En 1954, le FLN déclenche une insurrection sanglante en Algérie, à laquelle l’armée française répond par des moyens aussi condamnables qu’incertains : répression terrible, exécutions sommaires, propagande, torture.
Juillet 1956, Alger : l’avant d’un bus vient d’être soufflé par une bombe du FLN. (COUILLARD / AFP)
A la fin de l’été 2003, alors que les Etats-Unis sont aux prises avec des attentats en Irak, le Pentagone organise pour une quarantaine d’officiers une projection de « la Bataille d’Alger », du réalisateur italien Gillo Pontecorvo. Sorti en 1966, encore censuré en France au début des années 1970 et quasi absent des salles jusqu’en 2004, le film a jusque-là surtout servi à former des révoltés du monde entier, y compris les opposants américains à la guerre du Vietnam à la fin des années 1960. Très réaliste, il raconte non pas une bataille militaire mais une gigantesque et brutale opération de police menée par l’armée française entre janvier et octobre 1957 pour coincer une poignée de poseurs de bombes du Front de Libération nationale (FLN). Yacef Saâdi, le chef du FLN à Alger, a collaboré étroitement au film et y joue son propre rôle.
Voici ce qu’en dit le dépliant envoyé par le Pentagone aux invités de la projection : « Comment gagner une bataille contre le terrorisme et perdre la guerre des idées. Des enfants tirent à bout portant sur des soldats. Des femmes posent des bombes dans des cafés. Bientôt, toute la population arabe se dresse dans une ferveur folle. Cela vous semble familier ? Les Français ont un plan. Il réussit tactiquement, mais échoue stratégiquement. Pour comprendre pourquoi, assistez à une rare projection de ce film. »
L’archétype de la guerre subversive
La guerre d’Algérie a duré plus de sept ans, du 1er novembre 1954 au 19 mars 1962. Enseignée dans les écoles militaires du monde entier, elle reste l’archétype des conflits opposant une armée régulière à une rébellion déterminée. Un modèle de guerre dite « subversive », loin de l’image classique de deux armées se faisant face sur un champ de bataille. Elle met en œuvre un arsenal d’outils divers, utilisés par les deux camps. Action clandestine. Terrorisme. Torture. Propagande. Désignation d’un ennemi intérieur. Action sociale pour « gagner les cœurs et les esprits ». Contrôle des populations. Escadrons de la mort. Lavage de cerveau. Quadrillage du territoire. Structures hiérarchiques parallèles.
Formés en Egypte, les leaders du FLN ont d’emblée intégré les principes de la guerre insurrectionnelle, notamment la phrase de Mao selon laquelle l’armée de libération doit vivre dans le peuple « comme un poisson dans l’eau ». L’organisation est, par nécessité, celle de l’action clandestine. Dans les villes, chaque combattant ne connaît que trois hommes : son supérieur, qui l’a choisi, et deux subalternes qu’il a recrutés. Quant aux « bombes terroristes », elles ne sont, au départ du moins, qu’un pis-aller pour pallier l’absence d’armes. On bricole des engins incendiaires ou de piètres explosifs à base de chlorate de potassium.
Les hostilités s’ouvrent le 1er novembre 1954. La décision de déclencher « la révolution illimitée jusqu’à l’indépendance totale » a été prise trois mois plus tôt à Alger par un groupe de 22 jeunes hommes, avec comme toile de fond la scission du mouvement nationaliste entre « centralistes » et « messalistes » (partisans de Messali Hadj, le pionnier de l’indépendance). Le FLN et sa branche militaire, l’ALN (« A » pour « Armée ») sont créés le 23 octobre, avec pour première mission de frapper le jour de la Toussaint. Six régions opérationnelles ont été délimitées, qui communiquent peu entre elles. Dans l’Algérois, des commandos se réduisent à quelques hommes, essentiellement des Kabyles, disposant de peu d’armes à feu… Une liste de cibles a été établie : deux casernes pour récupérer des armes, la voie ferrée Alger-Oran, une usine à gaz, le central téléphonique, la radio, un dépôt d’hydrocarbures sur le port. Toutes doivent être frappées à la même heure.
