Il y a 60 ans, les accords d’Évian mettaient fin à la guerre d’Algérie. L’historien Dominique Lormier raconte les zones d’ombre de ce conflit à travers le témoignage de personnes aux opinions opposées mais engagées dans le même conflit. Parmi ces récits, celui d’un jeune bidasse appelé Cabu.
Dans le principe de l’Histoire, il était donc normal que l’Algérie obtienne son indépendance.»
Que peut-on dire sur la guerre d’Algérie qui n’ait pas encore été dit ?
On a peu parlé de la guerre qui s’est déroulée sur le territoire métropolitain, avec des attentats qui ont perduré jusqu’en 1962, ou des combats entre les deux mouvements indépendantistes antagonistes qu’étaient le FLN (Front de libération nationale) et le MNA (Mouvement national algérien). De même que l’on n’a guère évoqué les résistants gaullistes de la première heure qui étaient partisans de l’Algérie française. Il n’y avait pas les gaullistes d’un côté et les gens de l’OAS (Organisation armée secrète) de l’autre.
C’était un peu plus compliqué. Des figures emblématiques du gaullisme, comme le général Koenig, ont lutté pour l’Algérie française jusqu’au bout, et c’est un aspect que l’on connaît mal. Enfin il faut dire que des tueries et des règlements de compte contre les harkis ont continué après la guerre.
“Ce conflit aurait pu être évité si on avait pris des mesures pour provoquer une vraie intégration des Algériens à la société française”
Existe-t-il toujours des zones d’ombre ?
Oui, en particulier sur le nombre de morts. Officiellement, on annonce 200 000 morts, à savoir 30 000 côté français et 170 000 du côté des nationalistes algériens. Il y en a eu en vérité beaucoup plus.
Si l’on compte les règlements de compte, les civils algériens victimes de l’armée française, les harkis victimes de vengeance, on arrive à au moins 500 000 morts ! Ce qui est énorme quand on se rappelle qu’il y avait, en Algérie à cette époque, environ 10 millions d’Algériens maghrébins et 1 million de Français de souche européenne.
Cette guerre aurait-elle pu être évitée, où était-elle inéluctable compte tenu des conditions d’implantation de la France en Algérie ?
Oui et non. Dès la conquête de l’Algérie par la France au XIXe siècle, qui s’est déroulée dans un bain de sang, il y a eu une société à deux vitesses, avec d’un côté les Occidentaux et de l’autre les Maghrébins qui étaient considérés comme des citoyens de seconde zone. Ensuite, on avait beau parler d’une égalité de principe, elle n’existait pas sur le terrain. Il y avait donc bien entendu un sentiment d’injustice au sein de la population, d’autant plus que les troupes nord-africaines s’étaient vaillamment battues pour la libération de la France, notamment durant la campagne d’Italie. Quand les tirailleurs sont revenus en Algérie, alors qu’ils s’attendaient à un accueil digne, ils ont parfois retrouvé leurs villages rasés par l’armée française, à la suite des manifestations nationalistes de mai 1945. Donc oui, ce conflit aurait pu être évité si on avait pris des mesures pour provoquer une vraie intégration des Algériens à la société française sur des principes égalitaires, et non il ne pouvait l’être, vu le contexte international avec partout des courants indépendantistes. Dans le principe de l’Histoire, il était donc normal que l’Algérie obtienne son indépendance. « L’abandon » de l’Algérie était à mon sens inscrit dans le marbre
Les missions secrètes ont-elle joué un rôle clé ?
D’un côté comme de l’autre, il y a eu beaucoup de missions secrètes pour supprimer les opposants. Mais les services spéciaux français ont combattu à la fois les gens du FLN et les partisans de l’Algérie française. Il y avait une volonté d’éliminer tout « ce qui dépassait » pour asseoir le pouvoir du général De Gaulle de manière ferme et précise. L’arrivée au pouvoir du Général est le moment clé du conflit. D’abord partisan d’une Algérie française, De Gaulle veut ensuite se libérer du « boulet » algérien pour lancer de grandes réformes en France et doter le pays de la dissuasion nucléaire. Les accords d’Évian, qui ont signé la fin de l’Algérie française sont évidemment l’autre moment clé.
Comment avez-vous choisi vos témoins ?
Attaché à une présentation panoramique de cette période importante de l’histoire de France, j’ai voulu recueillir les différents points de vue qui ont marqué cette guerre. Des partisans de l’Algérie française à ceux de l’Algérie indépendante en passant par ceux qui ont essayé de les réconcilier, civils et militaires, tout le monde s’exprime. Cela va du militant communiste à l’officier catholique de droite, en passant par le soldat de base mobilisé, comme le dessinateur Cabu. Je l’avais rencontré quelques semaines avant son assassinat. Son témoignage reflète très bien l’état d’esprit des soldats du contingent. Il explique s’être muré dans le silence, terrorisé à l’idée d’être envoyé dans un bataillon disciplinaire. C’est là, en pleine campagne algérienne, de retour de son piton de garde, qu’il a entendu une chanson de Charles Trénet. « J’étais à la guerre et je détestais ça », m’a-t-il raconté. « Je suis devenu un fan de Trénet qui m’a sauvé du désespoir. Je me suis senti redevenir vivant grâce à Charles Trénet ! » Il a ensuite été muté à Constantine où il a rejoint Philippe Labro et Francis Veber au sein du journal de la propagande militaire française.
Soixante ans plus tard, un Président qui n’était pas né au moment de cette guerre est obligé de s’excuser auprès des pieds noirs, auprès des harkis… Cicatrisation impossible ?
Le président Macron a bien agi. Ces traumatismes vont finir par se régler au fil du temps, notamment grâce à l’ouverture des archives, qui doit amener l’apaisement. On reconnaît ainsi les erreurs de la France, mais aussi les aspects positifs de sa présence, car tout n’a pas été négatif. Ainsi, en évitant le dénigrement systématique et l’apologie béate, on franchit un pas vers la réalité des faits et vers une justice historique nécessaire. Chirac, avec le Veldiv, et Macron, sont les deux présidents qui ont reconnu les erreurs de l’État français en place au moment des faits. La reconnaissance des faits est importante car elle n’oblige pas à s’excuser au nom des générations passées. Reste qu’il faut éviter l’anachronisme, c’est-à-dire juger les faits et les époques avec les éléments dont on dispose aujourd’hui.
Pourquoi a-t-on mieux réussi notre pacification avec l’Allemagne qu’avec l’Algérie ?
Entre la France et l’Algérie, il y a une histoire commune, alors qu’il n’y a jamais eu cette unification avec l’Allemagne. Français et Algériens ont combattu ensemble durant la Seconde Guerre, d’où un lien de fraternité. Alors qu’il n’y a jamais eu de fraternité d’arme avec les Allemands. En France comme en Allemagne, l’horreur des deux conflits a fait qu’on a eu envie de tourner définitivement la page. La France et l’Algérie, c’est une histoire de famille. La colère, la haine et la rancœur sont souvent plus difficiles à apaiser au sein même de la famille.
À lire : « Histoire secrète de la guerre d’Algérie » (Alisio Histoire) 187 pages, 19.90 euros
https://www.lunion.fr/id349302/article/2022-03-13/la-france-et-lalgerie-cest-une-histoire-de-famille#:~:text=D%C3%A9couvrir%20plus%20de,Communiqu%C3%A9
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