Le président va faire un geste mémoriel envers les rapatriés algériens, après le drame de mars 1962.
POOL NEW VIA REUTERSEmmanuel Macron, ici lors d'une conférence de presse à Berlin, en Allemagne, le 25 janvier 2022.
Le président Emmanuel Macron va faire un geste mémoriel ce mercredi 26 janvier envers les rapatriés d’Algérie qui portera sur la fusillade de la rue d’Isly à Alger, dans laquelle des dizaines de partisans de l’Algérie française furent tués par l’armée en mars 1962.
Le chef de l’État va porter “une parole de reconnaissance” lors d’une rencontre à l’Élysée avec des associations de rapatriés d’Algérie, communément appelés les “pieds-noirs”, a indiqué mardi la présidence française.
“Un des points saillants du propos du président de la République tournera autour de ce qu’il s’est passé le 26 mars à Alger, rue d’Isly”, a ajouté la présidence, sans plus de précisions.
Une semaine après la signature des Accords d’Évian et le cessez-le-feu, le 19 mars 1962, en Algérie, des manifestants civils partisans de l’Algérie française qui tentaient de forcer le passage vers le quartier de Bab El-Oued, dans le centre d’Alger, étaient mitraillés à un barrage tenu par l’armée française.
La fusillade qui dura plus d’un quart d’heure fit, selon différentes sources, au moins une cinquantaine de morts, tous civils, parmi les manifestants. La fusillade de la rue d’Isly marqua le début de l’exode massif des pieds-noirs d’Algérie.
Cette “reconnaissance” s’inscrit dans une série d’actes mémoriels, depuis le début du quinquennat et à l’approche du 60e anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie avec les Accords d’Évian puis l’indépendance de ce pays le 5 juillet 1962.
Le 14 septembre 2018, Emmanuel Macron a ainsi reconnu, “au nom de la République française”, que le jeune mathématicien communiste Maurice Audin avait été “torturé à mort, ou torturé puis exécuté par l’armée française” en 1957.
Le 3 mars 2021, il reconnaissait que l’avocat nationaliste Ali Boumendjel avait été “torturé et assassiné” le 23 mars 1957 par l’armée française, contredisant la version initiale d’un suicide.
Le 20 septembre 2021, le chef de l’État a demandé “pardon” aux harkis, supplétifs algériens de l’armée française, qui furent “abandonnés” par la France. Un projet de loi, actant ce “pardon” et tentant de “réparer” les préjudices subis, est en cours d’examen en Parlement et devrait être adopté d’ici la fin du mois de février.
“Main tendue”
Emmanuel Macron a aussi dénoncé des “crimes inexcusables pour la République” lors des 60 ans du massacre par la police française de manifestants algériens, le 17 octobre 1961 à Paris.
“L’objectif reste le même, construire à terme une mémoire apaisée, partagée, commune à tout ce qu’ont été jusque-là les mémoires liées à la guerre d’Algérie et à la colonisation”, en reconnaissant la “singularité de chacun”, a souligné l’Élysée.
Outre les représentants d’associations, des artistes “pieds-noirs”, dont le réalisateur Alexandre Arcadi et l’actrice Françoise Fabian, sont attendus à 15h à l’Élysée. Le chanteur emblématique Enrico Macias, également invité, ne pourra en revanche pas être présent ce mercredi à Paris.
La rencontre s’ouvrira par un témoignage de Danielle Michel-Chiche, blessée à l’âge de cinq ans dans l’attentat du Milk Bar le 30 septembre 1956 à Alger et autrice de Lettre à Zohra D, en référence à Zohra Drif qui déposa la bombe, habillée en jeune femme européenne. Danielle Michel-Chiche devint avocate puis sénatrice après l’indépendance.
Les relations restent compliquées entre l’exécutif et les rapatriés depuis qu’Emmanuel Macron a qualifié la colonisation de “crime contre l’humanité” lors d’un déplacement à Alger en 2017.
Nombre d’associations appellent au retrait de ces propos et l’une d’elle, Le Cercle Algérianiste, a décliné l’invitation à l’Élysée tant qu’il n’en serait rien. L’Élysée réfute de son côté les accusations de visées électoralistes avec ces différents gestes mémoriels à l’approche de la présidentielle d’avril.
“Si certains esprits chagrins considèrent que convaincre, c’est électoraliste, grand bien leur fasse. Mais en l’espèce, le président s’est fixé une mission”, apaiser les mémoires, a lancé un conseiller du président.
Les échanges mémoriels restent en revanche au point mort avec l’Algérie. “La France a fait un certain nombre de gestes. La main est toujours tendue et le président attend que quelqu’un la prenne”, fait observer l’Élysée.
L’Algérie de tous les débats et de toutes les certitudes contraires… Un projet original, à la diffusion inédite, réunit dix-sept rêves ou cauchemars… on ne sait ? Ils dessinent une sociologie du pays par la fiction ou le témoignage, en faisant un pied de nez aux interventions plus « savantes ». Ils nous entraînent dans une autre Algérie…
J’ai rêvé l’Algérie est le fruit d’une collaboration entre la Fondation Friedrich Ebert Algérie et les éditions Barzakh, la maison d’édition littéraire algérienne la plus performante. Ce sont Amina Izarouken, chargée des programmes à la Fondation et Selma Hellal, responsable des éditions Barzakh, qui ont présenté le projet et sa réalisation. La question posée a été la suivante : « De quelle Algérie rêvez-vous ?», véritable bouffée d’oxygène dans la crise engendrée par la Covid 19. Le livre réunit des auteurs, de sexe et de génération différents, auxquels il a été demandé de traduire en mots leur subjectivité : « Celui-ci ne changera peut-être rien à notre réalité, écrit Amina Izarouken dans son « Avant-propos », mais trouvera, sans nul doute, écho auprès de celles et ceux qui s’acharnent encore à vouloir être libres de penser, de rêver et de bâtir ensemble ». Le projet s’est construit pour se donner « les moyens d’un ouvrage original, iconoclaste mais d’abord utile, autour d’une Algérie rêvée ».
Le collectif rassemble quatorze textes, également répartis entre fictions et témoignages. Ils font intervenir dix-sept auteurs et autrices – un des textes est écrit par les trois membres d’une même famille –, sept hommes et neuf femmes. La pyramide des âges se déploie de 1954 avec Arab Izar, à 1997 pour l’étudiant Zaki Kessai. Ainsi des écrivains connus et confirmés côtoient des auteurs débutants ou des « écrivants » pour lesquels l’écriture n’est pas l’occupation première. Mais tous ensemble et de texte en texte, ils donnent à lire une Algérie multiple dans ses réalités et ses espoirs. Des écrivains confirmés comme Chawki Amari, Hajar Bali, Habiba Djahnine et Samir Toumi côtoient des auteurs connus comme Salah Badis et Sarah Haïdar. Les onze autres viennent de différents secteurs professionnels et font partager leurs regards sur le présent et leurs constructions d’avenir. Il serait fastidieux d’analyser chaque création avec précision et ce serait réduire leur découverte par les lecteurs. Il s’agira donc ici d’aborder les thématiques du volume en nous attardant sur quelques-unes d’entre elles.
Si Alger m’était contée…
Commençons par l’invitation alerte, joyeuse de « La Balade du Centenaire » de Samir Toumi, auteur, il y a quelques années d’un récit plus dysphorique, Alger le cri. Sa promenade algéroise démarre « la place du 22 février » dont l’appellation commémore le centenaire du 22 février 2019 ; nous sommes donc en 2119. Le narrateur rappelle combien ce 22 février fut une naissance pour lui et une renaissance pour ses aînés, « enfants désabusés d’octobre 1988 ». Il en rappelle l’énorme élan mais aussi l’explosion, la durée, les arrestations et les provocations. Mais « notre arme ultime, le pacifisme, finit par triompher et un véritable régime démocratique fut instauré »… le premier rêve s’affirme ! Car le pays dont il parle, c’est « l’Algérie d’aujourd’hui, celle où je vis un heureux crépuscule, et où mes jeunes compatriotes envisagent, avec sérénité, leur avenir ». Ce vieillard heureux décrit la place qui ne connaît plus le trafic infernal et mortifère qui était le sien. Les transports ont changé : « il n’y a que des solarocyclettes, des électroplanches, ces capsules autonomes et des sunshineboards », nouveaux véhicules fonctionnant tous à l’énergie solaire. Ce qui n’est pas étonnant puisque Alger est devenue « une référence écologique mondiale »… !
Poursuivant son rêve, le narrateur rappelle le nom de la waliya d’Alger (préfète), Selma H., actrice de ce changement, il y a bien des années. On reconnaît aisément le nom de l’éditrice, Selma Hellal à laquelle est rendu ainsi hommage. Elle a été aidée par « le tout-puissant Parti écologiste algérien, le PEA ». Il s’arrête Place Maurice Audin face au « Lampadaire Khaled Drareni ». L’architecture et le mobilier urbain sont futuristes et, outre la description, il glisse une petite bio de Drareni – journaliste arrêté, encore en détention quand la nouvelle s’écrit –, sa libération et son devenir. Il emprunte ensuite la rue Didouche Mourad et fait admirer « la végétalisation totale des façades, des terrasses et de la rue ». C’est une véritable débauche d’arbres et de plantes, de jardins suspendus, de fontaines et d’oiseaux ; plus d’animaux domestiques, ils sont en liberté. On arrive à la cathédrale du Sacré-Cœur qui a conservé sa fonction, après avoir dépassé l’immeuble 90, « enchâssé dans un immense cube de verre » qui capte l’énergie solaire et permet ainsi aux lézards de se chauffer sur ses parois. Ainsi, l’Algérie a définitivement tourné le dos « à la destruction de la biosphère » et elle est une fédération très active parmi les quatre fédérations réorganisant le monde. Le capitalisme a été progressivement rogné au profit d’une organisation sociale et politique contre le profit et pour l’égalité. Le chemin pour ce fédéralisme a été long car il fallait éliminer l’exclusion et l’éradication des migrants. Le racisme est désormais passible de prison.
Sous de la Basilique du Sacré-Cœur, tout un complexe culturel a été installé. Mais le vieillard commence à être fatigué et renonce à sa promenade à pied. Il monte dans une capsule pour aller admirer la ville du haut de l’Aérohabitat dédié désormais aux artistes. Chaque étage porte le nom d’une grande figure du Hirak. Il est devenu « le parfait point de rencontre des engagements culturels et politiques ». Il est tard, la capsule le conduit au square Port-Saïd où il habite depuis de longues années. Il survole la ville qu’il aime tant : « J’ai l’impression de contempler des millénaires de souffrances, de combats et de douleurs, mais aussi d’espoirs et de victoires, si profondément inscrits dans le relief de la ville ». Il faut lire cette nouvelle pour ressentir le bien-être que procure cette promenade dans le rêve d’Alger réconciliée avec elle-même.
Une sociologie du pays
Si Samir Toumi fait le pari d’une projection ludique qui aborde, mine de rien, bien des sujets comme celui de l’écologie, la répression, l’égalité Femmes/Hommes et les migrants, le ton est beaucoup moins euphorique dans d’autres nouvelles dont on peut souligner le point d’attaque dominant. Du côté du diptyque pouvoir politique/médias, deux textes : « Smart-Country » de Hajar Bali imagine, en 2033, la visite-surprise d’un jeune journaliste, Abdou Labadi, à un ex-président, Joe Lahcène, à la veille de son jugement pour destitution. Cette confrontation de deux générations soulève la question du pouvoir même quand les intentions sont louables, les conditions d’exercice du journalisme et le niveau de vie des groupes sociaux. La seule remarque de Joe est de dire à Abdou : « J’espère que vous avez gardé votre sens de l’humour. C’est la seule chose qui m’impressionne encore aujourd’hui ».
Le second texte est celui de Chawki Amari qui livre son analyse acerbe, précise et désabusée des médias dans « Quand la machine remplacera le journaliste, qui écrit déjà sur une machine ». Il parcourt avec brio hier, aujourd’hui, demain et après-demain, posant la question « qui « suijent »-ils ? » du contre-pouvoir que doit être le journalisme. Il parvient à la conclusion que ce contre-pouvoir sera totalement neutralisé, à une exception près, l’humour « arme suprême du recul et finalement dernier ressort de l’humain ».
