Acteur comique devenu chef d’Etat, sans aucune expérience politique, le président de l’Ukraine impressionne la planète par son sang-froid face à Moscou. Des pourparlers entre les délégations russe et ukrainienne ont commencé ce lundi.
Volodymyr Zelensky lors d’une allocution, le 25 février 2022, au deuxième jour de l’offensive russe en Ukraine. (HANDOUT / AFP)
Depuis l’invasion russe en Ukraine, le courage a un visage. C’est celui d’un petit homme aux yeux candides et à la voix enrouée par les nuits de veille qui a décidé de résister à la deuxième armée du monde. Chaque nuit supplémentaire où Kiev, la capitale, tient contre les forces russes est un exploit. L’homme est simple mais il a la formule qui fait mouche : « C’est ici qu’est le combat. J’ai besoin de munitions, pas d’un taxi. » La réplique du président ukrainien Volodymyr Zelensky répondant à la proposition de son évacuation proposée par le gouvernement américain restera dans l’histoire. Lui, l’ex-comédien de stand-up, est devenu le héros d’une histoire tragique. Sa bravoure tranche avec la longue liste des présidents menacés d’être renversés qui ont fui piteusement, comme le Tunisien Ben Ali, ou qui se sont cachés, comme l’Irakien Saddam Hussein. Sans compter Viktor Ianoukovitch, un de ses prédécesseurs, fuyant en Russie face à la révolution proeuropéenne de Maïdan en 2014.
En tee-shirt, dans les rues de Kiev, l’ex-comique dont se moquait Poutine, celui qu’il traitait juste avant l’invasion comme une catin (« Ma jolie, va falloir y passer ») et qu’il a menacé d’être le premier sur sa liste de personnalités ukrainiennes à abattre, entend résister jusqu’à la mort avec son peuple face aux chars russes. C’est ce « serviteur du peuple » (le nom de son parti et de sa série, diffusée notamment sur Netflix) qui incarne aujourd’hui la grandeur de la démocratie. Et cette nouvelle lueur qui vient de l’Est réchauffe la foi des peuples fatigués et méfiants à l’égard des régimes censés ne plus les représenter.
Alors que l’invasion de l’Ukraine s’intensifiait, Poutine exhortait les militaires ukrainiens à se soulever contre leur gouvernement, qualifié de « gang de drogués et de nazis qui tient Kiev et la nation ukrainienne en otage… ». Des calomnies diffusées sur toutes les ondes russes tandis que les commentateurs de Moscou laissaient entendre que le président avait fui le pays. Pour y répondre, Zelensky postait, vendredi 25 février, une vidéo sur les réseaux sociaux qui sera vue plus de 15 millions de fois. Face à ses bureaux présidentiels, dans une rue bien identifiable du centre de Kiev, la rue Bankova, entouré de son équipe gouvernementale, il a martelé calmement :
« Le président est là. Le Premier ministre est là. Nos soldats sont là. Nos citoyens sont là. Nous sommes tous là pour défendre notre indépendance et notre pays. Gloire aux hommes et aux femmes qui nous défendent. Gloire à l’Ukraine ! »
Ce message posté sur Telegram, s’il s’adressait aux Ukrainiens, visait aussi les Russes (l’application, inventée par un Russe qui depuis a dû fuir son pays, est très prisée en Russie). Dans un autre message posté la veille de l’invasion, Zelensky s’adressait directement aux citoyens russes :
« L’Ukraine qu’on vous présente et l’Ukraine réelle sont deux pays complètement différents… On vous dit que nous sommes des nazis mais comment un peuple qui a perdu 8 millions de vies dans la guerre contre le nazisme pourrait soutenir le nazisme ? Comment pourrais-je être un nazi ? Allez expliquer cela à mon grand-père qui a passé toute la guerre dans l’infanterie de l’armée soviétique et qui est mort colonel dans une Ukraine indépendante. »
Le rôle du funambule
Volodymyr Zelensky est né en 1978 à Kryvyï Rih, une ville minière du sud-est de l’Ukraine, dans une famille juive, d’un père directeur du département de cybernétique et d’informatique de l’université et d’une mère ingénieure dans l’industrie minière. A la fin des années 1990, alors que le communisme s’effondre, que l’Union soviétique explose, que les usines ferment, la ville est gangrenée par l’alcoolisme et la délinquance. Des gangs d’adolescents terrorisent les habitants avec des couteaux et des marteaux tandis que d’autres se lancent, comme « Vova » − diminutif de Volodymyr −, dans le café-théâtre et se présentent au KVN, un concours de stand-up.
