60 ans après la guerre d’Algérie il se souvient...
Ancien conseiller général de Rennes et directeur de cabinet d’Edmond Hervé, François Richou était un jeune appelé de 20 ans quand il a été affecté en grande Kabylie, au 39e régiment d’infanterie, entre novembre 1958 et novembre 1960.
François Richou sur une mule utilisée pour les déplacements d’unités en Algérie. | OUEST-FRANCE
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« J’ai servi dans la cuvette d’ Ait Ouabane »
60 ans après la guerre d’Algérie il se souvient...
Ancien conseiller général de Rennes et directeur de cabinet d’Edmond Hervé, François Richou était un jeune appelé de 20 ans quand il a été affecté en grande Kabylie, au 39e régiment d’infanterie, entre novembre 1958 et novembre 1960.
François Richou sur une mule utilisée pour les déplacements d’unités en Algérie. | OUEST-FRANCE
À Rennes, François Richou est connu comme ancien conseiller général de Rennes et directeur de cabinet d’Edmond Hervé qui fut le premier maire socialiste de Rennes. Aujourd’hui, il est régulièrement porte-drapeau du Souvenir français lors des cérémonies mémorielles à Rennes. Pendant la guerre d’Algérie, François Richou était un jeune appelé de 20 ans quand il a été affecté en grande Kabylie, au 39e régiment d’infanterie, entre novembre 1958 et novembre 1960. Démobilisé et redevenu journaliste, il retourne en Algérie en mars 1962. Il témoigne.
Dans quelles circonstances partez-vous la première fois en Algérie ?
J’avais 20 ans en 1958, j’ai grandi à Angers. Depuis un peu plus d’un an, je travaillais à la rédaction du Courrier de l’Ouest. Je suis parti en juillet avec le contingent 58-1 C au 5e régiment d’infanterie de Blois pour suivre la formation des quatre mois de classes avant le départ pour l’Algérie. On y apprenait à faire la guerre, sur les terrains militaires.
François Richou a été conseiller général de Rennes et directeur de cabinet d’Edmond Hervé, premier maire socialiste de Rennes. | OUEST-FRANCE
Mais on faisait surtout la garde, car il y avait des risques d’attentats dans les gares, les stations-service, les casernements… Nous l’avons fait, par exemple, à Salbris, en Sologne, où il y avait un dépôt de munitions. J’ai appris à monter et démonter des fusils américains alors qu’en Algérie nous avions un matériel français.
J’ai eu une permission de 48 heures pour aller dire au revoir à ma famille. J’espérais rester comme observateur, j’étais convaincu que c’était une bêtise de faire la guerre. Je n’aurais pas dû le dire, j’ai été envoyé… Nous avons mis les paquetages dans les camions, puis avons défilé à pied jusqu’à la gare de Blois.
« Certains d’entre vous ne reviendront pas »
Je me souviendrai toujours la foule massée sur le chemin, de chaque côté de la rue. On lisait dans leurs yeux de la tristesse, il n’y avait pas de protestation mais une forme de gravité. Les gens voulaient montrer de la sympathie aux appelés.
François Richou montrant la région dans laquelle il a servi en Algérie entre 1958 et 1960. | OUEST-FRANCE
Nous étions plusieurs centaines. Le train était très ancien, tout en bois, sans possibilité de s’allonger. Sur le quai de la gare, le colonel présent a fait un discours. « Certainsd’entre vous ne reviendront pas », a-t-il dit. Nous avons mis 24 heures pour rejoindre le port de Marseille. Une fois sur place, 24 autres heures dans le centre de tri de l’armée avant d’embarquer sur le « Ville d’Alger » qui n’était vraiment fait pour des passagers mais les cales étaient énormes. Dans le golfe du Lion, il y a eu une tempête, c’était l’enfer.
Le calot de François Richou pendant son service en Algérie de novembre 1958 à novembre 1960. | OUEST-FRANCE
Où avez-vous servi en Algérie ?
Le lendemain matin, nous sommes descendus en colonne du bateau avant de marcher le long des quais d’Alger. On passait devant des médecins, on nous faisait un vaccin supplémentaire puis une tasse de thé avant de reprendre nos affaires. Le lendemain, c’était la dispersion. J’ai été affecté en grande Kabylie, avec le 2e bataillon du-39e régiment d’infanterie (2-39e) qui revenait du Maroc. Dans le paquetage, j’avais un sarouel, et des sandales du désert. Puis, on a eu des treillis et des chaussures à clous. Puis des chaussures de montagne, comme les chasseurs alpins.