Salah Badis embraye, lui, sur une autre forme de communication, la publicité dans « Nous devons sauver l’avenir ». Il constate une particularité des publicités algériennes : l’absence « des ciels, des horizons ouverts, ou de navires fendant les flots ». Pour quelle raison ? L’Algérie est un pays tourné vers le passé. Un constat sonne étrangement en ces temps de débat houleux autour du « Rapport Stora » au Président Macron : « Après avoir entonné « Nous avons chanté la mélodie de la mitrailleuse » et promis la libération des peuples opprimés, l’Algérien est dorénavant isolé du monde, voire de ses compatriotes, habitant des villes reculées, ne se battant qu’à propos de certains détails de l’histoire, le plus souvent insignifiants mais qu’il imagine fondamentaux – ersatz d’un pacte social inexistant ».
Khadidja Boussaid, quant à elle, affirme dans « Rêver la recherche scientifique autrement », le dysfonctionnement de ce secteur – hiérarchie non justifiée dans l’échelle des compétences, répartition injuste des crédits, etc. – interpellant le lecteur pour que, tous ensemble, nous nous indignons « selon l’invitation de Stéphane Hessel », « car l’indignation ouvre les chemins de l’espérance ».
Deux témoignages tentent la confrontation des générations et des idées, appelant au débat fructueux et non au pugilat. « De quelle Algérie rêvent Bouchra, Fériel et Zaki ? » de Bouchra Fridi, Fériel Kessaï et Zaki Kessaï, juxtapose les rêves de la mère, née avant 1962, de la fille née en 1988 et du fils, né en 1997. Cette juxtaposition est particulièrement éloquente quant aux réalités et aux rêves de chacun.
« L’Agora » d’Akçil Ticherfatine invente une discussion telle qu’il la rêve dans son Algérie du futur. Les interlocuteurs réunis sont une lycéenne, un vieux, un homme de foi, un démocrate, une féministe, un militant culturel, chacun abordant les sujets qui lui tiennent à cœur : « une génération qui écoute sans interrompre, qui s’écoute dans l’attention et qui agit sans hésitation pour construire dans la durée l’avenir qui fut confisqué par le passé ». On remarque toutefois que cette assemblée idyllique n’échange pas vraiment mais qu’elle est une juxtaposition de rêves « pour qu’un semblant de vivre-ensemble s’installe dans cette Algérie qui est nôtre ».
Il revient à Arab Izaar, le plus âgé, d’écrire un récit parcourant la longueur de sa vie et de celle de son entourage. Un récit classique et sympathique pour mesurer le temps écoulé et les espoirs encore possibles, sous la bannière du poète Louis Aragon, « Des rêves modestes et fous ». Il faut faire émerger un monde où le « nous » est remplacé par le « je » :
« Le crime de rêver je consens qu’on l’instaure Si je rêve c’est bien de ce qu’on m’interdit Je plaiderai coupable il me plaît d’avoir tort Aux yeux de la raison le rêve est un bandit ».
Femmes à la barre
Poursuiv cet aperçu des textes du collectif, Souad Labbize analyse les trois nouvelles de jeunes autrices, Wiam Awres, Atiqa Belhacène et Sarah Haïdra, toutes dénonciatrices du présent, avec douceur ou brutalité. La première nouvelle de l’ouvrage, La dernière danse, de Wiam Awres, commence par les yeux fermés d’Assia plongée dans un rêve. La narratrice curieuse de connaitre le contenu du rêve de son amie, évoque un enterrement mixte où le cercueil d’une grand-mère est porté par femmes et hommes se relayant, sans que le lecteur non-averti – disons une lectrice ignorant la coutume musulmane interdisant les obsèques aux femmes – puisse y déceler l’élément intrus, tant la narration n’en fait pas un fait remarquable. Nous qui avons été interdites d’obsèques dans nos sociétés, savons combien cette banale participation à la mise en terre relève de l’impensable pour la moitié de la société dont la présence au cimetière n’est pas tolérée au moment de l’enterrement. Wiam Awres commence son Algérie rêvée par le droit banal mais combien symbolique de pouvoir accompagner un(e) proche à sa tombe, processus incontournable pour initier le deuil et appréhender concrètement la perte et mieux l’accepter avec ses mystères et sa douleur. Pourquoi les femmes qui donnent la vie ne peuvent-elles pas enterrer ou accompagner un(e) enfant, une mère, un(e) aimé(e)? Nous l’ignorons, les motifs invoqués sont dérisoires, comme toute l’armada d’argumentaires justifiant les différences entre les sexes qui nient aux femmes des droits élémentaires même quand celles-ci affrontent la perte d’un(e) proche. Nous voilà, comme dans un travelling de film, allant des paupières d’une rêveuse, au cimetière lors d’un enterrement, au labo de botanique d’Alger où l’on procède à la numérisation des espèces végétales pour toute l’Afrique du Nord, en prenant en compte les noms en arabe dialectal, la derja, et le tamazight. Travelling commencé sur des paupières, rideau protégeant l’intimité d’un rêve et quittant le lit partagé par la narratrice avec l’amie endormie et suivant l’itinéraire libre d’un personnage qui l’est aussi. Oui, pour qui connait la société de la jeune autrice, il est rapide d’entrer dans le récit par la lucarne du rêve. Il y a tant de rêves à faire et refaire pour affronter le quotidien si compliqué pour tant d’Algérien(ne)s. Ce récit pose le décor improbable d’une société où une jeune femme quitte le lit conjugal laissant sa partenaire endormie au milieu de ses rêves pour marcher dans le quartier en pleine nuit, et nous lectrices ne sommes pas prises de panique. A une heure du matin, il ne lui arrivera rien, grâce à la liberté de Wiam Awres de nous promener dans son Algérie rêvée, avec la poésie et la force narrative tranquille, faisant aimer des adultes partageant leur intimité amoureuse sans que cela ne paraisse suspect. Un récit calme où des Algériennes ne rendent pas de comptes au patriarcat et ses généraux moustachus ou barbus, tout simplement parce que cette vie rêvée parait des plus banales, sorte de minimum syndical d’un pays où les femmes vivent pleinement leur vie comme si c’était un rêve. Quoi de plus ordinaire qu’une mère de famille qui tournoie seule, comme un derviche autour de lui-même, la nuit dans la rue? C’est cela l’Algérie dont nombre de femmes et de fillettes rêvent, une société faite de liberté d’aimer, de sortir la nuit, de danser seule sans que cela ne fasse « mauvais genre ». J’imagine la déception d’une lectrice non-initiée aux tabous et difficultés sociales contournées par ce récit où chaque séquence doit être expliquée comme étant une clé ouvrant une des nombreuses portes qui nous enferment, nous citoyennes vivant au cœur d’un patriarcat étouffant.
Saisie, acculée, qui ne l’est pas en commençant la lecture de la nouvelle intitulée Capharnaüm, d’Atiqa Belhacène, récit qui démarre le 49 juillet 2199, avec ce bout de journal: « (…) nous avons fini par être broyées. Fourmillant comme un million de teignes, les corps des hommes se sont entassés dans nos mémoires peuplées de lassitudes et nous ne les avons plus comptés.» J’aurais pu m’écrier cette interjection devenue familière sur les réseaux sociaux: « Oh my God! » Ces lignes ne ressemblent pas à une entrée en rêve, ce début de récit propulse dans le cauchemar en cours que l’écriture rend supportable, viable. Ce début de texte est en soi mon Algérie rêvée, celle du jeu littéraire des images qui cognent avec des gants de velours. On n’entre pas impunément dans le rêve d’autrui, surtout s’il s’agit du capharnaüm de femmes poussées vers la prostitution. « Nous n’étions pas des épaves échouées aux rivages des maisons closes quand, pour la première fois, nous avons écarté les jambes contre l’assurance de pouvoir dîner ». Il faut lire et relire les phrases du premier paragraphe pour accepter de s’asseoir dans un coin de ce récit bouleversant et attendre la suite. C’est ce que j’ai fait et dans le ravissement des images, j’ai vu passer l’horreur, des femmes, des chiens, des bébés et des hommes. « Mendiante le jour, prostituée la nuit, Manel avait négocié son vagin auprès des gardiens du jardin : contre cinq cents dinars la passe, elle avait son coin à l’aile ouest où elle pouvait allonger son bébé et s’assoupir quelques heures avant le crépuscule, les laissant à leur shit et à leurs bières ». La suite nous projette dans quelque chose de l’univers intraitable de Sofi Oksanen, autrice de l’impressionnant Purge et nous voilà à la rue, mais à Oran, en Algérie, avec la jeune narratrice, suite à un avortement non-consenti opéré par le père chirurgien : « Nous avons fui cette nuit-là, mon utérus et moi». Comment passer dans un récit d’une phrase décrivant une scène de conflit familial au tribunal où des frères tentent de déshériter leur sœur reniée – « la meute contre la putain, ils s’imaginent certainement capables de me dévorer toute crue » –, à une déclaration adoucissant soudain tout le reste du récit : « (…) la vie m’a donné ce qu’il y a de mieux dans ce monde : une vie de femme parmi les femmes » ? Ce sont les images employées par Atiqa Belhacène pour dépeindre ce capharnaüm, c’est la force de sa poésie qui allume une bougie dans les réduits où la conscience collective range ces vies-là, les prostituées.
« J’ai partagé mes gains avec rqaya en contrepartie de ses clients, et aujourd’hui, Manel a les miens, et me reverse la moitié de ses recettes ». S’agit-il d’un cauchemar ou d’une Algérie rêvée où la narratrice et les autres prostituées vivront en 2200 ?
Petit scénario d’anticipation à l’usage des tyrans commence en prison, sur des propos dénotant une grande liberté d’expression. On comprendra, à la fin du texte, que ce sont les propos de rescapées de ce mouroir. Cette « prison des glaïeuls » centre de détention pour femmes est décrite ainsi : « abri de chiennes errantes et malades ; fourrière où s’entassent les accidentées de la vie ; cimetière grillagé où palpitent encore des cœurs pleins de haine et de tendresse. Ici, nous faisons cohabiter nos démences et, devant les murailles et les miradors, danser le peu de rage qui nous reste ». La parole est donnée aux prisonnières et la conversation entre deux détenues donne à voir leur liberté de pensée et de langage. Ici aussi, les faits se conjuguent au féminin et dès les premières lignes, arrive le mot « baiser » dans la bouche d’une détenue, suivi de ce passage : « Dahbia doit commencer à sentir les électrodes du plaisir lui courir sur le corps sous les coups de langue de Kaïssa ». L’espace carcéral est un lieu certes enfermant et injuste mais les détenues y vivent l’impensable et s’expriment crûment sur des sujets habituellement tabous. « Repues d’une liberté scandaleuse, nous avons refusé de désobéir au démon ». Peu à peu, la relative liberté perçue dans le langage et l’attitude des détenues envahit l’espace textuel et le petit scénario d’anticipation du titrese précisedans une écriture serrée et une langue affranchie : « C’est de cette haine, poème sans fin et élégie noire, que je me nourris désormais, comme d’une beauté inépuisable ».
Sarah Haidar évoque le projet de révolution qui s’annonce : « On ne pouvait plus acheter le silence international à coup de ventes au rabais de la terre et des êtres ». A l’automne 2032, une révolte des femmes dont on n’a pas cherché à identifier les « coupables » a entraîné une décision arbitraire : envoyer en prison toute personne du sexe féminin de plus de 15 ans. Les détenues déjà là voient arriver ces nouvelles recrues. Elles déclenchent une grève de la faim de « trois cent vingt-cinq jours, deux heures et trente deux minutes ». Sur les « cinquante-trois-mille-deux-cent-treize détenues », il ne reste que quelques rares survivantes : « Lorsque les portes s’ouvrirent et que le premier soleil non filtré par les barbelés nous caressa les cheveux, nous n’étions plus que quelques dizaines… ». La foule les exhorte à reprendre des forces, « pour la suite… »
Une présence et une revendication : l’égalité
D’un texte à l’autre, même quand ce n’est pas le sujet central comme dans ces trois nouvelles, la présence des femmes s’impose. Dans la nouvelle futuriste de Samir Toumi, deux noms de femmes sont mis en valeur : Selma H. et Amira. Dans celle d’Hajar Bali, c’est Zohra, femme de l’ex-président déchu dont on rappelle assez longuement le combat, elle qui s’est battue « comme une lionne, pour faire abolir le code de la famille » et parcourir l’Algérie pour faire accepter les réformes. Mais dans ce smart-country, il y a aussi Atiqa, la vieille bonne dont ce président, pourtant tolérant, ne peut se passer comme tout homme qui a besoin d’une femme pour survivre au quotidien.
