pouvoir dans ces années-là ?
Il raconte comment cette gauche radicale et modérée a été piégée par la politique politique et la stratégie électorale. Cette guerre était complexe. Notre fausse déclaration nous perd. On a l’idée binaire d’une droite coloniale et d’une gauche anticoloniale ou décoloniale. La gauche socialiste a toujours été gênée par cette question du colonialisme, et le PC a longtemps été incapable de faire entendre une voix claire, notamment en raison de l’impopularité de la question de l’indépendance. Il y avait beaucoup de communistes en Algérie qui ne remettaient pas en cause la présence française.
Fernand Iveton et Hélène, sa femme polonaise, n’ont pas la même vision du communisme…
Le père d’Hélène, d’origine modeste, revenu en Pologne pour régler les choses, est retenu par les autorités qui tentent de contrer l’exode des travailleurs. Hélène vit dans sa chair l’autoritarisme d’un pouvoir censé n’être que justice et égalité. Fernand, ouvrier dans la même usine que son père, est presque communiste de naissance. C’est hors de la conscience de classe. Il défend son peuple, plus d’égalité sociale, de justice et de liberté. Il est dans le rêve de ce que promet le communisme. Elle n’a vu que ses applications sans partager ses attentes. Ce qui est beau, c’est que leur différence renforce leur amour.
Comment avez-vous travaillé avec la réalité historique ?
Avec beaucoup de sérieux. Nous savions que nous serions également jugés historiquement. Nous avions la responsabilité de raconter cette histoire en essayant de ne pas la caricaturer car les gens de tous bords en sont encore très blessés et se sentent encore victimes. En dehors de la pure intimité du couple, nous nous sommes permis peu d’invention. Les disputes, le parloir racontent des situations réelles. Nous ne voulions pas ruminer cela.
Comment votre film résonne-t-il pendant la guerre en Ukraine ?
Il n’y a pas de comparaison grossière à faire. D’autre part, le film parle du déchirement et des débuts de la guerre d’Algérie. Il y a alors très peu de signes visibles de la guerre. Les Russes ne le voient pas très bien alors que nous avons des informations, des images et des témoignages. Cela renvoie à la question d’être un bon ou un mauvais Français. Un Russe qui dénonce aujourd’hui la politique de son pays est-il un bon ou un mauvais Russe ? Nous n’allons pas le stigmatiser en l’accusant d’être un traître à la patrie. Cela permet de réfléchir avec un peu de recul sur cette idée d’un Français en désaccord avec une politique autoritaire et colonialiste. De plus, avec cette guerre en Ukraine, nous mesurons le prix du désaccord. Elle est comparable à la guerre d’Algérie en ce qu’elle ne doit pas être appelée guerre du point de vue russe comme elle ne doit pas être faite du point de vue français. Comme la France était convaincue de son droit en Algérie, beaucoup de Russes sont convaincus de leur droit en Ukraine.
https://nouvelles-dujour.com/pour-le-realisateur-helier-cisterne-la-guerre-dalgerie-irrigue-encore-la-societe-francaise/
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Rédigé le 24/03/2022 à 09:21 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Plusieurs milliers de personnes défilent dans l'est de l'Algérie à Kherrata, le berceau du mouvement antirégime Hirak, le 16 février 2021
Attention, ouvrage majeur. En parallèle des soixante ans des accords d'Evian, Xavier Driencourt publie L'Enigme algérienne (L'Observatoire), un essai détonant sur un pays qu'il connaît mieux que personne. Et pour cause : le diplomate a été ambassadeur de la France à Alger pendant sept ans, de 2008 à 2012 puis de 2017 à 2020. Son constat ? La relation entre les deux Etats, compliquée par nature depuis l'indépendance, s'est abîmée ces dernières années. "Le pouvoir algérien utilise la France comme éternel bouc émissaire", conclut le haut-fonctionnaire, convaincu que le régime poursuivra dans sa veine anti-française ces prochaines années. Face à cette hostilité, qui n'est pas celle d'un peuple algérien volontiers francophile, l'ex-ambassadeur propose de "normaliser" la relation bilatérale en jouant sur tous les "leviers" dont la France dispose. Sans aucun tabou. Xavier Driencourt propose ainsi d'envisager rien de moins que... la refonte complète, pouvant aller jusqu'à la dénonciation, de l'accord franco-algérien du 28 décembre 1968, qui offre des règles de circulation privilégiées aux Algériens en France. Et ce pour une question de réciprocité. Entretien fleuve.
L'Express : Les hommes politiques français semblent avoir du mal à trouver le ton juste avec l'Algérie. Comment l'expliquer ?