François Richou montrant sa casquette dit « Bigeard » qu’il portait pendant la guerre d’Algérie. | OUEST-FRANCE
Nous avons très vite été envoyés sur le terrain pour des missions variées. D’abord avec la compagnie opérationnelle qui partait en opération tous les trois ou quatre jours, parfois plus, et au retour on avait 24 heures de repos. Ça se passait essentiellement dans la cuvette des Ait Ouabane, un territoire d’une longueur de 10 à 15 km et 4 à 5 km de large. Ça montait jusqu’à 2300 mètres, avec une végétation assez, variable selon l’altitude, notamment des forêts de cèdres, et de la rocaille avant le sommet. Ce n’était l’Algérie que j’avais imaginé, avec du sable et des palmiers.
Sur place, on ne pensait qu’à la mission que nous devions remplir à l’instant. Il ne fallait surtout pas perdre ses affaires et suivre le mouvement.
« Des cris horribles, quinze hommes décapités »
Avez-vous été marqué par une mission en particulier ?
Nous avions été réveillés dans la nuit par des cris épouvantables en provenance d’un petit village à 300 mètres de notre campement. Sur place, c’était un bain de sang. Nous avons découvert quinze corps d’hommes décapités, entourés de femmes et de vieux. Les fellaghas venaient de passer, ils avaient tué ces hommes qui travaillaient en France et qui étaient revenus en vacances en Algérie. On a appelé au secours pour que des hommes des environs s’occupent des dépouilles et assurent le rite des funérailles musulmanes.
Puis nous avons reçu l’ordre de poursuivre les fellagas. On nous a donné des rations de combat. La neige commençait à tomber, nous avons suivi leurs traces, vers On a suivi leurs pas, ça semblait se dirigeait vers le massif du Djurdjura. Nous avons marché des heures, dormi en chemin, puis repris la traque. Nous les avons rattrapés le troisième jour, après avoir été ralentis à plusieurs reprises par des tireurs qui couvraient leur fuite.
Ils s’étaient abrités dans une grotte. Ils étaient une vingtaine. Nous avons fait le siège de la grotte en nous rapprochant difficilement. Des tirs nourris ont été échangés. C’était mon baptême du feu. Pendant tout ce temps, avec un petit porte-voix, le sous-lieutenant qui nous commandait leur demandait de se rendre. On voulait faire des prisonniers pour qu’ils rendent des comptes. L’un d’eux a voulu sortir, les autres lui ont tiré dans le dos…
À la fin de la journée, l’assaut a été donné. Nous avons tiré de nombreuses grenades à fusil, puis lancé des grenades à main. ll a fallu grimper pour s’approcher de l’entrée. J’étais devant dans une équipe de grenadiers voltigeurs. J’ai envoyé une bonne vingtaine de grenades dans la grotte. Au bout d’un moment, plus personne ne tirait.
Une katiba de 60 hommes attaque le camp
Avez-vous été confronté au feu ?
L’accrochage le plus important, c’est quand j’étais détaché à 1500 mètres d’altitude, dans une ancienne colonie de vacances des chemins de fer à Tikjda, avec des soldats de la 27e division d’infanterie alpine. Nous avions à peu près tous le grade de caporal, répartis en cinq sections de trente, une grosse compagnie de 150 hommes. À tour de rôle, on commandait un groupe, montait la garde en faisant des opérations autour du poste qui était ravitaillé par convoi qui venait une fois par mois. Un dimanche soir, les fellaghas nous ont attaqués. L’après-midi, on se distrayait, on avait bu des bières, et on s’était couchés tôt. On dormait de sommeil et d’ivresse avant d’être réveillée par une importante fusillade. La patrouille venait de sortir et était tombée sur les fellaghas qui étaient en train d’entourer le poste.
Une photo prise par François Richou, lors d’un « accrochage » avec des fellaghas. | OUEST-FRANCE
Nous recevons l’ordre de sortir « en étoile » pour réoccuper si possible la montagne autour du camp, qui était dans le creux d’une cuvette. Les fellaghas étaient sur les pentes, c’était une katiba de passage. Ils devaient être une soixantaine, équipés d’un petit mortier de 60 mm. Il y a eu un mort parmi nous et plusieurs blessés. Nous les avons rattrapés, dans les sommets, la rocaille. Nous sommes restés au contact toute la journée, la nuit et une partie de la journée suivante avant de décrocher. Ils avaient laissé un groupe pour nous retenir.
Aviez-vous l’occasion d’échanger avec la population locale ?
Pendant les six derniers mois de mon service en Algérie, j’ai été nommé adjoint à un chef de poste de regroupement des populations. J’étais sous-officier de renseignement-contact pour collecter des renseignements sur les fellaghas. J’allais chez les gens avec un interprète et un garde du corps. On m’offrait souvent le café.