C’est vrai aussi dans le récit de Mohamed Larbi Merhoum, « Hamma 2034 : le fabuleux destin de Betbota » où l’héroïne annoncée dans le titre ne fait son entrée qu’aux trois quarts du récit. Dans ce texte écrit par un architecte, l’autre sujet, la réhabilitation du quartier du Hamma à Alger, tient le devant de la scène. Rappelant le soulèvement populaire du printemps 2019, le narrateur affirme : « nous avions redécouvert l’envie de rêver, de dessiner notre destin ». Après l’énumération de tous les obstacles, une amélioration de la vie politique avait su s’imposer, en neutralisant le FLN et en imposant le pluralisme, en reformatant tous les partis politiques. L’économie informelle avait pu être éliminée et les transactions financières mises au pas. Plus de médecine gratuite mais un sytème de santé réorganisé : « Nous qui militions pour rêver algérien, réfléchir algérien et donc agir algérien, étions enfin écoutés ».
C’est à la faveur de cette transformation longuement évoquée que le narrateur fait entrer en scène une nouvelle Maire élue qui a redressé la situation, aidée d’une femme, devenue architecte, au destin arraché à la misère : « Betbota, Louisa de son vrai prénom, était l’architecte de la commune. Née de père inconnu, elle avait passé son enfance dans un squat, derrière l’hôtel Sofitel ». C’est sa silhouette rondelette qui lui avait valu « le sobriquet de Betbota ». Rénovant le quartier, les deux femmes rebaptisent les rues, les places, les monuments… E le récit se termine par l’imminence d’un tournoi de football scolaire féminin où le collège laïc Kateb Yacine va jouer contre le collège musulman Benbadis.
Il nous faut parler aussi de l’attachant récit de Louisa Mankour qui raconte « L’Histoire de G. » dans un service de neurologie. Elle entraîne le lecteur dans une étude de cas, avec délicatesse et précision. On suit le parcours de cette jeune fille atteinte d’une maladie génétique et qui, même si elle ne peut être guérie, peut être améliorée, ce à quoi s’emploient les différents services de soignants. Le lecteur se laisse guider jusqu’au terme de l’histoire, rêvant de ce service performant et humain… Il tombe alors sur un « Erratum » : « Rien de s’est déroulé comme je vous l’ai raconté, tout ce qui précède est un rêve, non pas au sens onirique mais au sens utopique du terme ». Et les dernières pages sont consacrées à dire la vérité, à « ré-embobiner » cette histoire : « En réalité je ne rêve pas, je suis complètement désespérée ». Louisa Mankour a 30 ans et est neurologue dans une structure publique.
Terminons par le rêve de Habiba Djahnine, « Terre inconnue », blason de l’ensemble des textes. Il s’affirme dès ce titre comme un espoir et un mystère. Les strophes s’égrènent au rythme des interrogations que se posent tous les auteurs de ce collectif. Les deux premières sont lourdes de lucidité :
« Avons-nous un pays de rêves ? Ou un pays de fantômes ? »
Et une réponse s’énonce, non moins réaliste :
« Je ne rêve pas pour l’Algérie Année après année, j’apprivoise mes Cauchemars »
Ce long poème n’est-il que désillusion et désespoir ? Non, car il éveille au fur et à mesure de son avancée la solidarité de la lutte, la méfiance pour ne pas s’emballer inutilement. Aussi, le poème peut affirmer :
« Je rêve de mots barricades Je rêve de mots pour nous réinventer Des mots qui riment avec la liberté tant chantée Elle est si seule dans mon rêve, la liberté ! »
L’action est préférable au rêve qui apparaît comme un leurre anesthésiant :
« Je m’éloigne pour regarder le paysage Qui s’offre telle une destinée contrariée »
Pour s’élancer véritablement vers un autre horizon, faut-il « rompre avec la mémoire des morts » ? Le souvenir d’enfance vient confronter le présent à un passé, un passé où une porte s’ouvrait sur la présence rassurante du père :
« Pour croire, encore croire, que les espérances Aussi sont belles Comme une aube en compagnie du père »
Mais le présent dessine
« Une géographie des tragédies Des disparus Des disparus Des disparus »
Peut-être l’imprévu est-il en marche ? Entre question et tension vers le possible, le poème s’achève dans la lucidité de l’incertitude :
« Je marche dans un désert brumeux Chaque pas me mène vers une terre inconnue J’ignore s’il s’agit du monde des rêves J’ignore si le rêve est encore possible D’autres disent que le rêve est ce qui reste Lorsque tout est perdu Avons-nous tout perdu ? »
Courtisane et poétesse dans le Haut Atlas des années 40, Mririda a chanté dans une langue libre et belle les tourments de l’amour, dénoncé les souffrances des femmes, les abus de pouvoir des hommes et la soumission à l’occupant français.
On doit à René Euloge qui l’a aimée, d’avoir recueilli, traduit en français et publié les poèmes de Mririda dans “Les Chants de la Tassaout”.Elle aurait pu être un personnage d’un roman de Zola ou de Nagib Mahfoud. Née dans la pauvreté rustique du village de Magdaz dans le Haut Atlas, région d’Azilal où coule la rivière Tassaout, celle dont on ignore le vrai nom et la date de naissance est appelée Mririda. De ce surnom, elle parle avec fierté dans un poème “On m’a surnommée Mririda, Mririda, l’agile rainette des prés/ j’ai comme elle mes zegharit/ qu’admirent les hommes et jalousent les femmes. ”Enfant précoce, elle apprend les textes qu’elle entend chanter lors des veillées d’Ahouach.
Son idole était le grand poète et raïss Si Ali d’Ibaâqelioun.Mariée très jeune et répudiée alors qu’elle attendait un enfant dont elle avortera, Mririda crie ainsi sa douleur : “Cent poignards ont lacéré mon ventre et percé mon cœur/ dents serrés et lèvres closes, j’ai combattu mes deux douleurs/ celle de ma chair et celle de mon cœur.”Démunie, elle est contrainte de vivre de ses charmes et descend dans la vallée de la Tassaout où est installé un camp de militaires français et de goumiers. Au souk d’Azilal, elle devient une courtisane désirée de tous, mais fait rare pour l’époque, c’est elle qui choisit ses amants.
Femme libre et avant-gardiste, elle chante ses aventures sentimentales, ses joies, ses peines et ses déceptions dans une poésie originale, ardente et métaphorique. “Azrou, le bien-aimé/ si mes yeux sont pour toi le silex à étincelles/ ne vois-tu pas que la poudre est prête à s’enflammer/ et que je dénoue devant toi mes longues tresses noires ?”Un pouvoir de séduction irrésistible.
Car outre une magnifique chevelure, des yeux de jais et un sourire éclatant, Mririda possède un grand charisme, une forte personnalité et un pouvoir de séduction irrésistible. “Moi je suis belle, je sens bon et j’attire les hommes/ comme les fleurs du printemps attirent les abeilles.”Elle est sûre de sa beauté et de son ascendant sur les hommes dont elle connaît les violences et les failles.
Plus que tout, elle est “taneddamt”, poétesse dans une culture amazigh où “l’amarg” (la poésie) est souveraine et se transmet de génération en génération par le pouvoir de l’oralité et de la mémoire commune.Loin des siens, elle chante sa nostalgie : “Quand je suis seule, dans le silence et la paix/ souvent je songe au village où je suis née/ à cette heure que font ceux que j’ai laissés là-bas ?/ je me suis égarée malgré moi sur le chemin de la vie/ mais mon cœur est resté accroché aux rocs de ma vallée.”Mririda ne savait ni lire ni écrire mais savait dire et improviser dans une langue simple et sensuelle, archaïque et imagée dans un rapport quasi-païen avec la nature et ses éléments, comme dans L’arc-en-ciel : “Source des forces de Fécondité et de Résurrection/ fiancée de la Pluie, Ceinture de prospérité de la Terre/ il est si vaste le Ciel, que je ne vois jamais les bords du Tapis des Seigneurs des Monts et des Eaux.”
En avance sur son temps
Ses poèmes, elle les écrit sur la trame du vent. Elle lance dans l’espace ses chants qu’elle improvise sur les histoires du village, le combat des gens humbles pour la survie, la misérable condition des femmes comme dans Les laveuses de laine : “Si nos pauvres doigts sont ensanglantés/ demandez-en la raison aux épines qui nous lacèrent/ si nos mains sont rouges de froid/ demandez-en la raison à l’eau glacée qui nous brûle la peau /… c’est notre sort à nous, les misérables laveuses de laine/ où est celle qui oserait se plaindre ?”
En avance sur son temps, elle s’oppose à l’institution du mariage traditionnel, dénonce le machisme des hommes, l’aliénation des pouvoirs locaux à la merci de la présence française, les injustices et inégalités sociales.
Lucide sur les rapports de force elle dit : “C’est toujours ainsi en ce bas-monde/ en haut, la fortune et la force/ en bas le faible et le déshérité/ et la femme qui est toujours sans défense. ”Réfractaire à se marier avec un villageois, c’est en vers qu’elle tance ses prétendants : “Qu’as-tu donc à m’offrir contre ma liberté ?/des jours sans viande, sans sucre et sans chansons/ la sueur et la crasse des besognes pénibles/ le fumier de l’étable et l’affreuse fumée de la cuisine obscure ?/Moi je suis une fleur au parfum enivrant/ qui reçoit à son gré, la fraîcheur de la rosée et la caresse du soleil.”
Elle qui a tant chanté l’amour et ses tribulations, son amertume et ses violences, cache en secret un idéal de vie qui lui fait mépriser les hommes qu’elle côtoie : “Je les hais tous ces rustres, je les hais/ j’aurais voulu un seul homme, un seul qui m’aime et me respecte/ qui sente bon le savon et la lavande/ un mari qui m’aurait assuré le pain, les vêtements/ un foyer chaud avec de l’amour et des rires d’enfants…”Cet homme entrera dans la vie de Mririda un jour de 1927.
René Euloge, instituteur français à Demnate, est envoyé dans la vallée de la Tassaout pour des raisons semble-t-il d’études ethnographiques. Il a l’avantage de parler la langue du pays, le tachelhit. Alors qu’il se trouvait au souk d’Azilal avec un ami goumier, celui-ci lui promet “une rencontre mémorable” et l’emmène prendre le thé chez Mririda.René Euloge est envoûté d’emblée par la belle courtisane, et fasciné par la personnalité et l’esprit de la jeune femme. Ainsi commencera entre eux une belle histoire d’amour. René Euloge va sauver Mririda de sa condition d’hétaïre, l’installer chez lui et la protéger du besoin et de toute agression extérieure.
Égérie et museIl manquait à Mririda une trace écrite de l’oralité de ses poèmes. René Euloge, ayant trouvé “son égérie et sa muse” comme il l’appelait, va combler cette lacune et l’empêcher de tomber dans l’oubli. Admiratif de la beauté et de la sensualité de la poésie de Mririda autant que par sa nature révoltée et impulsive, il recueillera au quotidien et transcrira en tachelhit toutes ses improvisations. Pour l’immortaliser également, il prendra de la jeune femme les seules photos qui soient parvenues jusqu’à nous.
L’idylle de près de 10 ans est brutalement interrompue par le rappel de René Euloge dans une France frappée par la 2ème Guerre mondiale. Là-bas, il va traduire en français les 120 poèmes de Mririda et les publier dans un ouvrage intitulé “Les Chants de la Tassaout”.À la fin de la guerre, René Euloge retourne au Maroc pour retrouver Mririda et lui montrer l’ouvrage mais ne trouve sa trace nulle part.
Consterné et désespéré, il va sillonner longtemps les montagnes et les vallées de tout le Haut Atlas, en vain. La jeune femme a mystérieusement disparu et sa famille oppose un mutisme total.