« On a allumé la mèche »
Rien ne se passe comme prévu. Les insurgés ne parviennent pas à saisir les armureries convoitées. A Alger, une des équipes renonce. Les bombes artisanales font long feu ou ne causent pas de gros dégâts. Limités dans l’Oranais et dans le Nord-Constantinois, les résultats sont plus sérieux en Kabylie et dans les Aurès montagneux et rebelles. Mais le bilan de ce premier jour de guerre est modeste : 70 attentats, moins de dix morts (dont des civils : un chauffeur de taxi, un instituteur…), quasiment aucune arme raflée. Sauf que, pour la première fois depuis 1947, des militaires français sont tués, dans les Aurès. De quoi marquer les esprits et donner du crédit à la proclamation de la lutte armée. Dans le contexte de guerre froide et de luttes de libération, la Toussaint rouge rencontre un écho international. « On a allumé la mèche », résumera Didouche Mourad, un des fondateurs du FLN.
Le 20 août 1955, la guerre prend un premier tournant vers l’horreur. Plusieurs milliers de fellahs, encadrés par l’ALN, foncent sur Philippeville (l’actuelle Skikda) et d’autres villes de l’Est. Ils tuent de façon atroce des dizaines de civils européens, hommes, femmes et enfants, ainsi que des musulmans considérés comme des « collabos » : 123 morts, dont 71 civils européens, 21 musulmans, 31 policiers et militaires. Pour les responsables de la lutte armée dans le Nord-Constantinois, il s’agissait de créer un point de non-retour, un « fossé de sang » entre Algériens et Français.
Et ça marche. Rafles, exécutions… Comme en 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata, la riposte de l’armée et de la police, appuyées par des milices de civils, est encore plus violente. Des villages sont brûlés, des centaines de « suspects » sommairement tués, enterrés au bulldozer. La « chasse à l’Arabe » dure plusieurs jours. Le maire de Philippeville lui-même, Paul-Dominique Benquet-Crevaux, se vantera d’avoir mitraillé de son balcon des passants. Le bilan officiel s’établit à 1 273 morts, un chiffre jugé peu fiable. Le FLN, après enquête, avancera celui de 12 000 victimes musulmanes, soit 100 fois plus que d’Européens tués. Selon l’historien Benjamin Stora, « la vérité, comme toujours, se situe quelque part entre les deux, sans doute à peu près à mi-chemin » (« Le massacre du 20 août 1955. Récit historique, bilan historiographique », article dans « Réflexions historiques », été 2010).
Cette répression est contre-productive. Le FLN, qui était en perte de vitesse, recrute de nouveau, et l’ONU commence à se pencher sur le cas algérien. Une double victoire, donc. La leçon va être retenue par les nationalistes : provoquer des représailles disproportionnées est payant. Du côté français, c’est au contraire l’heure d’une grande remise en question : comment s’adapter à cet ennemi aux méthodes non conventionnelles ? Gouverneur général de l’Algérie, l’ethnologue Jacques Soustelle crée les sections administratives spécialisées (SAS), composées de militaires et de civils, pour « conquérir les cœurs » en milieu rural. Il s’agit d’apporter une assistance sociale, éducative et médicale. Mais aussi d’ancrer dans les têtes la cause de la France et de recueillir des renseignements. Un service d’action psychologique est créé, animé par un corps d’officiers itinérants. Il va prendre son essor et deviendra à l’automne 1957 le « 5e bureau », doté de moyens propres et associé au commandement militaire.
Mimétisme de la terreur
Les accrochages se poursuivent, Soustelle durcit la répression. Quand Guy Mollet le congédie, les pieds-noirs se mobilisent dans les rues d’Alger. Ils mesurent alors pour la première fois leur force. Le 6 février 1956, le président du Conseil est accueilli à Alger par une pluie de tomates. Il cède aux ultras, et obtient de l’Assemblée nationale le vote des pouvoirs spéciaux.