Xavier Driencourt : Les politiques français ont toujours été très gênés par l'Algérie. Avant tout, parce que c'est de la politique intérieure française. Il y a 10 % de la population française qui a un lien avec l'Algérie : les Algériens de France, les Franco-Algériens, les Français d'origine algérienne, les pieds-noirs, les harkis... Ce sont des populations à qui les politiques ne disent pas la même chose et qui n'entendent pas le même discours. Si vous faites plaisir aux uns, vous mécontentez les autres. Historiquement, la gauche se sent mal à l'aise avec sa propre histoire, les refus de grâce de François Mitterrand, Guy Mollet malmené lors de la "journée des tomates" et qui entreprend une politique répressive, la bataille d'Alger... Alors il lui arrive d'en rajouter dans la "bien-pensance". Du côté de la droite, on peine à trouver le bon ton entre la défense de l'action du général de Gaulle et la défense des harkis, des pieds-noirs. Et puis Alger n'est qu'à 800 kilomètres de Marseille. On ne peut pas mener de politique de la terre brûlée, ça n'aurait aucun sens.
Quelle est l'attitude que les Algériens respectent le plus ?
Le problème, avec les Algériens, c'est qu'on perd souvent à tous les coups. Ça m'a beaucoup frappé pendant le Hirak [NLDR : mouvement contestataire né d'un refus d'une nouvelle candidature du président Bouteflika, en 2019]. L'armée nous accusait, sans aucun élément, de soutenir le Hirak, voire de comploter pour remplacer certains dignitaires du régime. Le Hirak, lui, nous a reproché de ne rien faire, c'est-à-dire de soutenir le pouvoir en place, par notre passivité.
Le sentiment anti-français est-il répandu en Algérie ?
La population algérienne n'a pas d'antipathie particulière pour la France. Chaque Algérien a un cousin, un oncle, un frère qui vit en France. Ils s'en sentent proches. Et ce quand bien même les livres d'histoire apprennent à chaque petit Algérien que la France est un ennemi. Les Algériens se rendent bien compte ensuite que les choses ne sont pas aussi binaires. Le pouvoir, lui, tire sa légitimité de cette histoire, de cette hostilité. Il s'est construit sur la lutte pour l'indépendance, la lutte contre la France. Mais là encore, les choses ne sont pas aussi simples car il y a ce que j'appelle la "double attitude". Certains officiels qui critiquent sans cesse notre pays se retrouvent à demander, le soir venu, via une adresse email discrète, des visas ou une place au lycée français. C'est bien sûr difficilement admissible.
Comment expliquer ce double jeu ?
Eux ne voient pas le problème. Ils estiment d'une certaine façon que c'est le prix à payer pour la colonisation, en quelque sorte. Il y a quelques années, le Premier ministre Ahmed Ouyahia a même dit à Pierre Gattaz, le président du Medef, que si les entreprises françaises n'étaient pas payées dans les temps, c'était le prix à payer pour la stabilité de l'Algérie, ce à quoi nous avions intérêt. C'est très surprenant ! En Algérie, tout est politique, même le commerce. Le pouvoir n'est pas un pouvoir pragmatique. C'est terrible, d'ailleurs, car sur le papier, l'Algérie aurait tout pour devenir la Californie de l'Afrique : le climat, la mer, la montagne, le pétrole et le gaz.
Où en est la relation commerciale entre la France et l'Algérie ?
Ces dernières années, la France a perdu beaucoup de parts de marché. Nous ne sommes plus leur premier partenaire commercial, nous avons été dépassés par la Chine ; l'Italie et l'Espagne sont sur nos talons.
Avez-vous, lors de vos deux mandats, décelé des lignes de faille à l'intérieur du pouvoir algérien ?
C'est un bloc assez monolithique. Il y a des gens qui vous parlent en off... Je me souviens d'un député FLN auprès duquel j'avais testé l'idée que pour le cinquantième anniversaire de l'indépendance l'Algérie supprime les visas pour les pieds noirs, en les considérant comme des "enfants de la terre d'Algérie". Le principe, c'était que toutes les personnes nées avant 1962 puissent venir en Algérie sans visa. Avant de mourir, certains aimeraient revoir le village, la ferme, l'appartement où ils ont vécu. Dire à ces gens "vous êtes des enfants de la terre d'Algérie, vous pouvez venir", je trouvais que c'était un beau geste. Ce député avait trouvé l'idée bonne et m'avait dit qu'il en parlerait. Mais il ne s'est jamais rien passé. C'était en 2012. Mais l'idée pourrait être reprise. Seulement, on bute inévitablement sur la question des harkis.
