Entrée dans Alger des troupes de l’ALN de la wilaya 5 (Oranie), en juillet 1962. © ROBERT DELVAC/UPI/AFP
Face à des représentants de pieds-noirs reçus à l’Élysée, Emmanuel Macron a demandé que l’on « regarde en face » le massacre de centaines d’Européens le 5 juillet 1962 à Oran. Mais la question reste ouverte sur les auteurs du carnage.
Depuis que le général de Gaulle a visité Oran en mai 1958, on surnomme la deuxième plus grande ville d’Algérie « La Radieuse » pour sa douceur de vie. Quatre ans après cette visite historique, et alors que la date de la proclamation de l’indépendance (juillet 1962) s’approche inéluctablement, Oran devient terre de feu et de sang.
Attentats à la bombe, massacres, assassinats, exécutions sommaires d’Algériens ou de militaires français, attaques d’infrastructures : l’OAS (Organisation armée secrète) sème la terreur dans une ultime tentative de s’opposer à l’abandon de l’Algérie française.
Mais au fur et à mesure qu’approche le 5 juillet, jour de la proclamation de l’indépendance, les commandos de la sinistre organisation fuient la ville. Les tueurs de l’OAS ne sont pas les seuls à faire leurs valises. Depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu du 19 mars 1962, deux tiers des quelque 220 000 Européens qui vivent à Oran ont déjà gagné la France.
SOUDAIN UN PREMIER COUP DE FEU RETENTIT. PUIS UN DEUXIÈME, UN TROISIÈME, UN QUATRIÈME
En ce début juillet, des milliers d’autres pieds-noirs se précipitent à l’aéroport ou s’amassent sur le port pour embarquer vers la Métropole. La guerre est finie et l’Algérie française avec.
Comme partout en Algérie, c’est un jour de liesse et de réjouissances populaires à Oran. Dès le matin, des processions venues des quartiers arabes convergent vers le centre-ville pour célébrer la fin d’une guerre qui aura duré presque huit ans.
L’heure est à la fête, même si la veille, d’inquiétantes et vagues rumeurs de grabuge et de troubles ont couru en ville. Il est 11 heures quand la marée humaine atteint la Place d’Armes, le cœur d’Oran, où le drapeau algérien s’apprête à être hissé sur la façade de la mairie, une cérémonie organisée par l’Armée de libération nationale (ALN).
L’ambiance est festive et joyeuse. Soudain un premier coup de feu retentit. Puis un deuxième, un troisième, un quatrième. Qui a tiré ? Nul ne le sait. « C’est l’OAS ! C’est l’OAS », crie un manifestant. Le cri est repris en écho. La foule se disperse en un mouvement de panique, dans la précipitation et le chaos.
Dizaines de cadavres
C’est le début d’un carnage qui va durer plus de six heures. Des hommes armés, surgis de nulle part, tirent sur des Européens et des musulmans à l’aveuglette. Les quartiers où vivent les pieds-noirs sont investis par des individus armés de couteaux, de machettes, de poignards et de haches. Des barrages sont dressés pour y intercepter femmes, enfants, jeunes et vieux. Une telle organisation indique que le massacre n’a rien de spontané.
On tue, on égorge, on lynche, on brûle sans distinction. Une heure après le début des tueries, des dizaines de cadavres s’étalent déjà dans les rues. Oran bascule dans l’horreur. À midi, le général Joseph Katz, qui assure le commandement du corps de l’armée française d’Oran depuis février 1962 avec ses 18 000 hommes, est informé des exactions en cours contre les Européens.
DES DIZAINES DE PIEDS-NOIRS SONT EMBARQUÉS VERS DES DESTINATIONS INCONNUES. D’AUTRES SONT SUPPLICIÉS DANS LEURS MAISONS
Sur son journal de bord des opérations, il donne ses consignes à 12 h 15 : « Troupes restent consignées. S’il est attenté à la vie des Européens, dans ce cas prendre contact avec le secteur avant d’agir. » Les consignes de ce général obtus et carré sont claires : les 18 000 militaires français doivent rester dans leurs casernes et ne pas intervenir.
Un peu moins d’une heure après son premier ordre, Katz survole Oran à bord d’un hélicoptère avant d’aller déjeuner tranquillement à l’aéroport. Ce général qui a mené une lutte implacable contre les commandos de l’OAS depuis sa désignation constate que tout est calme dans la ville.
Dans les quartiers européens, le massacre ne fait que commencer. Des dizaines de pieds-noirs sont embarqués vers des destinations inconnues. D’autres sont suppliciés dans leurs maisons, dans des garages et des entrepôts.
Des camions arrivent d’on ne sait où pour embarquer des Européens de tous âges vers Le Petit Lac, une décharge sauvage située à la périphérie de la ville. Sur place, ils sont tués à coups de couteau, à la hache, brûlés vifs avant d’être enterrés dans des fosses communes. Dans les abattoirs, des victimes sont pendues aux crochets de boucher.