Cet été-là commence l’ère des bombes visant des civils. Contrairement à ce que l’on croit souvent, le premier attentat aveugle n’est pas le fait des nationalistes algériens, mais des pieds-noirs extrémistes, rue de Thèbes, au cœur de la Casbah, dans la nuit du 10 août 1956. L’explosion fait plusieurs dizaines de morts. Un mystérieux « comité antirépublicain des quarante », ayant des liens avec la police, le revendique. Son mot d’ordre :
« Pour chaque Européen tué, un pâté de maisons de la Casbah sautera. »
Le FLN, qui tient son premier congrès clandestin dit « de la Soummam », promet de venger les victimes et organise à Alger un « réseau bombes ». Le 30 septembre, deux combattantes, choisies pour leur apparence passe-partout, font exploser le Milk Bar et la Cafétéria – où des familles d’Européens viennent boire et manger des glaces –, tuant trois jeunes femmes et faisant plus de 50 blessés, dont de nombreux enfants et adolescents. La « sale guerre » commence : un cycle d’attentats et de représailles qui va se poursuivre jusqu’au cessez-le-feu, dans un « mimétisme » de la terreur dénoncé par Camus. Denis Leroux, historien : « Un jeu de miroir faussé se met en place, chaque camp justifiant ses méthodes par celles de l’autre. »
Le FLN légitime le terrorisme par l’insuffisance de ses équipements. Larbi Ben M’hidi, chef historique du FLN, lance :
« Donnez-nous vos chars et vos avions, nous vous donnerons nos couffins [dans lesquels étaient transportées les bombes, NDLR]. »
« C’est l’arme du pauvre », constate l’historien Tramor Quemeneur, qui souligne que le but des nationalistes n’est pas de terroriser seulement les pieds-noirs, mais aussi les musulmans, qu’ils soient pro-France, rivaux (les messalistes, devenus des ennemis à abattre) ou simplement hésitants. Le FLN, qui a tiré sa légitimité originelle de la radicalité, la renforce par la violence extrême. Jean Daniel, futur fondateur du « Nouvel Observateur », rapporte une conversation glaçante qu’il a eue en 1960, dans un avion, avec deux émissaires dépêchés à Melun pour des discussions informelles avec des représentants de De Gaulle. Ahmed Boumendjel lui explique :
« Il faut que notre terreur soit supérieure à toutes les autres, celle de l’Etat français et celle des autres partis algériens. »
Et son compère Mohamed Benyahia appuie : « La terreur est le fait initial des révolutionnaires » (voir « la Guerre d’Algérie. 1954-2004, la fin de l’amnésie », dir. Mohammed Harbi et Benjamin Stora, Robert Laffont, 2004). Les bombes de 1956 (qui tuent et blessent des dizaines de civils européens) soulèvent l’effroi en Algérie, mais elles relancent l’attention des médias du monde entier et l’inquiétude de l’ONU. Le FLN le constate une nouvelle fois : une bombe à Alger fait plus de bruit que les combats menés dans le djebel par les katibas, les unités combattantes de l’ALN.
A Paris, on cherche la parade. Le ministre de la Défense est Maurice Bourgès-Maunoury, personnage un peu oublié mais qui a joué un grand rôle dans ce « tournant » de la guerre. Il a recruté à son cabinet Charles Lacheroy, un officier d’état-major qui multiplie alors les conférences pour vanter une doctrine de la « guerre révolutionnaire » qu’il a élaborée en Indochine. Fasciné par les écrits de Mao et la victoire du Viêt-minh face à une armée française pourtant bien mieux équipée, Lacheroy est persuadé que pour vaincre en Algérie, les arrières sont plus cruciaux que la troupe. Puisque la ligne de front a disparu, il faut revisiter de fond en comble la doctrine militaire et assumer l’encadrement politico-militaire des populations. Quitte à s’écarter des grands principes humanistes :
« On ne fait pas une guerre révolutionnaire avec le Code Napoléon. »
Bourgès-Maunoury décide d’appliquer cette théorie. Face à un ennemi qui utilise des méthodes non conventionnelles, de nouvelles tactiques vont être mises en place ou approfondies : l’endoctrinement, le renseignement, l’action psychologique (qui fait l’objet d’une instruction fameuse, le « TTA 117 »), les fausses rumeurs.