René Euloge parcourra inlassablement le Maroc, cherchant Mririda dans les campements et les quartiers réservés, notamment celui bien connu de Casablanca mais toujours sans succès.Toutes les hypothèses sur cette mystérieuse disparition qui ressemble à un effacement ou à une liquidation sont possibles. Se pourrait-il que juste après le départ en France de son protecteur, Mririda ait été assassinée par sa famille dans un crime de sang pour laver leur honneur ? Châtiée par un patriote comme traîtresse vendue à un français ? L’acte vengeur d’un amant éconduit ? Comment est-elle morte et où repose son corps ?
Une omerta plane toujours sur ce mystère qui fait de Mririda une légende.Le grand public la découvre dans le film “Femme écrite” que le cinéaste marocain Lahcen Zinoun a consacré en 2012 à la rebelle qui a porté haut le verbe poétique amazigh et l’a payé de sa vie.Dans la vallée, la rivière Tassaout qu’elle a tant aimée continue de chanter inlassablement sur ses galets, Mririda…Mririda… la taneddamt…
"Grand-mère depuis qu'il est parti, Je ne songe qu'à lui et je le vois partout, Il m'a donné une belle fibule d'argent, Et lorsque j'ajuste mon haïk sur mes épaules, Lorsque j'agrafe le pan sur mes seins, Lorsque je l'enlève le soir pour dormir, Ce n'est pas la fibule mais lui que je vois!
Ma petite-fille, jette la fibule et tu l'oublieras Et du même coup tu oublieras tes tourments ...
- Grand-mère, depuis bien des jours, j'ai jeté la fibule, Mais elle m'a profondément blessé la main Mes yeux ne peuvent se détacher de la rouge cicatrice, Quand je lave, quand je file, quand je bois
... Et c'est encore vers lui que va ma pensée! - Ma petite-fille puisse Dieu guérir ta peine,!
Courtisane et poétesse dans le Haut Atlas des années 40, Mririda a chanté dans une langue libre et belle les tourments de l’amour, dénoncé les souffrances des femmes, les abus de pouvoir des hommes et la soumission à l’occupant français.
On doit à René Euloge qui l’a aimée, d’avoir recueilli, traduit en français et publié les poèmes de Mririda dans “Les Chants de la Tassaout”.Elle aurait pu être un personnage d’un roman de Zola ou de Nagib Mahfoud. Née dans la pauvreté rustique du village de Magdaz dans le Haut Atlas, région d’Azilal où coule la rivière Tassaout, celle dont on ignore le vrai nom et la date de naissance est appelée Mririda. De ce surnom, elle parle avec fierté dans un poème “On m’a surnommée Mririda, Mririda, l’agile rainette des prés/ j’ai comme elle mes zegharit/ qu’admirent les hommes et jalousent les femmes. ”Enfant précoce, elle apprend les textes qu’elle entend chanter lors des veillées d’Ahouach.
Son idole était le grand poète et raïss Si Ali d’Ibaâqelioun.Mariée très jeune et répudiée alors qu’elle attendait un enfant dont elle avortera, Mririda crie ainsi sa douleur : “Cent poignards ont lacéré mon ventre et percé mon cœur/ dents serrés et lèvres closes, j’ai combattu mes deux douleurs/ celle de ma chair et celle de mon cœur.”Démunie, elle est contrainte de vivre de ses charmes et descend dans la vallée de la Tassaout où est installé un camp de militaires français et de goumiers. Au souk d’Azilal, elle devient une courtisane désirée de tous, mais fait rare pour l’époque, c’est elle qui choisit ses amants.
Femme libre et avant-gardiste, elle chante ses aventures sentimentales, ses joies, ses peines et ses déceptions dans une poésie originale, ardente et métaphorique. “Azrou, le bien-aimé/ si mes yeux sont pour toi le silex à étincelles/ ne vois-tu pas que la poudre est prête à s’enflammer/ et que je dénoue devant toi mes longues tresses noires ?”Un pouvoir de séduction irrésistible.
Car outre une magnifique chevelure, des yeux de jais et un sourire éclatant, Mririda possède un grand charisme, une forte personnalité et un pouvoir de séduction irrésistible. “Moi je suis belle, je sens bon et j’attire les hommes/ comme les fleurs du printemps attirent les abeilles.”Elle est sûre de sa beauté et de son ascendant sur les hommes dont elle connaît les violences et les failles.
Plus que tout, elle est “taneddamt”, poétesse dans une culture amazigh où “l’amarg” (la poésie) est souveraine et se transmet de génération en génération par le pouvoir de l’oralité et de la mémoire commune.Loin des siens, elle chante sa nostalgie : “Quand je suis seule, dans le silence et la paix/ souvent je songe au village où je suis née/ à cette heure que font ceux que j’ai laissés là-bas ?/ je me suis égarée malgré moi sur le chemin de la vie/ mais mon cœur est resté accroché aux rocs de ma vallée.”Mririda ne savait ni lire ni écrire mais savait dire et improviser dans une langue simple et sensuelle, archaïque et imagée dans un rapport quasi-païen avec la nature et ses éléments, comme dans L’arc-en-ciel : “Source des forces de Fécondité et de Résurrection/ fiancée de la Pluie, Ceinture de prospérité de la Terre/ il est si vaste le Ciel, que je ne vois jamais les bords du Tapis des Seigneurs des Monts et des Eaux.”
En avance sur son temps
Ses poèmes, elle les écrit sur la trame du vent. Elle lance dans l’espace ses chants qu’elle improvise sur les histoires du village, le combat des gens humbles pour la survie, la misérable condition des femmes comme dans Les laveuses de laine : “Si nos pauvres doigts sont ensanglantés/ demandez-en la raison aux épines qui nous lacèrent/ si nos mains sont rouges de froid/ demandez-en la raison à l’eau glacée qui nous brûle la peau /… c’est notre sort à nous, les misérables laveuses de laine/ où est celle qui oserait se plaindre ?”
En avance sur son temps, elle s’oppose à l’institution du mariage traditionnel, dénonce le machisme des hommes, l’aliénation des pouvoirs locaux à la merci de la présence française, les injustices et inégalités sociales.
Lucide sur les rapports de force elle dit : “C’est toujours ainsi en ce bas-monde/ en haut, la fortune et la force/ en bas le faible et le déshérité/ et la femme qui est toujours sans défense. ”Réfractaire à se marier avec un villageois, c’est en vers qu’elle tance ses prétendants : “Qu’as-tu donc à m’offrir contre ma liberté ?/des jours sans viande, sans sucre et sans chansons/ la sueur et la crasse des besognes pénibles/ le fumier de l’étable et l’affreuse fumée de la cuisine obscure ?/Moi je suis une fleur au parfum enivrant/ qui reçoit à son gré, la fraîcheur de la rosée et la caresse du soleil.”
Elle qui a tant chanté l’amour et ses tribulations, son amertume et ses violences, cache en secret un idéal de vie qui lui fait mépriser les hommes qu’elle côtoie : “Je les hais tous ces rustres, je les hais/ j’aurais voulu un seul homme, un seul qui m’aime et me respecte/ qui sente bon le savon et la lavande/ un mari qui m’aurait assuré le pain, les vêtements/ un foyer chaud avec de l’amour et des rires d’enfants…”Cet homme entrera dans la vie de Mririda un jour de 1927.
René Euloge, instituteur français à Demnate, est envoyé dans la vallée de la Tassaout pour des raisons semble-t-il d’études ethnographiques. Il a l’avantage de parler la langue du pays, le tachelhit. Alors qu’il se trouvait au souk d’Azilal avec un ami goumier, celui-ci lui promet “une rencontre mémorable” et l’emmène prendre le thé chez Mririda.René Euloge est envoûté d’emblée par la belle courtisane, et fasciné par la personnalité et l’esprit de la jeune femme. Ainsi commencera entre eux une belle histoire d’amour. René Euloge va sauver Mririda de sa condition d’hétaïre, l’installer chez lui et la protéger du besoin et de toute agression extérieure.
Égérie et museIl manquait à Mririda une trace écrite de l’oralité de ses poèmes. René Euloge, ayant trouvé “son égérie et sa muse” comme il l’appelait, va combler cette lacune et l’empêcher de tomber dans l’oubli. Admiratif de la beauté et de la sensualité de la poésie de Mririda autant que par sa nature révoltée et impulsive, il recueillera au quotidien et transcrira en tachelhit toutes ses improvisations. Pour l’immortaliser également, il prendra de la jeune femme les seules photos qui soient parvenues jusqu’à nous.
L’idylle de près de 10 ans est brutalement interrompue par le rappel de René Euloge dans une France frappée par la 2ème Guerre mondiale. Là-bas, il va traduire en français les 120 poèmes de Mririda et les publier dans un ouvrage intitulé “Les Chants de la Tassaout”.À la fin de la guerre, René Euloge retourne au Maroc pour retrouver Mririda et lui montrer l’ouvrage mais ne trouve sa trace nulle part.
Consterné et désespéré, il va sillonner longtemps les montagnes et les vallées de tout le Haut Atlas, en vain. La jeune femme a mystérieusement disparu et sa famille oppose un mutisme total.
René Euloge parcourra inlassablement le Maroc, cherchant Mririda dans les campements et les quartiers réservés, notamment celui bien connu de Casablanca mais toujours sans succès.Toutes les hypothèses sur cette mystérieuse disparition qui ressemble à un effacement ou à une liquidation sont possibles. Se pourrait-il que juste après le départ en France de son protecteur, Mririda ait été assassinée par sa famille dans un crime de sang pour laver leur honneur ? Châtiée par un patriote comme traîtresse vendue à un français ? L’acte vengeur d’un amant éconduit ? Comment est-elle morte et où repose son corps ?
Une omerta plane toujours sur ce mystère qui fait de Mririda une légende.Le grand public la découvre dans le film “Femme écrite” que le cinéaste marocain Lahcen Zinoun a consacré en 2012 à la rebelle qui a porté haut le verbe poétique amazigh et l’a payé de sa vie.Dans la vallée, la rivière Tassaout qu’elle a tant aimée continue de chanter inlassablement sur ses galets, Mririda…Mririda… la taneddamt…
Après bien d’autres décisions du même genre qui se sont multipliés depuis notre indépendance, parfois publiquement, parfois en catimini, l’Assemble Nationale française vient de voter une loi permettant d’indemniser les harkis et de leur présenter une demande de pardon pour les avoir maltraités en les considérant comme des reclus, une honte à cacher.
Certains, comme le Général auraient bien voulu les jeter après usage et les laisser « se faire massacrer par leurs victimes »…
Qu’en faire d’autre ? A quoi pouvaient bien servir ? Sinon à cacher une triste campagne coloniale de 132 ans qui s’était mal terminée et qu’il fallait vite oublier…
Les choses ont beaucoup changé depuis 1962…
Aujourd’hui, la France multiplie les gestes d’amitié envers l’Algérie. Après avoir nié son existence avant que la France daigne la colonisée, voilà que les députés français glorifient et honorent ceux d’entre nous qui ont fait le mauvais choix.
Un peu comme si, en signe d’intime affection, il prenait à l’Allemagne de célébrer aujourd’hui à titre posthume, les « collaborateurs » pétainistes et les membres de la division « Das Reich » qui l’ont assistée entre 1940 et 1945.
La 2ème division SS a été l’une des 38 divisions de la Waffen-SS durant la Seconde Guerre mondiale, composée de volontaires et de Volksdeutsche, notamment des Alsaciens-Mosellans déclarés « malgré nous » a posteriori (pour sauver les apparences). Passons sur les copains de Joseph Darnand et tous les combattants français qui ont servi le IIIème Reich « à l’insu de leur plein gré ».
Les deux rives de la Méditerranée s’élargissent un peu plus. Et c’est tant mieux. Cela permet de clarifier les débats et les rangs. Chacun saura mieux qui est qui.
Les années Chadli ont créé une grave confusion et certains Algériens ont perdu leurs repères, y compris au sein même de nos gouvernements successifs qui ont suivi. Certains, multiplient les passeports et ne savaient plus très bien lequel présenter à la police et mettant de l’ordre dans leurs papiers et leurs identités à 10 000 mètres au-dessus des eaux de la Méditerranée, selon les circonstances et le sens du vol.