Emmanuel Macron a-t-il eu raison de tancer la "rente mémorielle" entretenue par un "système politico-militaire" ?
J'ai l'impression que le Président s'est rendu compte qu'il est très compliqué d'avancer avec les Algériens. Le président Macron a fait beaucoup de gestes. Il y a eu ses déclarations sur la colonisation "crime contre l'humanité", la reconnaissance de la responsabilité de l'Etat dans la disparition de Maurice Audin, dans l'assassinat d'Ali Boumendjel, la remise des crânes des résistants décapités, le rapport Stora. Du côté algérien, rien n'est venu. Il y a en plus la problématique des visas et de l'immigration qui est devenue aujourd'hui un problème "en fond de tableau".
La France reproche à l'Algérie de ne pas délivrer les fameux "laissez-passer" consulaires, nécessaires pour renvoyer un immigré illégal du sol français. Ce contentieux est-il récent ?
Cette question était sur la table dès mon premier mandat, mais elle a pris de l'importance lors de mon second séjour, pour deux raisons. D'abord, l'attitude des Algériens sur les laissez-passer consulaires. Ils se sont de plus en plus cabrés, même s'ils n'ont jamais été très coopératifs. Et après les déclarations du président français, ils ont tout fermé. Donc aujourd'hui, je crois que c'est encore très compliqué, je ne sais pas si les renvois d'Algériens en situation irrégulière ont repris ou non.
La deuxième raison, ce sont les accords de 1968 qui sont des accords migratoires franco-algériens postérieurs aux accords d'Evian. Ils ont été signés à une époque où il fallait faire venir de la main-d'oeuvre algérienne en France. Donc les accords étaient centrés sur les entrées, on parlait alors très peu des sorties ou des retours vers l'Algérie. Or, ces accords de 1968 sont totalement dérogatoires aujourd'hui au reste de Schengen, et les Algériens y tiennent comme à la prunelle de leurs yeux.
Ces accords n'ont jamais été révisés ?
Si, mais toujours dans un sens favorable à l'Algérie. Ils n'ont jamais été dénoncés.
A-t-on une marge de manoeuvre dans cette relation migratoire ?
Notre seul levier, ce sont les visas. Gérald Darmanin et Emmanuel Macron l'ont utilisé à l'automne. Aujourd'hui, je ne sais pas où nous en sommes sur la division par 2 du nombre de visas. Sur le reste, nous sommes en position de faiblesse vis-à-vis d'Alger.
Dans votre livre, vous racontez que l'ambassadeur d'Algérie en France a un jour dit, en votre présence, et à propos des terroristes algériens présents sur le sol français, qu'ils "étaient en fait le fruit de l'éducation française et de [v]os valeurs". Que voulait-il dire par là ?
Je crois qu'il était sincère. Je trouvais cet argument insupportable. Mais il disait dans le fond : tous ces jeunes qui sont à Saint-Denis ou à Marseille, c'est de votre faute, car vous avez créé des ghettos, ils n'ont pas été éduqués comme ils l'auraient été en Algérie, ils ont été "imbibés" par les mauvaises habitudes occidentales, donc on ne voit pas pourquoi on les reprendrait ! Et les terroristes algériens, il nous faisait comprendre qu'on ne les avait pas surveillés, qu'on les avait laissés se radicaliser en prison...
L'Algérie s'est plusieurs fois montrée frustrée de n'avoir pas été entendue sur des dossiers diplomatiques. En avez-vous été témoin ?
Sur la Libye et sur le Sahel, nous aurions sans doute dû les écouter davantage, mais très en amont, dès 2011. Je me souviens de cet avertissement du président Bouteflika à Alain Juppé, que j'ai entendu juste avant l'intervention en Libye. Il nous disait : si vous intervenez en Libye, faites attention, les djihadistes vont se déplacer et inonder le Sahel, vous aurez des ennuis et nous aussi dans les années à venir. On n'imaginait pas à l'époque les conséquences... Cette conversation m'est restée en tête pendant des années.
Paris et Alger ont-ils collaboré sur ces dossiers-là ?
On a assez peu de coopération très opérationnelle. On a des échanges de vues, mais pas de coopération vraiment opérationnelle.
L'Algérie ne fournit pas de renseignements ?
Nous voudrions un véritable échange de renseignements, mais comme pour beaucoup de dossiers, nous nous heurtons à des réticences. Mais je ne sais pas ce que les services de renseignement échangent vraiment entre eux.
Dans votre livre, on découvre aussi que vous avez proposé que le Tour de France démarre à Alger...
