O rivages aimés du soleil et des dieux !
Récifs rongés de sel où la mer vient s'abattre,
Tremblants sous le ressac de ses flots furieux,
Si blancs qu'on vous dirait d'albâtre.
Grève de sable fin que rosit le couchant,
Qui reçoit dans la paix les baisers de l'écume.
Alors que vers l'azur s'envole un dernier chant
Pour une étoile qui s'allume,
Pampres verts des coteaux couronnés d'orangers
Et de pins résineux ; vous, croupes
Nonchalantes
Que colore au printemps la fleur de ces vergers
Qu'on voit escalader vos pentes ;
Et toi, majestueux et troublant Chenoua
Dont le front plein d'orgueil se cache dans la nue,
Au flanc duquel pourrait dormir Antinéa
En quelque retraite inconnue !
Splendeur ! Immensité de la mer et du ciel !
Rien ne peut surpasser vos soudaines colères
Ou la sublimité d'un coucher de soleil
Devant des ruines séculaires.
C'est là Cherchell, que tu t'isoles dans l'oubli
Ainsi qu'en ton musée une statue ancienne
Que drape fièrement la tunique au long pli
Moulant son corps de patricienne.
Tuiles rouges des toits qui penchent vers le port,
Parfums -musc ou jasmin -s'exhalant des ruelles,
Balancelles que berce une brise à ton bord
De caresses perpétuelles.
Gazouillis des jardins, calices entrouverts,
Fûts géants des dattiers dont les palmes s'inclinent
Ainsi qu'une fusée éclate en bouquets verts
Qui retombent sur la colline....
Place romaine au pied de qui les flots calmés
Meurent dans la douceur d'un soir de clair de lune,
Où la chaleur du jour ne pénètre jamais,
Ni sa lumière inopportune ;
Thermes d'où montaient la musique et les chœurs
Aux applaudissements d'une foule en démence
Qui tout en couronnant de lauriers ses acteurs
Riait de Plaute ou de Térence !
Yol ! Yol ! Avais – tu fait ce rêve certains jours
Où tirant leur trirème au sable de ta plage,
Des marchands prirent pied sur ton sol, tour à tour.
Venus de Tyr et de Carthage ?
Pourtant la gloire vint sur ton front étonné
Déposer le baiser de Rome protectrice, quand
De Cléopâtre la fille Séléné
Unit sa grâce à ton délice.
Or, un vent de tempête et de sédition
Balaya le sommet d'où on te vit descendre,
Et les siècles tombant sur ta perfection
Firent sur toi pleuvoir leur cendre.
Mais le ciel éternel rajeunit la beauté
Et je veux, ô Cherchell, sur ta ruine sacrée
Célébrer le réveil de l'antique cité
La somptueuse Césarée
René Rousseau
Buste de Cléopâtre Séléné, marbre, Ier siècle av. J.-C, conservé au musée archéologique de Cherchell
La Reine berbère
Juba et Séléné partent pour l’Afrique et s’installent à Iol, aujourd’hui Cherchell en Algérie. Ils l’a font immédiatement baptiser Césarée (Caesarea) en l’honneur de leur protecteur Auguste César. La Maurétanie correspond alors à l’Algérie et au Maroc actuels.
Carte du royaume de Maurétanie sous Juba II, issue de JALLET-HUANT Monique, Les rois numides et la conquête de l’Afrique du Nord par les Romains, Presses de Valmy, 2006
A Césarée, le couple fait bâtir plusieurs monuments prestigieux qui transforment totalement la cité. Des palais sont construits, des thermes, un amphithéâtre en pierre qui peut recevoir jusqu’à 10 000 spectateurs alors même que Rome ne compte à ce moment-là que des amphithéâtres en bois de taille bien plus réduite.
L’économie connaît également un important renouveau, avec des exportations de blé, d’huile d’olive, de garum (une spécialité à base de poisson fort malodorante mais très appréciée des Romains) car la Maurétanie, avec l’Egypte, constituent le grenier de Rome.
Ils s’entourent d’un grand nombre d’œuvres d’art. Des copies sont réalisées à partir des chefs-d’œuvre de l’art grec. Ainsi Monique Jallet Huant note qu’on trouvait dans leur palais, parmi les nombreuses œuvres d’art, une copie d’un Apollon de Phidias ou encore une Déméter de l’école de Praxitèle. Cléopâtre Séléné apparaît sur une pièce d’argenterie retrouvée à Boscoreale (Italie) où elle figure avec un sceptre en croissant de lune :
S'agirait-il de Cléopâtre VII ou de sa fille, Cléopâtre Séléné de part le croissant de lune ?Coupe à emblema (portrait), fin du Ier siècle av. J.-C ou première moitié du Ier siècle ap. J.-C, argent avec dorures, diamètre de 22,5 cm et hauteur de 6cm, conservé au musée du Louvre (visible dans la salle 662). Crédits : RMN/Hervé Lewandowski
Ci-dessus : Une coupe à emblema (portrait) en argent doré issue du trésor de Boscoreale conservé au Louvre dont la datation se situe entre la fin du Ier siècle av. J.-C et la première moitié du Ier siècle ap. J.-C.
Césarée n’est pas la seule ville à être embellie, le couple royal s’attache également à magnifier des cités jusque là secondaires, comme celle de Volubilis au Maroc et de Tipasa à quelques kilomètres d’Alger, pour laquelle nous avions déjà dédié un article.
Deniers en argent de Cléopâtre Séléné et Juba II, retrouvés à Césarée et passés en vente en 2007. Crédits : CNG Auction
Son mari ayant reçu d’Auguste le titre de rex (roi), Cléopâtre Séléné devient regina (reine) comme cela est parfois visible sur leurs monnaies. Or selon Michèle Coltelloni-Trannoy, ce titre n’a jamais été attribué à une femme romaine. Même si on reconnaît la souveraineté de certaines femmes, comme l’illustre mère de Cléopâtre Séléné, elles ne reçoivent pas le titre de reine. Il aurait alors pu être accordé par Juba II lui-même. Pour Coltelloni-Trannoy, il donne un lustre au couple maurétanien mais il serait abusif de penser que Séléné eut été associée au pouvoir de son époux ou que le royaume fusse partagé entre eux deux.
La date de la mort de Cléopâtre Séléné est inconnue. Le poète Crinagoras de Mitylène rapporte que le jour d’une éclipse lunaire, le 1er mars en 5 av. J.-C, est décédée une Séléné. Il lui consacre une élégie (éloge funèbre) que nous avons conservée [version en anglais] :
The moon herself grew dark, rising at sunset,
Covering her suffering in the night,
Because she saw her beautiful namesake, Selene,
Breathless, descending to Hades,
With her she had the beauty of her light in common,
And mingled her own darkness with her death.
Crinagoras de Mytilène, Elégie de Séléné
La lune elle-même s'assombrit, se levant au coucher du soleil, Couvrant sa souffrance dans la nuit, Parce qu'elle a vu sa belle homonyme, Séléné, À bout de souffle, descendant vers l'Hadès, Avec elle, elle avait en commun la beauté de sa lumière, Et a mêlé ses propres ténèbres à sa mort. Crinagoras de Mytilène, Élégie de Séléné
https://florilegeswebjournal.com/2019/03/25/cleopatre-selene-de-la-fille-dantoine-et-cleopatre-vii-a-la-reine-de-mauretanie/
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