Il faudra remercier nos voisins du nord de nous avoir fait l’amitié à aider certains des nôtres à faire leurs choix pour ne plus se tromper de tombes à fleurir.Toute la question est de savoir maintenant à quelle hauteur historique vont désormais se placer ceux qui nous gouvernent aujourd’hui. Et, par-delà les gouvernements, considérer avec responsabilité nos liens avec nos amis maghrébins et africains, asiatiques et sud-américains à qui les anciennes puissances coloniales témoignent une identique amitié. Ne serait-il pas temps de se remettre debout ?
C’est à partir de la prison militaire de Blida que Guermit Bounouira, l’ancien secrétaire particulier du général Gaid Salah, a enregistré des vidéos qui ont ébranlé les fondements du haut commandement militairealgérien.
Poursuivi depuis le 11 août 2020 pour haute trahison, à peine une semaine après son extradition par la Turquie vers l’Algérie, l’ancien secrétaire particulier de Gaïd Salah vient d’être condamné à la peine capitale. Son déballage, qui a mis à nu le visage hideux de Saïd Chengriha, a visiblement provoqué une réaction de colère du patron de l’armée algérienne
On ignore tout, pour l’instant des réseaux qui ont permis à cet officier détenu dans la prison la plus sécurisée d’Algérie de faire parvenir à l’étranger, en l’occurence à Londres, pluieurs vidéos où il témoigne de l’état de corruption de l’armée algérienne
LES EXTRAITS DU TEMOIGNAGE DE GUERMIT BOUNOUIRA
« Je me présente, Guermit Boubouira secrétaire particulier de l’ancien chef d’état-major le général Gaid Salah. C’est à la volonté de Tebboune qui a dit que celui qui a des choses à dire ; qu’il le fasse. Mais, ces vidéos visent à éclairer l’opinion publique assombrie par ceux qui veulent maintenir un statu quo. C’est une volonté d’informer l’opinion algérienne à travers plusieurs enregistrements dont le premier entamé sera réservé à Chengriha.
Le début 2018, l’année qui précède le départ du pouvoir de l’ex Président Bouteflika
Il existait une corruption dévorante au sein du haut commandement de l’armée. Ce qui a poussé l’État Major militaire à procéder à l’ouverture des enquêtes sur les hauts gradés, les chefs de régions en particulier les officiers ayant des relations spéciales avec Ali HEDDAD et KOUNINEF qui aspirent avoir un contrôle sur l’armée dans le futur.
En parallèle, d’autres enquêtes ont été ouvertes sur le trafic de drogue et le commerce des armes au Sahara. Car, en dépit du renforcement des contrôles aux frontières, la présence des caméras, l’existence des tranchées et barrages mobiles, la drogue peut contourner ces obstacles grâce à la complicité des forces constituées. C’est l’ampleur du trafic qui a fait bouger l’EMG en diligentant des enquêtes au sein des unités opérant aux frontières, ordonné par le général Gaid Salah.
A la suite des conclusions de ces enquêtes, il a été ordonné de mettre à l’écart, sous forme d’éviction, les généraux Said Bey chef de la 2ème région militaire, le général Lahbib Chentouf chef de la 1ère région militaire, le général Mourad Nouba patron de la gendarmerie nationale, le général Abdezrrezak Cherif chef de la 4ème région, le général Boudouaour directeur central au MDN, le colonel Mahjoubi chef des forces opérationnelles de la 2ème région.
L’opération était un succès et très équilibrée ne touchant que les têtes. Elle n’apparaît pas comme un règlement de compte sous aucune forme. Le général Said Bey est de la Kabylie, Chentouf de l’Ouest et les trois autres sont issus de l’Est algérien qui sont Abderezzak cherif, Boudouaour, et Mahjoubi.
C’est à ce moment-là que le général Chengriha m’a contacté par peur d’être cité dans les enquêtes toujours en cours. Il avait peur de subir le même sort que les autres chefs de régions. Il était le chef de la 3ème région. Je l’ai rencontré dans le Chalet Numéro 2 de la résidence d’Etat de Sidi Feruch. Il était dans un état d’anxiété et de peur très apparent. Il m’a demandé de l’aider afin qu’il ne puisse pas être cité dans les enquêtes en cours. Il a fait valoir son âge avancé et sa maladie. Qu’il ne pouvait pas affronter de nouvelles épreuves. Il m’a dit que « le Sahara est grand et qu’il est impossible de contrôler tous les trafics ».
Je me suis intercédé auprès de Gaid Salah avec ma propre méthode. J’ai proposé à Gaid de relever Chengriha et le Général Meftah Souab du sud algérien afin de mieux savoir ce qui se passe vraiment sur les opérations de trafic de drogue et le commerce des armes. Chengriha fut transféré au CFT en 2018 et Souab à la deuxième région mais les enquêtes continuent à faire tomber des têtes sur le trafic de drogue et le commerce des armes.
L’année 2019, celle où Gaïd Salah est le patron de l’Algérie
Les résultats des enquêtes commençaient à être connues au sein des sérails qu’en juillet 2019. Plus de 31 officiers au grade de colonel de la DCSA sont directement impliqués ainsi que des officiers de la Gendarmerie nationale.
Le colonel RABIA chef de la DCSA au sein de la 3ème région militaire désigne l’implication du général Chengriha dans les opérations de trafics de drogue et des armes. Il a reconnu lors des investigations que chengriha prenait sa part dans le trafic de drogue aux frontières en informant et en protégeant les trafiquants sur les positions des barrages filtrant, des positions des forces armées ,….etc.
Explication : les trafiquants algériens demandent à leurs fournisseurs marocains de l’alimenter en grande quantité de Cannabis. Ces derniers acheminent la marchandise à la frontière algérienne. Une fois arrivée, l’ordre est donné de désactiver les caméras, de lever les barrages mobiles, de quitter les lieux où les barrières érigées constituées de foins de plusieurs mètres en hauteur sur des points déterminés de la frontière.
Les barons algériens récupèrent leur marchandise tout en ayant déjà la cartographie des points d’inspection ainsi que les barrages des forces armées (Militaires, GN, Douanes) afin d’éviter tout contrôle. Tout cela s’opère avec la complicité de la direction de la sécurité régionale de 3ème et la 6ème région afin que la marchandise soit livrée à destination en toute sécurité. Les grandes quantités de drogue inondent le marché local et africain. Au retour, les trafiquants achètent des armes type Kalachnikov sur le marché Libyens à la demande de chengriha. Ces armes seront enterrées dans des casemates. Et durant les tournées de Gaid Salah, le chef de la région 3 présente ces caches d’armées comme résultat de la lutte contre le terrorisme au Sahara.
Même au sein des Forces Terrestres (CFT), Chengriha continue à présenter ses opérations de découverte de cache d’arme comme un succès qualitatif de la politique sécuritaire de lutte contre le terrorisme. Parfois, des barons de drogue algériens, passent des commandent de drogue de mauvaise qualité auprès de leurs homologues marocains. Le même procédé est mis en place (désactiver les caméras, lever des barrages mobiles, ……) suivies d’opérations de poursuites et arrestations des subalternes. Tout ce scénario est comme le renforcement de nouveaux moyens de contrôle et de lutte contre le trafic de drogue.
Dans chaque opération, la part de chengriha est prélevé dans ce trafic de drogue et des armes au Sahara à travers les colonels Mahjoubi chef des forces armées de la 2ème région et le colonel Yahya Ali Oulhadj chef de la gendarmerie de la 3ème région militaire dirigée par Chengriha.
Des richesses colossales sont constituées par les trafiquants de drogue qui sont connus et poursuivis par la justice. Ces derniers se réfèrent au colonel RABIA chef du secteur opérationnel à Béchar pour se rendre aux autorités afin de bénéficier des lois de la réconciliation nationale en se présentant comme des terroristes qui déposent les armes (des kalachnikovs achetées en Libye). Une fois le processus de réhabilitation et d’intégration des trafiquants à la société civile sous les offices de la politique de réconciliation ils peuvent facilement blanchir l’argents cumulé du trafic de drogue et des armes dans divers secteurs comme ils ont fait FOULANI et Ghrib Lakehal qui était en prison en 2019.
Une fois que certains pseudo terroristes sont sortis de prison, Chengriha est intervenu pour leur octroyer des pompes à essence au Sahara dans le cadre de la politique de la réintégration des terroristes.Ces stations deviennent des lieux de repos pour les trafiquants afin que le marché de la drogue continue à sévir. Tout cela est transcrit dans l’enquête que le colonel Mahjoub a bien reconnu les faits. Il a mentionné le général Chengriha qui durant cette période a amassé une fortune colossale dans le trafic de drogue et la protection apportée aux trafiquants de drogue et le commerce des armes.
Chengriha a enrichi le Roi du Maroc dans ce marché de trafic de drogue qui est estimé à 25 milliards de dollars annuel selon nos investigations. Question qui reste à poser. Pourquoi les pseudos terroristes cachent-ils les armes sous terre alors qu’ils en ont besoin pour se défendre ? Quel est l’intérêt de chengriha d’exhiber ces caches d’armes et de réquisitionner des armes vétustes ?
Il était prévu d’arrêter chengriha et de le transférer à la prison militaire de Blida en 2019 précisément au mois de septembre. Mais cela coïncidait avec une période sensible des élections. Le cas de son éviction a été reporté. Ajouter à cela, les terroristes ayant bénéficié des pompes à essence se donnaient à un autre trafic celui du carburant dans le grand Sahara et le sahel. Alors qu’on limitait la consommation du carburant aux citoyens du Sahara afin de contrôler leur mobilité dans la région et circonscrire leur déplacement.
Chengriha maintenait le contact avec le colonel RABIA à travers le commandant Nassib qui est actuellement adjoint procureur. Ce dernier est l’ami intime du fils de chengriha le commandant Chafik qui vit à Paris. Nassib aménage la détention du colonel RABIA afin qu’il n’enfonce pas Chengriha en changeant sa version initiale lors des investigations ou retardé l’enquête le plus tard possible alors que les preuves sont accablantes et le dossier est très lourd.
Le juge d’instruction de Blida a voulu mettre Chengriha à l’arrêt préventif en juillet 2019 mais Gaid a reporté son arrestation après les élections car cette période était sensible (élections et pression du hirak). Ajoutez à cela, un dossier de corruption touchant chengriha, le dossier est toujours aux mains du tribunal militaire de Blida.
Après le décès de Gaid Salah, j’ai remis à chengriha les fonctions ainsi que les affaires en cours au sein de l’EMG lorsqu’il a été nommé chef d’état-major par intérim en 3 partis car il n’y avait personne qui voulait lui remettre les fonctions. Le général Atmania m’a demandé de travailler avec lui chose que j’ai refusé contenu de ce que je savais sur son implication dans des affaires de corruption et de trafic de drogue et des armes.
Chengriha m’a demandé des conseils sur ses nouvelles fonctions. Je lui ai remis les interventions de Gaid Salah de 2014 à 2019 et je lui ai demandé de poursuivre sa politique et son orientation. Il m’a demandé le suivi de son dossier sur le trafic de drogue et des armes. Je lui ai dit qu’il au tribunal militaire de Blida entre les mains du colonel BOUGUERRA.
Après la prise de ses fonctions, j’ai bénéficié de mes droits à la retraite. Mais au bout d’un mois, Chengriha me faisait convoquer par la Gendarmerie Nationale. J’ai reçu 2 convocations de GN, 2 autres de la DCSA et 2 du tribunal militaire. Son but est de m’impliquer dans des affaires. Toute accusation est bonne pour me faire taire car je connais ses dossiers et son passé noir.
Pour rafraîchir la mémoire de la candidate du LR, Henri Pouillot témoigne: « J’ai été affecté de juin 1961 à mars 1962 à la villa Susini à Alger. Cette villa a eu le ‘’ privilège’’ d’être un centre de torture qui a fonctionné pendant toute cette période.