Je trouvais que c'était la plus belle idée de réconciliation. J'avais l'accord du président de la République et de Christian Prudhomme, le directeur du Tour de France. J'avais passé une journée avec lui, il m'avait expliqué que 40 villes voulaient le grand départ, mais que si Alger était candidate, il lui donnerait la priorité. Fort de ce feu vert, je l'ai fait venir à Alger. Sur le plan symbolique, l'initiative était forte. Le Tour aurait été regardé par les Algériens d'Algérie, les Algériens de France, les pieds-noirs qui auraient reconnu à la télévision les lieux de leur jeunesse... On avait imaginé une course contre-la-montre de 60 km Alger-Tipaza, dans des paysages extraordinaires au bord de la mer. Bref, cela aurait été un événement sportif et politique extraordinaire. Sans compter qu'il aurait attiré à Alger une foule de journalistes, la meilleure publicité pour l'Algérie !
Christian Prudhomme est venu à Alger, il a été reçu par le ministre de l'Intérieur, le préfet, le wali d'Alger. Tout le monde trouvait l'idée formidable, à titre individuel. Et puis il ne s'est rien passé parce que comme souvent avec Alger, quelque chose a bloqué. J'imagine que dans l'armée, quelqu'un a trouvé ça prématuré, mais je n'ai jamais su... Voilà une occasion manquée. Alors que ce sont des initiatives comme celle-ci qui rapprochent concrètement.
La mise en place d'une commission "vérité et réconciliation", sur le modèle de ce qui s'est fait en Afrique du Sud, pourrait-elle apaiser la situation ?
Je n'y crois pas trop car il faut des interlocuteurs mus par le même objectif, des deux côtés. Des petits pas ont été faits par le gouvernement français. Il me semble que c'est la bonne méthode. Quand on espère des grandes décisions, des traités d'amitié, "on met la charrue avant les boeufs". Ça ne peut pas être le point de départ car on risque de buter sur des milliers de choses. Aujourd'hui, il y a trois grands thèmes de revendications côté algérien : la guerre d'Algérie en elle-même, bien sûr, avec le dossier des corps des militaires jamais retrouvés, mais pas seulement. Il y a aussi le préjudice de toute la période coloniale, à partir de 1830, qui est désormais sur la table. Et puis il y a le dossier des essais nucléaires français en Algérie, jusqu'en 1978.
Aurait-on pu s'y prendre autrement ?
Oui mais il faudrait remonter loin. Il a manqué face au Général de Gaulle une sorte de Nelson Mandela qui a fait ce que Mandela, avec Frederik de Clerc, a fait en Afrique du Sud. En face de lui, de Gaulle avait un comité de quelques personnes qui ont négocié les accords d'Evian et qui ensuite ont cédé la place à l'Armée des frontières dès juillet 1962. En 1945, il fallait jouer la carte de l'ouverture, avec des personnalités comme Ferhat Abbas. Mais en réalité, la guerre a commencé avec les massacres de Sétif en 1945. Ils ont été la coupure qui a radicalisé la population européenne et les indépendantistes algériens. Mon sentiment est que dès 1945, la guerre était là et il était trop tard.
Plus récemment, la loi de 2005 sur les "bienfaits de la colonisation" n'était-elle pas une grossière erreur ?
Oui, c'était de la provocation...
Comment les Algériens voient-ils Marine le Pen et Eric Zemmour ?
Le discours anti-algérien, anti-islam, leur fait peur. Alors que l'Algérie a toujours préféré d'une manière générale les gouvernements de droite, notamment sous Chirac, aujourd'hui même Valérie Pécresse les inquiète, car elle tient un discours beaucoup plus radical.
Avec l'expression "Français de papier" par exemple...
L'expression vaut ce qu'elle vaut, mais quand vous demandez à un officiel algérien, comme je le raconte dans le livre, s'il est Français, et qu'il vous répond : "Ah non, monsieur, j'ai seulement les papiers", cela laisse songeur. Donc l'expression recouvre une certaine réalité.
Parlera-t-on encore français en Algérie dans vingt ans ?
Je suis assez pessimiste. Il y aura encore une élite qui parlera français, c'est clair ; on ne supprime pas une langue du jour au lendemain. Mais il est clair qu'il y a une arabisation, la jeune génération baragouine le français plus qu'elle ne le parle. Et il y a une alliance objective entre l'armée, les islamistes et les Anglo-Saxons pour affaiblir et sans doute éliminer le français. L'anglais est soi-disant la langue universelle et moderne.
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Rédigé le 22/03/2022 à 17:06 dans Algérie, France | Lien permanent | Commentaires (0)
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