Ces échanges vous permettaient-ils aussi de collecter du renseignement d’utilité militaire ?
Un jour, à la fin de l’été 1960, une famille m’a dit qu’ils se faisaient racketter par les fellaghas sur le chemin du marché. J’y suis allé. J’ai pris un caporal engagé et un harki. Tous les trois, nous nous sommes habillés en civil, et sommes allés sur la piste pour attendre les premiers villageois avant de nous joindre à eux. Nos armes étaient cachées sous un burnous et j’avais un panier pour cacher le poste radio. Rien ne disait qu’on était des soldats français, on pouvait être des fellaghas.
Nous les avons enfin repérés, ils étaient trois : un homme portait un fusil en bandoulière, sur le chemin, l’autre était à côté de la piste, au milieu, il y avait une femme assise sur une chaise qui ramassait l’argent. Les villageois se sont cachés quand ils ont compris qu’il allait se passait quelque chose. Nous nous sommes retrouvés à découvert sur la piste. L’un des hommes nous a visés, mais mon fusil-mitrailleur était prêt, j’ai tiré le premier et je l’ai touché. Il s’est enfui, le second homme aussi. La femme s’est retrouvée seule. C’était une personne de plus de 50 ans. Elle nous a raconté sa vie, elle était chargée de la trésorerie.
« Oublie tout ça » m’a-t-on dit à mon retour
Comment êtes-vous accueillis par vos proches à votre retour ?
En novembre 1960, quand je rentre, j’aurais dû être joyeux, mais je suis triste car ça a été difficile de quitter les copains. La fraternité d’armes, ça existe. Je les côtoyais depuis deux ans, voire plus pour ceux que je connaissais depuis les classes. « Oublie tout ça » me disait-on. J’ai compris que ce n’était pas la peine de parler de tout ça, c’était dérangeant. La famille s’est réunie très nombreuse pour fêter mon retour, mais j’étais l’enfant de la famille qui revenait, pas un soldat.
Je suis allé voir très vite mon directeur au journal le Courrier de l’ouest. Quand j’ai évoqué mon retour à la rédaction, il m’a dit « vous savez, on ne vous a pas attendu ». J’ai répondu : « je sais, mais selon la loi, je dois retrouver mon travail ». Pendant quelques semaines, j’ai repris le boulot à Angers, puis j’ai été envoyé à l’agence de Saumur. Nous étions deux journalistes. J’ai passé mon permis assez vite pour être mobile.
Retournez-vous en Algérie ?
À partir du 19 mars (date des accords d’Evian), j’avais une seule idée en tête : partir en reportage en Algérie. J’avais d’abord un accord avant la hiérarchie ne revienne sur sa décision en arguant que « tout venait de toute façon des agences de presse ».
De toute façon, je voulais y aller. À l’époque, j’avais demandé plusieurs fois la carte de journaliste, sans la décrocher. Nous nous sommes quittés en bons termes quand même. Ils m’ont offert le train jusqu’à Marseille, en me disant d’envoyer des articles. J’en ai envoyé un seul qui ne m’a jamais été payé d’ailleurs…
J’ai rejoint l’Algérie en avril. J’ai eu les papiers pour avoir un laissez-passer en prétextant un problème familial. J’avais un cousin qui pouvait m’héberger à Boufarik dans la Mitidja, la plaine la plus prospère.
Que découvrez-vous sur place ?
J’ai vu qu’Alger était une ville en état de siège alors que la campagne, en tout cas celle de Boufarik était assez tranquille. J’ai été jusqu’à Blida. J’ai parlé avec des gens qui se présentaient comme des FLN sortis du Maquis. La guerre OAS-FLN c’était seulement dans les villes. Je suis resté un mois et demi en Algérie, mais je suis reparti fin mai- début juin, en même temps que les pieds noirs. Les bateaux étaient pris d’assaut. Je suis allé à l’aéroport d’Alger pendant 48 heures. Mon cousin s’est débrouillé avec un équipage. Je me suis retrouvé dans la cabine d’un avion Constellation, je suis arrivé de nuit à Marseille.
Que faites-vous à votre retour ?
Je ne sais pas trop ce que j’allais faire. J’ai essayé de vivre à Paris. Je me suis engagé bénévolement avec la LICA (Ligue contre l’antisémitisme), devenue ensuite la LICRA, qui accueillait les Pieds noirs. Puis j’ai fait connaissance avec Charles Hernu à l’époque (qui sera ministre de la défense sous la présidence de François Mitterrand). C’était mes premiers pas en politique…+
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