Une vue de la villa Susini : un haut lieu de torture
La candidate des Républicains (LR), Valérie Pécresse, lors de sa première sortie dans les Bouches-du-Rhône et le Vaucluse, où l'extrême droite réalise de très bons scores, jouait à «Clint Eastwood». Quel panache? «Je vais ressortir le Kärcher de la cave. Cela fait dix ans qu'il y est et il est temps de l'utiliser. Il s'agit de remettre de l'ordre dans la rue», menaçait Valérie Pécresse, la semaine dernière dans les colonnes de «La Provence». Plus grave encore, elle poursuivra dans un point de presse: «Aujourd'hui il est temps de nettoyer les quartiers, il faut traquer les caïds, les voyous, les criminels, les dealers, ce sont eux qu'il faut harceler et punir, qu'il faut priver de leur citoyenneté». Les déclarations de la candidate à l'Élysée ne sont pas passées sans réaction en France, heureusement d'ailleurs. Ainsi, le fabricant du fameux nettoyeur, qui détient la «Marque Kärcher» à haute pression, a dénoncé, le 11 janvier dernier dans un communiqué, «des propos mal déplacés» de la candidate des Républicains, qui autilisé a plusieurs reprises «la marque Kärcher de manière inappropriée». Le fabricant, va au-delà, et exige immédiatement «des médias français de ne plus faire usage de sa «Marque» dans les sphères politiques, qui portent atteinte à sa marque et valeurs de l'entreprise». Doit-on rappeler que la présente société avait déjà fait savoir dans les colonnes de Libération «qu'elle ne veut plus être associée à la sécurisation des banlieues». Finalement, le syndrome «Sarkozy» récidive et anime le discours de la droite française. Paradoxalement, l‘ancien président de la République française et chef du parti des Républicains, Nicolas Sarkozy, fut condamné en septembre dernier «à trois ans de prison pour corruption et trafic d'influence», alors qu'il promettait aux Français «la guerre sainte» contre «la racaille», désignant les quartiers et banlieues. Savez-vous Mme la candidate que la dernière personnalité politique française qui avait parlé du «Kärcher» pour nettoyer les banlieues a fini avec un bracelet électronique, accroché au pied et assigné à résidence surveillée? On peut aussi rappeler que des personnalités influentes de cette mouvance ont eu des problèmes graves avec la justice: François Fillon, les époux Balkany et même l'homme fort du régime sarkosyste, l'ancien ministre de l'Intérieur, Claude Guéant qui est actuellement emprisonné. Où doit-on passer le Karcher? Au-delà de ces sombres histoires, on ne comprend pas pourquoi le débat politique en France se cristallise sur la question de l'émigration, avec son corollaire l'insécurité, deux sujets que les extrémistes et les populistes n'hésitent pas à lier l'un à l'autre. Faudra-t-il souffler, Mme la candidate, sur le brasier colonial et redéfinir le Français, l'Européen d'Algérie et l'indigène? Comment expliquer une panne de perspective et l'absence de renouveau politique de la droite française, 60ans après la guerre d'Algérie? Il faut dire que la crise politique se nourrit de la crise mémorielle et ses conséquences collatérales. Outre le domaine sécuritaire et l'émigration, que propose la candidate des Républicains aux Français? La polémique sur la mémoire serait-elle décidément l'apanage de la droite française? Avez-vous perdu la mémoire Mme Valérie Pécresse? Le discours de la droite française exprime la faillite mémorielle dans toute sa splendeur. Cela apparaît clairement au cours de la présente campagne présidentielle française. La devise de la République française «Liberté, Égalité, Fraternité», dont le triptyque remonte pourtant à l'année 1848, soit près de vingt ans après l'envahissement de l'Algérie par la France en 1830, a cédé allègrement le pas au fameux principe de Pascal «Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà», pour faire en sorte que les «vertus» qu'elle prétend colporter à travers le monde soient nulles et non avenues au-delà de la Méditerranée. La rhétorique amère et rancunière autour de la perte de «l'Algérie française» anime le discours de la droite et son extrême. «En Algérie, il y a eu effectivement des exactions, il y a eu des pages sombres de l'histoire de France qui ont été écrites, mais crimes contre l'Humanité, c'est ce qu'on reproche aux nazis et à Hitler, et je ne pense pas qu'on puisse parler de crimes contre l'Humanité», avait déclaré le 3 janvier dernier, Valérie Pécresse. Et elle ajoutera, présidente de la République, elle fera «appel à l'Armée» pour assurer l'ordre dans les quartiers...etc en France. Ces propos ne sont pas sans écho auprès des Français, dont la mémoire est encore vivace. Appelé pendant la guerre de libération de l'Algérie, Henri Pouillot, auteur de: «La villa Susini - Tortures en Algérie, un appelé parle», a, dans une lettre ouverte datée du 5 janvier dernier et adressée à Valérie Pécresse, souligné: «Je dois dire que je suis inquiet qu'une candidate à la présidence de la République puisse déclarer une telle énormité». Pour rafraîchir la mémoire de la candidate du LR, Henri Pouillot témoigne: «j'ai été affecté de juin 1961 à mars 1962 à la villa Susini, à Alger. Cette Villa a eu le «privilège» d'être un centre de torture qui a fonctionné pendant toute cette période (d'autres centres de torture à Alger n'ont fonctionné que quelques mois ou quelques années). C'est là que Jean-Marie Le Pen s'est «remarquablement» distingué pendant la bataille d'Alger, faisant disparaître, selon les rumeurs, des corps dans des cuves d'acide. La Légion étrangère avait «abrité» de nombreux SS qui s'y étaient réfugiés pour échapper aux jugements, mais qui ont mis en oeuvre leur expérience et formé des tortionnaires français». Relisez «La Question» d'Henri Alleg! On peut aussi conseiller à la candidate des Républicains de lire «la Question» d'Henri Alleg publié en 1958, qui dénonce la torture pratiquée pendant la guerre d'indépendance par certains éléments de l'armée française et dont l'auteur fut la victime. C'est à l'arrivée de Nicolas Sarkozy en 2005 que les débats sur le fait colonial gagnent l'espace public et officiel, et ils l'occupent à ce jour. Ainsi, loi sur les rapatriés du 23 février 2005, mentionnant le «rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord», a été adoptée par les Républicains. Les nostalgiques de la grandeur de la France coloniale persistent à glorifier la mission de civilisation portée alors par l'Empire. Êtes-vous Mme la candidate des Républicains amnésique ou tentée par le négationnisme? Au fond et pour conclure, la citation qui suit résume en quelques mots toute l'ambiguïté de la position de la France. Mouloud Mammeri disait, en s'en prenant au discours de l'Europe des Lumières, dans son roman «Le Sommeil du juste»: «Le Contrat social. Discours sur l'inégalité. Les Châtiments. Jaurès. Auguste Comte. Ha! Ha! Mesdames et Messieurs, quelle blague! Quelle vaste blague! Quelle fumisterie! Tout ça, c'est pour eux, ce n'est pas pour des Imann! (les indigènes)». Les milliers nord-africains, qui avaient servi de chair à canon pour libérer la France contre les nazis, se sont-ils sacrifiés pour que vous; vous osiez dire n'importe quoi? De Gaulle et Pompidou ont travaillé à l'aménagement du territoire, à la création de l'Europe, Giscard d'Estaing a oeuvré pour moderniser le pays. Sous les mandats de Jacques Chirac, peu de réformes ont été réalisées, mais un mot d‘ordre persistait: pas de compromission avec l'extrême droite. Ironie de l'histoire: le parti du général de Gaulle, de Georges Pompidou et de Jacques Chirac, colle désormais aux idées des extrémistes. Il semble que les idées de Jean-Marie Le Pen ont germé et fleurissent sur la terre de la Révolution française, mère présumée des droits de l'homme. La digue sanitaire infranchissable entre la droite et son extrême, réaffirmée au lendemain du premier tour de l'élection présidentielle française de 2002 par Jacques Chirac a sauté. Il était le dernier rempart contre le Front national. Il avait refusé de débattre avec Jean-Marie Le Pen, au deuxième tour de la course à l'Élysée? Mais, depuis, les barrières entre la droite et son extrême semblent être brisées. On ne comprend plus qui est qui. En France, une conjoncture de «crise mémorielle» s'est enclenchée au début des années 2000, qui a brouillé les frontières entre ces espaces de controverses et a modifié les logiques de prises de parole et de prises de position qui leur étaient inhérentes. Fruits d'alliances tactiques ou du partage inaperçu d'enjeux et de langages de dénonciation, des fronts communs, incompréhensibles à l'aune des dynamiques polémiques antérieures, se sont ainsi dessinés», analyse l'historien français, Romain Bertrand. L'insécurité et l'émigration, voire les questions mémorielles, qui étaient autrefois des sujets périphériques au discours de la droite française dans ses campagnes électorales, deviennent, aujourd'hui malheureusement, les mamelles nourricières de son discours. Les réformes économiques, politiques, sociales...etc. s'effacent dans le discours des Républicains et cèdent la place au populisme notoire, voire vulgaire, depuis au moins une décennie.
Tramor Quemeneur est un historien français historien spécialiste de la guerre d’Algérie. Il est membre de l’équipe de l’Ihtp-Cnrs (Institut d’histoire du temps présent), sa thèse de doctorat, soutenue en 2007, est intitulée Une guerre sans non? Insoumissions, refus d’obéissance et désertions de soldats français pendant la guerre d’Algérie . Il s’agit d’un travail de recherche fouillé sur les quelque 15.000 jeunes Français qui ont été insoumis, déserteurs ou objecteurs de conscience pendant la guerre d’Algérie. Il a dirigé le manuel 100 fiches d’histoire du XXe siècle (Bréal, 2004 et 2009) et a participé à plusieurs ouvrages collectifs, notamment La Justice en Algérie : 1830-1962 (La Documentation française, 2005), La Guerre d’Algérie: 1954-2004, la fin de l’amnésie (Robert Laffont, 2004), Hommes et femmes en guerre d’Algérie (Autrement, 2003) et Militaires et guérilla dans la guerre d’Algérie (Complexe, 2001). Aux éditions des Arènes, il a publié, avec Benjamin Stora, Algérie 1954-1962 et en 2011 avec Slimane Zeghidour L’Algérie en couleurs: 1954-1962, photographies d’appelés pendant la guerre. Tramor Quemeneur est également coorganisateur du colloque Oppositions intellectuelles à la colonisation et à la guerre d’Algérie , avec l’anthropologue Tassadit Yacine, qui s’est tenu du 20 au 22 du mois en cours. Deux jours durant, la Bibliothèque nationale François Mitterrand et l’Institut du Monde arabe à Paris affichaient complet. Les thèmes et les intervenants méritent le déplacement et de leur prêter attention. C’est un premier colloque de grande ampleur. Et même si certaines figures, connues et reconnues pour leur engagement contre le colonialisme et la guerre d’Algérie, s’affichaient aux bancs des absents dans le tableau du programme et des thématiques traitées par le colloque, il demeure néanmoins que l’initiative de l’historien Tramor Quemeneur et de l’anthropologue Tassadit Yacine est à saluer. Car, à travers ce colloque, Quemeneur assure : «Nous avons ainsi voulu mettre la lumière sur ces premières oppositions et critiques du système colonial».
L'Expression: Un colloque qui convoque de grandes figures à l'image de Raymond Aron, Germaine Tillion, Frantz Fanon, Gisèle Halimi, Albert Camus, Simone de Beauvoir, Isabelle Eberhardt, Paul Ricoeur... C'est une première non?
Tramor Quemeneur: En effet, il n'y a jamais eu de colloque présentant toutes ces grandes figures qui, d'une manière ou d'une autre, ont critiqué ou se sont opposées à la colonisation ou à la guerre d'indépendance. Auparavant, il y avait eu uniquement des colloques présentant les grands courants de pensée. Le premier grand colloque, qui dépassait le seul cadre des intellectuels mais où l'on retrouvait certaines de ces figures, avait eu lieu à Alger en 1984. Il y avait ensuite eu deux colloques de l'Institut d'histoire du temps présent (Ihtp) du (Cnrs) à la fin des années 1980, en particulier celui sous la direction de Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli. Il y a eu aussi des travaux sur tel ou tel intellectuel, ou tel ou tel courant, mais jamais un tel regroupement de parcours, d'idées, de pensées. De plus, nous avons aussi voulu ouvrir sur une dimension longue: ce n'est pas seulement pendant la guerre d'indépendance que l'opposition a existé, mais c'est depuis le début de la colonisation. Or, cette dimension n'est généralement pas abordée. À tout le moins, elle est beaucoup moins connue. Nous avons ainsi voulu mettre la lumière sur ces premières oppositions et critiques du système colonial. Enfin, nous avons également voulu mettre en avant la dimension internationale. Les oppositions intellectuelles n'ont pas seulement concerné les Français et les Algériens, mais aussi les Européens, les Africains, le monde entier. Nous avons ici donné quelques exemples d'oppositions dans une dimension comparatiste et internationale. Il y aurait encore beaucoup à faire, mais il y a déjà 34 intervenants en deux journées de colloque. C'est énorme. Jamais nous n'aurions pensé cela. Et encore, il y avait encore tant d'autres figures que nous aurions voulu mettre en avant...
