Henri Zajdenwerger est un survivant de la Shoah. Les propos d’Eric Zemmour visant à réhabiliter Pétain, il les ressent comme une gifle à l’encontre de son histoire et de celle toute sa famille. Il raconte.
Eric Zemmour et Henri Zajdenwerger. (MONTAGE « L’OBS » : UGO AMEZ/SIPA - LOUIS MORICE)
Quand Henri Zajdenwerger a entendu Eric Zemmour affirmer que Pétain « a protégé les juifs français », il a cru s’étrangler :
« Quand j’ai été arrêté la première fois en 1942, avec ma famille, on n’arrêtait pas encore les juifs français. J’étais le seul à être français, alors j’ai été sauvé, contrairement à toute ma famille, envoyée à Auschwitz. Mais peu après, ils ont arrêté tous les juifs. Je ne sais pas combien de temps ça a duré de protéger les juifs français, enfin, soi-disant, de les protéger, mais après, ça a été tout le monde ! »
Il fait le récit de l’arrestation de sa famille dans la vidéo ci-dessous :
La carte d’identité française d’Henri ne l’a en effet pas empêché d’être arrêté le 7 février 1944, expédié à Drancy puis déporté comme tant d’autres. Henri a alors 16 ans. Il fait partie des 878 hommes du convoi 73, qui se dirige vers les pays Baltes. « A Kaunas, en Lituanie, une partie du train a été détachée et s’est arrêtée. Tous ceux qui étaient dans ces wagons-là ont été fusillés. » Henri fait partie des « chanceux », ceux qui continuent le voyage vers l’enfer, vers le Stutthof, camp de concentration et d’extermination en Pologne. Du convoi, seuls 22 avaient survécu à la fin de la guerre.
Dans les victimes, le père et le frère de Simone Veil, juifs français eux aussi : le père de Simone Veil était un ancien combattant de la Première Guerre mondiale. De lui, Simone Veil dira : « Il n’imaginait pas qu’il puisse lui arriver quelque chose, pendant très longtemps. En 1940, 1941, il était de ces Français qui disaient : avec le maréchal Pétain, ça ne peut pas arriver. »
A 96 ans, l’ex-secrétaire du camp du Stutthof a le regard qui fuit
Henri a passé sa vie à témoigner, raconter, inlassablement, son histoire et celle de sa famille. Pour transmettre aux jeunes générations cette mémoire. Lutter contre l’oubli. Et combattre les falsificateurs de l’histoire. Alors il refuse de prononcer le nom de celui qui est candidat à la présidence de la République :
« Pour moi, c’est une ordure ce type-là. Il sait très bien qu’il ne sera jamais président de la République. Il veut faire parler de lui. D’ailleurs, je ne comprends pas comment un type comme lui, juif de surcroît, puisse afficher des sentiments plus à droite encore que l’extrême droite. Ça, je n’arrive pas à comprendre. C’est un cas, lui ! »
Henri Zajdenwerger. (BRUNO COUTIER)
Henri Zajdenwerger. (BRUNO COUTIER)
La famille d’Henri Zajdenwerger habitait en Moselle. Au début de la Seconde Guerre mondiale, ils fuient, direction Angoulême.
« Cela nous semblait un havre de paix. En Moselle, j’avais le souvenir d’un antisémitisme latent. A l’école, on me traitait de youpin. A Angoulême, nous étions toute une communauté de réfugiés, je sentais plutôt une certaine solidarité à notre égard de la part de la population locale. »
Le père d’Henri fait confiance au gouvernement de Vichy. Quand il est demandé aux juifs de se recenser, il s’exécute. « Il voulait être en règle, appliquer les lois. » Idem pour le port de l’étoile jaune. La gendarmerie n’a donc aucun mal, le 8 octobre 1942, à procéder à une rafle massive à Angoulême : 422 juifs sont arrêtés et regroupés dans la salle philharmonique de la ville.
« Je me souviens qu’il y avait de la paille par terre. On est restés plusieurs jours. Et puis, les gendarmes sont venus demander qui était français dans la salle. Mon père a crié : “Lui !”, et m’a poussé en avant. Je ne comprenais pas, je voulais rester avec ma famille. J’ai eu l’impression qu’il me repoussait. Une de mes tantes s’accrochait à son bébé, que d’autres juifs de la communauté tentaient de lui retirer, pour la sauver, vu que la petite était française : elle a été ensuite prise en charge et cachée pendant la guerre, c’est la seule de mes cousines qui a survécu. »
« Vichy a sacrifié les juifs français »
Henri est désormais seul.
« J’avais dans la main un bout de papier que mon père m’avait glissé avant qu’on soit séparés. Il y avait une adresse − un homme qui lui avait promis de prendre soin de moi en cas de malheur. »
Henri retourne plusieurs fois vers la salle philharmonique pour tenter d’apercevoir sa famille. En vain. Et puis, un jour, plus personne. « On a su qu’ils avaient été transférés ailleurs. Personne ne savait où. » On est le 15 octobre 1942 : 389 juifs d’Angoulême sont déportés à Drancy, puis à Auschwitz. Seuls dix survivants reviendront après la guerre. Henri ne reverra jamais son père ni le reste de sa famille.
« Mon père boitait, il a été dû être sélectionné d’emblée à Auschwitz et envoyé à la chambre à gaz. Comme le reste de ma famille. Je n’ai compris que bien plus tard qu’il m’avait sauvé en me forçant à les quitter. A l’époque, je me sentais juste abandonné, rejeté. La vie a continué, pourtant. Hébergé chez ce monsieur qui avait promis à mon père de m’aider, j’ai continué d’aller au lycée. Et puis en 1944, dans le quartier des Halles, à Angoulême, il y a une rafle pour le STO [Service du travail obligatoire, NDLR]. J’ai été arrêté par un officier SS. Il m’a demandé de me déculotter en voyant mon nom. Et comme j’étais circoncis… »
Détenu à Poitiers, puis à Drancy, Henri est expédié à l’Est. D’abord dans les pays Baltes, puis vers le Stutthof, où il se retrouve dans l’enfer concentrationnaire. Retrouvez la suite de son témoignage ici :
Publié le 2 janvier 2022 à 10h00
https://www.nouvelobs.com/histoire/20220102.OBS52777/petain-et-les-juifs-la-reponse-d-henri-94-ans-et-rescape-des-camps-a-eric-zemmour.html#
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