La bataille d’Alger
C’est dans ce contexte que commence la bataille d’Alger, menée par le général Jacques Massu dans la Casbah. Compagnon de la Libération, il a reçu les pleins pouvoirs pour démolir les cellules terroristes. Le colonel Marcel Bigeard, un ancien résistant qui a fait l’Indochine, se voit confier ce « travail de flic » qui ne plaît guère aux militaires. Le 8 janvier 1957, la loi martiale est proclamée. Massu et 8 000 paras entrent dans Alger. Pour démontrer au monde entier qu’il a le soutien de la population, le FLN organise fin janvier une grève générale, bien suivie, avec le mot d’ordre suivant (de Larbi Ben M’hidi, encore lui) :
« Jetez la révolution dans la rue, elle sera prise en charge par le peuple. »
Le colonel Roger Trinquier, un ami de Massu, organise un quadrillage de la ville : secteurs, pâtés de maisons, immeubles, appartements… C’est le « DPU », dispositif de protection urbaine. Chaque habitant est immatriculé. Des milliers d’indicateurs sont recrutés, présents dans chaque rue. Officiellement, il s’agit d’associer la population à sa propre défense. Mais c’est un système totalitaire qui se met en place, avec son cortège d’arrestations arbitraires et d’exécutions sommaires.
Le travail de renseignement, supervisé par le sinistre commandant Paul Aussaresses, passe par la torture : les suspects sont emmenés dans des centres où l’on espère leur soutirer des informations, voire les « retourner ». Beaucoup disparaissent, jetés dans la mer par hélicoptère ; on les appelle les « crevettes Bigeard », bien que ce dernier ait démenti en avoir eu connaissance. En mars, stupeur : un général, Jacques Pâris de Bollardière, dénonce l’usage de la torture, ce qui lui vaudra deux mois aux arrêts. Paul Teitgen, secrétaire général de la police d’Alger, démissionnera à son tour peu après.
La guerre irrégulière conduit-elle naturellement au coup d’Etat ? Le politologue Gabriel Périès, spécialiste de la guerre révolutionnaire (voir sa thèse « De l’action militaire à l’action politique. Impulsion, codification et application de la doctrine de la guerre révolutionnaire au sein de l’armée française (1944-1960) », Paris-I, 1999), tranche :
« Quel que soit le continent, quand on cherche le contrôle des populations au prétexte de débusquer un ennemi intérieur, on aboutit toujours à une prise du pouvoir par les militaires. »
Dès l’évocation de pourparlers avec le FLN, des officiers et fonctionnaires s’opposent au pouvoir politique. Ils se perçoivent comme les garants de l’Algérie française, seule à même d’assurer le bonheur des populations face au « communisme international ». Les plus hardis vont jusqu’à se qualifier eux-mêmes de « révolutionnaires ». Le premier à revendiquer le terme est un préfet bien connu : Maurice Papon, ex-haut fonctionnaire de Vichy, alors responsable du Constantinois (voir la thèse de Denis Leroux, « Une armée révolutionnaire. La guerre d’Algérie du 5e bureau », Paris-I, 2018). « Il a par la suite importé le concept de guerre révolutionnaire à Paris, quand il est devenu préfet de police : ce sera le massacre du 17 octobre 1961 », commente l’historien Marc André.
Les factieux et leur descendance
Pour la première fois depuis longtemps en France, le pouvoir politique est sous la menace de son armée. En mai 1958, les militaires d’Algérie soutiennent le soulèvement des pieds-noirs, qui appellent au retour du général de Gaulle. Des parachutistes sont en Corse et se préparent à intervenir à Paris (« opération Résurrection »). Cette menace de putsch porte ses fruits : en juin, la classe politique capitule et de Gaulle ramasse le pouvoir. Mais en septembre 1959, il pose le principe de l’autodétermination du peuple algérien, ce qui déclenche, en janvier 1960, la semaine des Barricades à Alger. Des milliers de pieds-noirs se révoltent et l’armée n’intervient pas. Une partie de l’état-major et le 5e bureau (qui va alors être dissous) poussent à la roue, mais échouent. L’année suivante, en avril, des officiers tentent un nouveau putsch, mettant sur le devant de la scène un « quarteron de généraux en retraite », selon la formule de De Gaulle. Nouvel échec. Dans les deux cas, le Général a pu s’appuyer sur la loyauté de la haute hiérarchie militaire et sur la résistance des conscrits.