C'est une activité à la fois scientifique et mémorielle. Ne faut-il pas à votre avis multiplier de pareilles initiatives pour extraire ce dossier des mains des politiques? En effet, nous avons besoin de telles initiatives scientifiques, des deux côtés de la Méditerranée. Les historiens, les chercheurs et bien entendu les étudiants doivent pouvoir travailler ensemble. Cela me paraît nécessaire. Je suis justement heureux de voir l'engouement que ce colloque suscite: il existe, je crois, une véritable attente sociale pour mieux connaître l'histoire franco-algérienne, dans toute sa complexité et sa richesse. Il y a 25 ans environ, je commençais une thèse d'histoire sous la direction de Benjamin Stora sur les désobéissances de soldats français dans la guerre d'Algérie. Eux aussi s'opposaient à la guerre. Mais leurs parcours sont encore beaucoup trop méconnus de part et d'autre de la Méditerranée. Il en est de même en ce qui concerne les intellectuels. Il faut montrer que la colonisation était un phénomène qui n'allait pas de soi, en France même. Des voix se sont toujours élevées pour critiquer ce phénomène: nous pouvons parler d'Ismaÿl Urbain par exemple, saint-simonien métis d'origine guyanaise, ou encore d'Isabelle Éberhardt. Mais des personnes comme Alexis de Tocqueville ont aussi porté des critiques sévères contre le système colonial. Il ne faut pas les occulter et au contraire les mettre en avant. La critique de la colonisation a existé de tout temps, ce qui n'a malheureusement pas empêché qu'elle perdure.
Quels sont les principaux objectifs visés par ce colloque qui s'annonce de bon augure, et qui plus est intervient après le dégel de relations entre Alger et Paris? Parler de ces intellectuels qui ont jeté des passerelles, tissé des liens, construit des ponts entre nos deux peuples au moment où les relations entre Alger et Paris se dégèlent tombe en effet à point nommé. Si toute l'histoire de la colonisation française doit être traitée sans fard, il ne faudrait pas non plus oublier ce qui rapproche nos deux peuples. Ces intellectuels en font partie. Il faut leur rendre un juste hommage.
Des observateurs avisés, notamment sur le Net se posent la question: pourquoi oublier les faiseurs d'opinion comme Mohamed Dib, Jean Lacouture, Jean-François Kahn, Henri Alleg, Henri-Irénée Marrou, Albert-Paul Lentin, même si des lectures de certains auteurs ont été programmées? Certains faiseurs d'opinion n'apparaissent pas nominativement dans les intitulés des interventions, mais il en est beaucoup question pendant le colloque! C'est le cas d'Henri Alleg ou encore de Jean-Paul Sartre par exemple. D'autres n'apparaissent pas car ils étaient encore trop jeunes. Ils sont devenus des intellectuels reconnus après la guerre d'Algérie. Tel est notamment le cas de Jean-François Kahn ou encore de Pierre Bourdieu, dont nous commémorons aussi le vingtième anniversaire de sa disparition. J'aurais voulu ouvrir tout un panel sur ces «amis de l'Algérie» de l'après-indépendance. Mais nous étions vraiment pris par le temps: il aurait fallu trois jours de colloque, ou alors ouvrir un séminaire de plusieurs années, mais ce n'était pas possible! Il est certain qu'il faudra poursuivre les travaux: le processus engagé ne doit pas s'arrêter. Tout ce que j'espère, c'est qu'il aura la possibilité d'un cadre pour pouvoir le faire, que des chercheurs français et algériens, mais aussi d'autres nationalités, continuent de se rencontrer pour traiter de ce sujet.
Les mêmes observateurs s'interrogent également sur la place réservée à Jacques Soustelle, Alexis de Tocqueville, Albert Camus, etc. dans un colloque consacré aux oppositions intellectuelles contre la colonisation et la guerre d'Algérie? J'ai en effet lu des critiques sur Jacques Soustelle ou Albert Camus. Mais il faut montrer aussi les ambiguïtés de certains intellectuels, leurs évolutions, voire leurs revirements. Considérer que les intellectuels sont réductibles à une seule position qui les résume est une erreur manifeste. C'est une pensée anhistorique. Albert Camus a critiqué les conditions de vie dans lesquelles vivaient les Algériens pendant la colonisation, a dénoncé les massacres du 8 mai 1945, ou encore a appelé à protéger les civils, pour ensuite se taire et refuser de prendre position dans le conflit algérien jusqu'à sa mort accidentelle le 4 janvier 1960. Il faut aussi aborder ce type de positionnement. Il en est de même pour Jacques Soustelle: comment un homme de gauche vire-t-il en faveur de «l'Algérie française» et de l'OAS? Inversement, comment un homme ou une femme de droite en viennent-ils à être favorables à l'indépendance? Ce sont des parcours qui sont intéressants à comprendre. Les occulter sous le prétexte qu'ils ne sont pas assez «purs» ou «irréprochables» serait une erreur. Le travail intellectuel exige justement de creuser les complexités, les ambiguïtés, les particularités, les contradictions. Ce serait vraiment dommage de ne voir que cela et condamner l'ensemble du colloque, qui traite de Frantz Fanon, de Jean-Paul Sartre, de Francis Jeanson et des «Porteurs de valises», du «Manifeste des 121», des avocats anticolonialistes, des écrivains comme Kateb Yacine, des peintres qui se sont opposés à la guerre et à la colonisation.Ce serait - je trouve - une dramatique erreur. Qu'un tel colloque puisse se dérouler en France sur ce sujet est une chance extraordinaire. Ne gâchons pas notre plaisir.
Beaucoup d’intellectuels français ont soutenu le peuple algérien dans sa lutte
La guerre d'Algérie est aussi l'aboutissement de l'engagement des intellectuels français, connus ou anonymes, qui se sont mis du côté du Front de Libération nationale (FLN) et ont emprunté la voie du peuple algérien en lutte pour le recouvrement de son indépendance. Ces opposants intellectuels se sont exprimés contre le colonialisme et la guerre d'Algérie et ont condamné leur propre pays. Certains l'ont déjà fait avant le déclenchement de la guerre de Libération. Ils ont défendu un pays qui n'était pas le leur, tout en sachant le châtiment qui leur était réservé. Pourtant, cet engagement exige de se détacher de sa condition et requiert un immense courage. André Mandouze est de cette espèce.
Accusés de traîtrise Professeur à la faculté des lettres à Alger, André Mandouze, menait une vie parallèle de journaliste et signait, dès l'aube de la révolution, plusieurs articles pour dénoncer le colonialisme français et tirer la sonnette d'alarme sur la situation réelle de l'Algérie. Il titrait, quelques jours avant le déclenchement de la Révolution, dans la revue Consciences maghrébines au numéro d'octobre-novembre 1954, Sous le signe de la contradiction. Au secours, messieurs: l'Algérie est calme. Pour ajouter dans le bimensuel: Qui mettra fin aux deux formes de terrorisme autorisé: la police et la presse? En France, autant les politiques que les médias étaient unanimes pour traiter les insurgés de «terroristes». Alors que le ministre de l'Intérieur de l'époque, François Mitterrand, proclamait: «L'Algérie, c'est la France», André Mandouze répliquait, de manière virulente, dans le même article: «Ceux qui nient qu'il y ait un problème algérien répètant: '' L'Algérie, c'est la France ‘', sont ou des ignares ou des gredins.» Toutefois, le professeur à la faculté des lettres d'Alger paya lourdement son engagement pour la cause algérienne. Ainsi, il est arrêté et emprisonné, à la fin de l'année 1956, à cause de son activité en faveur du FLN et accusé «d'entreprise de démoralisation de l'armée ou de la nation ayant pour but de nuire à la Défense nationale». Pour mémoire: alors que la torture, les pendaisons et la guillotine étaient systématiquement pratiquées dans les geôles contre les Algériens, François Mitterrand était ministre d'État de la Justice dans le gouvernement de Guy Mollet. Les liquidations physiques et la torture systématique pratiquée par l'armée française sur les prisonniers algériens avaient eu des répercussions considérables sur la remise en question de la présence française en Algérie, aussi bien en France qu'à l'international. La pratique de la torture est ainsi révélée par Henry Alleg dans son livre La Question, qui va soulever une grande polémique et qui sera interdit de publication en France. Selon le témoignage de Roland Rappaport, avocat d'Henry Alleg, le manuscrit La Question, livre paru aux éditions de Minuit en 1958, saisi et interdit, «a été écrit sur du papier toilette, alors que l'auteur était incarcéré à la prison Barberousse d'Alger, et subtilisé à l'extérieur feuille par feuille pour sa publication», ce qui est en soi un extraordinaire exploit de lutte pour la cause algérienne. La Question et les révélations sur la réalité de la torture en Algérie et l'ignominie avec laquelle sévissait l'armée française. Le débat est enfin ouvert. Deux mondes s'opposent. Celui de la noblesse de cette vieille Europe blanche, majoritairement chrétienne, qui s'autoproclame détentrice de la vérité et oeuvrant pour le bien humain, et celui des indigènes en plein éveil qui maintiennent leur résistance, tout comme l'avait fait cette courageuse minorité française pendant la Seconde Guerre mondiale contre l'envahisseur allemand. Ainsi, de nombreux intellectuels français en métropole décident alors de s'unir et de soutenir le FLN dans sa lutte. Des personnalités françaises du monde journalistique et de l'édition parlent de «Gestapo d'Algérie». Le général Pâris de Bollardière démissionne de l'armée française, parce que les pratiques des hommes de Massu-Aussaresses-Bigeard réveillaient en lui avec horreur le souvenir des atrocités commises par les nazis. Dans un ouvrage intitulé Contre la torture, l'écrivain-journaliste Pierre-Henri Simon s'interroge avec consternation: «Sommes-nous les vaincus de Hitler?» De son côté, le directeur du quotidien Le Monde, Hubert Beuve-Méry, écrit, dans son éditorial du 13 mars 1957, sous le pseudonyme de Sirius: «Dès maintenant, les Français doivent savoir qu'ils n'ont plus tout à fait le droit de condamner dans les mêmes termes qu'il y a dix ans les destructeurs d'Oradour et les tortionnaires de la Gestapo.» Quelques journaux paraissant à cette période, à l'exemple de France-Observateur, Témoignage chrétien, le quotidien Le Monde, tout en bravant la censure et les poursuites judiciaires, dénonçaient la torture, passant de leur position initiale du refus de la guerre au soutien à l'indépendance de l'Algérie.