Zelensky et ses amis comédiens s’inscrivent en droit à l’université pour faire plaisir à leurs parents, mais ils consacrent le plus clair de leur temps à leur troupe, Kvartal 95, un « Splendid » cosaque. En 2002, un producteur leur propose de créer leur propre émission à la télévision russe. L’acteur devient une star, crée sa société de production, l’affaire devient vite florissante. En 2012, le magazine « Forbes » estimait sa fortune à 15 millions de dollars. L’humoriste s’offre même une villa de quinze chambres en Toscane.
A cette époque, Zelensky est très populaire parmi les hommes et femmes politiques ukrainiens – son prédécesseur à la présidence, Petro Porochenko (2014-2019), est un habitué de ses spectacles. Il lui arrive aussi de faire des shows privés pour les oligarques. Tout le monde apprécie alors l’humour un peu lourd de « Vova », surtout quand ce sont des rivaux qui en font les frais. Même Poutine, qu’on voit dans le public en train de s’esclaffer. Le dictateur russe se servira de ces images encore et encore pour dénigrer l’ancien comique devenu président au printemps 2019, « un clown » qu’il s’est mis à détester.
Lorsque, cinq ans après avoir annexé la Crimée et déclenché le conflit du Donbass qui fera près de 14 000 morts, le maître du Kremlin annonce qu’il envoie plusieurs dizaines de milliers de passeports aux citoyens ukrainiens des républiques séparatistes, Zelensky publie un communiqué éloquent : « Nous savons très bien ce que le passeport russe fournit : le droit d’être arrêté pour avoir manifesté pacifiquement, le droit de ne pas avoir d’élections libres, le droit d’oublier les droits de l’homme et les libertés fondamentales. Nous accorderons la citoyenneté ukrainienne aux représentants de tous les pays victimes de régimes autoritaires et corrompus, d’abord et avant tout aux Russes qui en souffrent le plus aujourd’hui. » Le serviteur du peuple, avec son franc-parler et son courage, exaspère Poutine.
Dans les mois qui ont précédé l’invasion, quand son voisin a massé ses troupes à la frontière de l’Ukraine, Zelensky a gardé son calme. Il n’a cédé ni aux provocations de la Russie ni à la panique qu’auraient pu faire naître les déclarations alarmistes des Etats-Unis, au point qu’on lui a reproché de ne pas prendre les menaces de guerre au sérieux. Le « clown » a réussi à endosser le rôle du funambule. Sa position était celle d’un équilibriste. Il ne pesait pas lourd dans le bras de fer diplomatique entre les Etats-Unis et la Russie, et où même l’Europe n’occupe qu’un strapontin. Mais c’est pendant la guerre qu’il est devenu un héros. Il vient d’accepter des pourparlers avec la Russie, qui ont commencé ce lundi, et de réclamer l’intégration « sans délai » de l’Ukraine dans l’Union européenne. Aujourd’hui, le monde entier retient son souffle pour savoir quel sera le destin de l’Ukraine et de « Vova », pitre devenu homme d’Etat. Seul à se battre contre un dictateur qui hait l’Europe, l’Occident et la démocratie.
·Publié le
https://www.nouvelobs.com/guerre-en-ukraine/20220228.OBS55103/volodymyr-zelensky-l-ex-clown-qui-donne-une-lecon-de-courage.html
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