Les militaires ne bougent pas
De jeunes auxiliaires temporaires occasionnels, des unités de l’ALN, participent à la chasse à l’homme en conduisant notamment des pieds-noirs dans des commissariats où ils seront là aussi battus et tués. Dans la moiteur de cet après-midi du 5 juillet, l’odeur du sang se répand partout. Les morgues des hôpitaux débordent de cadavres.
Ceux qui parviennent à s’échapper tentent de se réfugier dans les casernes. Les portes sont closes. Les instructions sont toujours aussi strictes qu’au début du massacre : les militaires ne doivent pas bouger de leurs cantonnements.
Des appelés et des sous-officiers qui demandent à leurs supérieurs de sortir pour porter secours aux victimes sont rappelés à l’ordre. Bravant l’interdit, le capitaine Rabah Kheliff, qui dirige la 4e compagnie du 30e BCP (Bataillon de chasseurs à pied), quitte sa caserne avec ses hommes pour porter secours à des dizaines de pieds-noirs sur le point d’être conduits au Petit Lac.
Ramdane Bechouche, lieutenant de l’armée française, en fait de même pour libérer des dizaines d’Européens entassés dans des véhicules qui s’apprêtent là aussi à se diriger vers les fosses communes du Petit Lac.
Ils ne seront pas les seuls à porter secours aux victimes. Des Algériens interviennent pour arracher des Européens des mains des tueurs. Dans un quartier de la ville, un jeune officier de l’ALN sort son pistolet pour sauver un homme que des individus avaient extrait de son véhicule pour tenter de le supplicier en présence de son petit garçon. Dans les locaux du secteur que dirige le général Katz, des télégrammes alarmants arrivent en rafales. Comme celui-ci qui tombe vers 16h15 : « Barrage FLN Carrefour. 70 FSE [Français de souche européenne] arrêtés et conduits dans un local proche où ils subissent des supplices. »
Des appels au secours sont lancés par radio et sont captés par des bateaux qui croisent au large de la Méditerranée. Ils arrivent à Marseille, puis à Paris. Les informations sur les tueries en cours à Oran parviennent au ministère de l’Intérieur et au ministère des Armées. Mais à Paris comme à Alger, les autorités politiques et militaires ne bougent pas.
Affaire étouffée ?
Il est un peu plus de 18 heures quand le calme revient peu à peu. Ce n’est qu’à ce moment-là que des véhicules sont autorisés à quitter les casernes pour ramasser les cadavres qui jonchent les rues. Ce soir de 5 juillet, Oran est enveloppée dans un silence de mort. La ville compte ses morts et ses blessés. Historiens et spécialistes s’accordent aujourd’hui sur le nombre de 700 personnes tuées et disparues.
Qui est derrière ce carnage et qui en porte la responsabilité ? Au petit matin du lundi 9 juillet, un bataillon de l’ALN saisit deux tonnes de matériel de guerre et procède à l’arrestation de 58 personnes présentées comme les auteurs de ces tueries. À la tête de ce qui est présenté comme une bande criminelle, un certain Moueden, dit « Attou ».
Un personnage d’une violence sans limites, ivre de sang, cruel même avec ses sicaires. Selon le capitaine Bekhti, officier de l’ALN, Attou est tué au cours de cette opération alors qu’il tentait de fuir. Mais selon divers témoignages, Attou a été tué plus tôt, en avril 1962, par un commando de l’OAS.
LA FRANCE NE DOIT AVOIR AUCUNE RESPONSABILITÉ DANS LE MAINTIEN DE L’ORDRE APRÈS L’AUTODÉTERMINATION » DÉCLARE LE GÉNÉRAL DE GAULLE
Qu’est-il advenu des hommes arrêtés ? Ils auraient été jugés et condamnés dans les semaines qui ont suivi le carnage, sans que les autorités communiquent davantage sur la question. Le régime de Ben Bella a-t-il cherché à étouffer l’affaire ? Quid du général Katz surnommé le « boucher d’Oran » ?
Jusqu’à sa mort en 2001, il n’a eu de cesse de clamer son innocence en expliquant avoir agi selon les instructions de sa hiérarchie. Une plainte pour complicité de crime de guerre et obéissance à des ordres criminels est déposée contre lui en 1999 au nom des familles de victimes. Il décède avant la procédure en appel.
Qu’en est-il de la responsabilité du général de Gaulle ? Ses instructions ont été d’une limpidité cristalline. Le 24 mai 1962, en conseil des ministres, il déclare que « la France ne doit avoir aucune responsabilité dans le maintien de l’ordre après l’autodétermination. Elle aura le devoir d’assister les autorités algériennes, mais ce sera de l’assistance technique. Si les gens s’entre-massacrent, ce sera l’affaire des autorités algériennes ».
L’ouverture des archives annoncé par Emmanuel Macron pourrait permettre de faire toute la lumière sur ce crime et ceux qui l’ont commis.
https://www.jeuneafrique.com/1305998/politique/algerie-oran-5-juillet-1962-autopsie-dun-massacre/
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