Médias et partis politiques dénoncent À partir de 1957, en pleine bataille d'Alger, Le Canard enchaîné, L'Express, Le Nouvel Observateur, Libération, L'Humanité et Le Monde font un rigoureux travail d'information en mettant en exergue, méthodiquement, les sévices infligés aux Algériens. On découvre ainsi dans diverses dépositions et témoignages, les atrocités des sévices commis par l'armée française en Algérie. «Monsieur le président, en langage militaire on dit: «faire du renseignement´´, en langage du monde on dit ´´presser de questions´´, en français on dit ´´torturer´´. Je déclare, sous la foi du serment, et personne en arrière de cette barre n'osera me contredire, que le lieutenant Godot, comme des centaines de ses camarades, a reçu l'ordre de torturer pour obtenir des renseignements. J'ignore le rang et le nom de l'autorité la plus élevée qui a donné cet ordre, dont on ne trouvera d'ailleurs aucune trace écrite. Mais je sais que pour la 10e division parachutiste où servait Godot, c'est sous l'autorité du général Massu que cet ordre a été répercuté aux exécutants», écrit l'historien, Pierre Vidal-Naquet. Ce témoignage est frappant par sa dénonciation de la «légitimation» de l'horreur et la «normalisation» de la torture. La torture était devenue une pratique établie dans les interrogatoires. En France, le Parti communiste s'agitait et dénonçait l'outrage fait aux principes de la liberté dont la France se targuait d'être la plus loyale et fidèle représentante sur la scène internationale. L'image de «grandeur» de la France, dont le général de Gaulle se faisait l'apôtre est définitivement ternie. Cette agitation est maintenue dans les questions du jour par le Parti communiste français (PCF) en relation avec le Parti communiste algérien (PCA) alors interdit. En métropole, Francis Jeanson et sa femme Colette avaient publié leur en 1955 leur livre L'Algérie hors-la-loi, un véritable pamphlet anticolonial, qui devient «le bréviaire des révolutionnaires français», pour reprendre les termes du journaliste Jean Daniel, cité par Hervé Hamon et Patrick Rotman, dans leur publication Les Porteurs de valises, La Résistance française à la guerre d'Algérie. C'est avec l'aide de ses amis qu'il fonda le célèbre «Réseau Jeanson», une structure composée de militants gauchistes sympathisants de l'Algérie libre, qui participera activement dans la lutte, grâce à ses «Porteurs de valises» qui transportaient de l'argent et des papiers importants pour le FLN. Leur combat aux côtés des Algériens est aussi une longue histoire de prises de position et de vulgarisation de la réalité algérienne, qui ne correspondait pas aux clichés officiels, et de batailles intellectuelles, âpres et incessantes, exprimées et conduites avec un engagement qui n'a jamais failli, pour accompagner le peuple algérien dans son mouvement d'émancipation. Certains de ces intellectuels ont été condamnés par la justice française pour «traîtrise», jugés sommairement puis exécutés ou jetés en prison. Maurice Audin, qui ne représente pour les jeunes générations que le nom d'une place au coeur d'Alger, était enseignant à la faculté d'Alger et militant de la cause algérienne. Il a été arrêté par l'armée française le 11 juin 1957, lors de la bataille d'Alger, et assassiné pour son implication dans la guerre de Libération. Pour l'historien Pierre Vidal-Naquet, Maurice Audin est «mort pendant son interrogatoire».
«On l'a tué au couteau» De son côté, le général Aussaresses confirme, au début des années 2000, dans son entretien avec le journaliste Jean-Charles Deniau, «avoir donné l'ordre de tuer Maurice Audin. On l'a tué au couteau pour faire croire que c'était les Arabes qui l'avaient tué». Puis fut publiée la Déclaration sur le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie, plus connue sous le nom de Manifeste des 121. En septembre 1960, ils furent 121 écrivains, universitaires et artistes français, à le signer, parmi lesquels Simone de Beauvoir, André Breton, Marguerite Duras, Claude Lanzmann, Jean-Paul Sartre, Vercors et Pierre-Vidal Naquet. Ils ont été 240 personnalités à signer la seconde édition pour informer par des critiques très acerbes, à travers leur manifeste, l'opinion nationale française et internationale quant à la réalité de la guerre d'Algérie. Ils soutenaient fermement le peuple algérien dans sa lutte pour son indépendance: «La population algérienne opprimée» ne cherche qu'à être reconnue «comme communauté indépendante». C'est aussi grâce aux signataires de ce Manifeste que le fossé s'est aggravé entre la métropole, le pouvoir politique et les Français d'Algérie, qui commençaient à se détourner du général de Gaulle qu'ils accusaient de les avoir trahis.
L’ouvrage de l’historienne Saphia Arezki nous plonge dans l’histoire de la formation de l’armée algérienne, depuis la guerre de libération à l’orée des années 1990, au-delà des clichés et des théories du complot.
Sortie de la première promotion d’officiers algériens à l’académie militaire de Frounzé à Moscou, décembre 1964. Parmi les jeunes officiers, les futurs généraux Lakehal Ayat, Larbi Belkheir, Khaled Nezzar, Mostefa Beloucif, entre autres (archives privées/éditions Barzakh)
Dans un pays où l’armée est considérée comme la colonne vertébrale du système politique, la parution, fin 2018, d’un livre sur l’histoire de l’Armée nationale populaire (ANP) et de sa formation depuis la guerre de libération (1954-1962) suscite intérêt et curiosité.
Tabou réputé « inétudiable », pour reprendre de le terme de la jeune chercheuse, Saphia Arezki, auteure de l’ouvrageDe l’ALN à l’ANP, la construction de l’armée algérienne 1954-1991, paru aux éditions Barzakh, l’armée algérienne nourrit fantasmes et surreprésentations.
Centre absolu du pouvoir algérien occulte, contrôlé exclusivement par une caste issue de l’Est algérien (le fameux triangle BTS – Batna-Tébessa-Souk Ahras, dans les Aurès), noyauté par d’affreux déserteurs algériens de l’armée française qui composeraient un puissant lobby secret pro-français, etc : la « grande muette » rend prolixes les commentateurs depuis l’indépendance du pays et même bien avant.
Que sa naissance ait précédé l’instauration de l’État algérien post-1962 fait d’elle une sorte d’ADN du système politique algérien dont analystes et chancelleries étrangères s’attèlent à en décoder le génome.
Or, ici, le travail de la chercheuse s’obstine à construire une approche scientifique autour de la formation de l’armée algérienne en plein conflit anticolonial, décrivant stratégies et rationalités palpables à travers des archives et des récits de vie, pour déboucher sur une continuité qui sous-tend des enjeux actuels.
Que sa naissance ait précédé l’instauration de l’État algérien post-1962 fait de l’armée une sorte d’ADN du système politique algérien
Dans sa préface, l’historienne Malika Rahal décrit le challenge d’une telle approche, inédite. « Couvrant une période longue, l’auteure tisse finement les connexions entre pré et post 1962. L’on voit par exemple les logiques de formation dans l’ALN pour saisir qu’elles ne sont pas seulement orientées vers la guerre d’indépendance – alors même que c’est l’urgence –, mais aussi vers la formation d’une armée pour l’Algérie indépendante ».
Middle East Eye : Comment cela a-t-il été possible de mener votre étude sur les récits de vie d’officiers algériens ? Pourquoi avoir ciblé ce sujet ?
Saphia Arezki : Le choix de travailler à partir des trajectoires d’individus est lié à la façon dont je suis « tombée » sur ce sujet. Je devais construire, dans le cadre d’un exercice universitaire de licence, sur une base de données.
Je lisais à la même période un livre recensant un certain nombre de chefs de région militaire. L’idée m’est alors venue de faire une base de données de ces militaires. Les premiers résultats étant intéressants, j’ai décidé d’approfondir ce travail dans le cadre d’un master de recherche en histoire que j’ai ensuite poursuivi en thèse.
L’une des raisons qui peut expliquer la persistance de ces mythes est qu’il n’y a jamais eu de travail de recherche rigoureux sur le sujet
Ainsi, ce sont les vies et les trajectoires de ces hommes qui, dès le départ, ont été au cœur de mes recherches. Je pense en effet qu’il est important d’incarner les hommes qui ont construit et façonné l’armée algérienne.
MEE : Des mythes (les officiers « français » de l’ANP, le triangle BTS, la surpuissance politique des militaires, etc.) ont été décortiqués par votre travail pour les rationnaliser : pourquoi ont-ils tellement persisté dans la doxa politique algérienne ?
SA :L’une des raisons qui peut expliquer la persistance de ces mythes est qu’il n’y a jamais eu de travail de recherche rigoureux sur le sujet, l’armée algérienne étant perçue comme une institution opaque et inaccessible, voire « inétudiable ».
De ce fait, cela laisse libre court aux spéculations et aux fantasmes qui se répandent sans jamais être réellement remis en cause ou interrogés. De plus, cela renforce les idées de surpuissance et de complot qui ne sont jamais très loin dès que l’on évoque l’ANP.
Enfin, il y a un manque d’histoire après 1962 en Algérie. Celle-ci n’a pas encore été écrite ou très peu. Ainsi, toutes les théories relatives à ces sujets, à première vue sensibles, ont pu se développer sans être discutées de manière rigoureuse et dépassionnée.
Il y a de la matière et la possibilité de faire de l’histoire, même si des zones d’ombre persistent
On pense souvent que toutes les archives sont inaccessibles tant en France qu’en Algérie (même s’il est vrai que l’accès aux archives nationales d’Alger est extrêmement complexe) et qu’il est donc impossible d’écrire l’histoire de l’Algérie après 1962. C’est faux.
Même s’il manque des données, même s’il n’y a pas d’archives relatives à l’armée après 1962 en Algérie, il y a de la matière et la possibilité de faire de l’histoire. Même si des zones d’ombre persistent, ce n’est pas impossible et c’est aussi ce que j’ai voulu montrer par ce livre.
MEE : La figure de Houari Boumédiène reste centrale dans la constitution et l’organisation de cette armée pendant et après la guerre de libération : quelles étaient les motivations qui l’ont poussé à entamer une telle démarche ?
AS :Est-ce lui qui a entamé cette démarche ou bien a-t-il été nommé à des postes qui lui ont permis de mettre en œuvre la structuration des forces de l’ALN stationnées aux frontières ? D’après mes recherches, c’est plutôt la seconde proposition qui est correcte.
Boumédiène a été, si vous me permettez l’expression, « au bon endroit, au bon moment », il est monté dans la hiérarchie de l’ALN à l’ombre de Boussouf (le fondateur des services secrets algériens) avant d’être nommé à la tête du Comité d’organisation militaire (COM Ouest) en 1958 où il a fait ses preuves, ce qui lui a permis deux ans plus tard d’être désigné à la tête de l’état-major général, devenant progressivement le chef de toutes ces forces.
Boumédiène a été « au bon endroit, au bon moment »
C’est là qu’il a pu mettre en place une politique efficiente de formation et de réorganisation des troupes de l’ALN (création des zones nord et sud, mise en place de bataillons le long de la frontière, etc.).
Quelle était la part d’ambition ? À quel moment a-t-il compris que celui qui aurait ces forces militaires sous ses ordres aurait un avantage décisif une fois l’indépendance acquise ? Je n’ai pas assez de sources pour répondre à cette question même s’il est bien évident que celle-ci a joué un rôle.
MEE : Apparemment, chaque crise que traverse l’ANP contribue paradoxalement à la renforcer. Pourquoi ?
AS : Tout dépend ce que vous qualifiez de crise. Je montre effectivement que les trois crises majeures qui secouent l’ANP au lendemain de l’indépendance en 1964 avec l’affaire Chaabani, le 19 juin 1965 (exécution d’un important officier de l’ALN par le président de l’époque Ahmed Ben Bella) et lors de la tentative de coup d’État de Tahar Zbiri en 1967 ont permis de renforcer l’ANP qui était une institution dont la cohésion était loin d’être gagnée en 1962.
Il me semble que le risque de voir cette institution éclater a permis de mettre en sourdine les velléités contestataires qui pouvaient couver. L’union de l’institution primant sur le reste.
MEE : Est-ce facile d’insérer une approche académique et rationnelle dans le champ des discours autour de l’armée en Algérie (ou ailleurs) ?
AS :Contrairement à ce que l’on pourrait croire – à ce que l’on m’a souvent dit lorsque j’ai entamé ces recherches –, l’armée algérienne peut être étudiée de manière académique et rationnelle, tout dépend des questionnements auxquels on cherche à répondre.
Il est important d’écrire l’histoire de cette institution afin de déconstruire les nombreux mythes qui l’entourent mais surtout de mieux comprendre son fonctionnement interne.
MEE : Quelle a été la réception de votre livre en Algérie ?
AS : Le livre est sorti il y a un peu plus de deux mois, c’est encore un peu tôt pour pouvoir répondre à cette question. Je peux simplement vous dire que les gens sont curieux et, surtout, le public intéressé par mon livre est très divers, cela me paraît très important.
Lors de discussions avec les lecteurs, je sens bien que l’armée et le fait qu’on puisse l’étudier et publier un ouvrage à son sujet suscitent de nombreuses interrogations.
On m’a par exemple demandé à plusieurs reprises si l’armée avait lu mon livre et donné son autorisation pour sa publication. Les gens étaient alors presque étonnés lorsque je répondais que seules mon éditrice et moi avions lu le livre et que l’armée n’avait pas eu son mot à dire.
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