Deux de ces « généraux en retraite », Raoul Salan et Edmond Jouhaud, prennent alors la tête d’une nouvelle organisation anticommuniste clandestine, l’OAS (Organisation Armée secrète), qui s’inspire tant des méthodes terroristes de son ennemi mortel, le FLN, que des théories de Lacheroy ou de Trinquier, qui rédige cette année-là un manuel de « la Guerre moderne ».
Encore une fois, la population civile devient le champ de bataille, comme en témoigne l’organigramme de l’OAS : une branche ORO (organisation-renseignements-opérations), une branche APP (action psychologique et propagande) et une branche OM (organisation des masses). Des « commandos Delta » sont chargés des basses besognes. L’OAS s’organise en cellules, couvre les murs de graffitis, pose des bombes (les « nuits bleues »), organise des éliminations… Elle entend frapper « où elle veut, quand elle veut, qui elle veut ». A la fin de 1961, le général en chef de l’armée en Algérie écrit au ministre : « L’OAS cherche à forcer l’adhésion des tièdes par des méthodes de violence utilisées par le FLN en 1956-1957 » (voir « FLN et OAS. Deux terrorismes en guerre d’Algérie », Raphaëlle Branche, « Revue européenne d’histoire », septembre 2007). Traquée sans pitié par le pouvoir gaulliste, elle se battra jusqu’au bout, incendiant des citernes du port d’Oran en juin 1962. Au total, l’OAS a fait quelque 2 000 victimes.
Jusqu’à sa victoire, le FLN maintient l’état de guerre : il enlève et tue des Européens (comme les moines de Tibéhirine en 1959), pousse les colons à abandonner leurs terres, élimine par milliers ses opposants du camp nationaliste, traque l’OAS. Après le cessez-le-feu et les accords d’Evian, en mars 1962, il se révèle incapable de stopper sa propre violence : des dizaines de milliers de harkis sont massacrés, des cafés européens sont encore mitraillés à Alger en mai, un dernier grand massacre a lieu à Oran en juillet. Côté français, il devient alors clair que les techniques contre-insurrectionnelles ont conduit à une impasse politique, symbolisée par la bataille d’Alger. Pourtant, elles vont connaître un grand succès, pendant et après la guerre.
Jusqu’en 1959, deux sinistres « centres d’instruction à la pacification et à la contre-guérilla », à Philippeville (« école Bigeardville ») et à Arzew, près d’Oran, forment des officiers français, mais également portugais, anglais, israéliens. L’Ecole de Guerre de Paris initie aussi des officiers étrangers à ces nouvelles techniques, avec des stages pratiques en Algérie. A partir des années 1960, des formateurs français sont dépêchés à Buenos Aires et à l’Ecole militaire des Amériques au Panamá, surnommée « l’école des dictateurs ». La guerre du Vietnam commence, et les Etats-Unis font à leur tour appel au « savoir-faire » des Français. Aussaresses devient instructeur à Fort Bragg. A Saïgon, le « programme Phoenix » de la CIA (renseignement, interrogatoires, contrôle de la population, assassinats…) est directement inspiré des théories françaises.
Aussaresses instruit également des officiers au Brésil, au début des années 1970, dont des Chiliens envoyés par le nouveau dictateur Augusto Pinochet. Lors du coup d’Etat en Argentine en 1976, tous les officiers de la junte ont été formés par des Français ! Ils rejouent la bataille d’Alger à grande échelle : 30 000 personnes disparaissent, beaucoup lors de vuelos de la muerte (« vols de la mort »), nouveau nom des « crevettes Bigeard ». Des anciens de l’OAS aident à mettre en place des escadrons de la mort. Enfin, un militaire argentin formé par les Français, Osvaldo Riveiro, est l’un des organisateurs, dans les années 1970, de la sinistre opération Condor, coordonnée par les services secrets du Chili, de l’Argentine, de la Bolivie, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay, pour éradiquer tous les « subversifs » du continent sud-américain (voir « Escadrons de la mort, l’école française », Marie-Monique Robin, La Découverte, 2004). Encore aujourd’hui, l’ensemble de ces techniques est connu sous le nom de « The French Doctrine » : la doctrine française.
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