Léopold Sédar Senghor, dans sa propriété de Verson, près de Caen (Normandie), en août 1981. © Pascal Maitre/Jeune Afrique
Le 20 décembre 2001, disparaissait Léopold Sédar Senghor, premier chef d’État du Sénégal. Vingt ans plus tard, à l’heure où son compatriote Mohamed Mbougar Sarr est célébré par le gotha littéraire mondial, l’œuvre du grand poète et écrivain qui a fait rayonner la langue française, la négritude et l’humanisme reste d’une brûlante actualité. Moustapha Niasse et Jean-François Mbaye lui rendent hommage.
Il y a vingt ans, le premier président du Sénégal tirait sa révérence, après deux décennies passées à la tête de l’État. Pendant sa longue mandature, il a réussi l’exploit d’imposer son pays sur la carte de la planète, ainsi que la culture africaine, dans les cercles littéraires et artistiques.
Le festival mondial des Arts nègres qu’il a organisé, à Dakar, en 1966, reste un monument à la gloire de la création africaine. André Malraux, alors ministre de la Culture de la France, prononça ces mots sublimes qui défient le temps et consacrent le président-poète sénégalais : « Pour la première fois, un chef d’État prend en ses mains périssables le destin spirituel d’un continent. »
Senghor a compris, avant beaucoup d’autres, que le combat pour la culture africaine allait de pair avec celui pour la libération politique, économique et sociale du continent. L’esclavage, et ensuite le colonialisme, ont eu comme socle idéologique la négation de l’humanité des Africains, de leurs créations culturelles multidimensionnelles, fruits d’un génie fécond que nul ne pouvait enterrer.
IL S’ÉTAIT JURÉ DE DÉCHIRER LES RIRES BANANIA DE TOUS LES MURS DE FRANCE
Le premier festival des Arts nègres, six ans après l’accession à la souveraineté internationale du Sénégal, et de la majorité des États africains, fut un coup de tonnerre éblouissant qui illumina les consciences sur les trésors culturels africains, si longtemps cachés, parce que niés par les colonisateurs.
Célébrer la culture noire et le génie humain
Le combat culturel était bien un combat politique et il prolongeait celui pour l’indépendance qui devait être totale, à la fois politique et culturelle.
Senghor qui s’était juré de « déchirer les rires Banania de tous les murs de France » avait de la suite dans les idées, et la cohérence de son action exigeait de jumeler lutte pour la souveraineté et bataille pour le respect de l’humanité spécifique et universelle des Noirs. En vérité, Senghor est un « universaliste » et c’est pourquoi sa « négritude » est un humanisme et s’épanouit dans l’enracinement et l’ouverture.
Défendre la culture noire et s’engager dans la célébration du génie humain, sous tous les cieux, constituent une seule et même démarche, cohérente, généreuse et fidèle à l’homme, dont l’unicité et la spécificité, parmi les espèces, sont scientifiquement prouvées, par la génétique certes ; mais aussi par la création artistique.
Les faux savants et vrais idéologues qui ont cherché en vain à nier cette réalité objective ont fini par être démasqués et jetés dans les oubliettes de l’Histoire.
Homme politique hors pair
Senghor a été aussi un homme politique hors pair, et, nous autres parlementaires, devons nous enorgueillir de son action pionnière, avec les autres élus africains et antillais, au Palais Bourbon, où il a représenté le Sénégal dignement.
Élu du second collège, celui des indigènes, il a soutenu le combat pour l’égalité citoyenne avec son compatriote et aîné Lamine Guèye, et avec les autres élus africains et tous ceux qui avaient choisi de mettre fin à une discrimination qui faisait tache sur le drapeau français. Et mettait en porte-à-faux les valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité.
Ces parlementaires du continent africain ont fait honneur à leurs mandants et fini par arracher l’indépendance des États, sous domination française, au Sud du Sahara, de manière pacifique.
Cela permet de comprendre l’engagement de Senghor aux côtés des présidents Habib Bourguiba et Hamani Diori, ainsi que du monarque Norodom Sihanouk pour l’avènement de la « francophonie ».
La langue française, un lien fraternel
En effet, la langue française était devenue un lien fraternel, un moyen de communication et d’accès à l’éducation, et non plus un outil de domination coloniale, dès lors que la souveraineté internationale était acquise.
SENGHOR A FAIT SA PART DE TRAVAIL ET A ÉTÉ CONSÉQUENT DANS SON ACTION DE DÉFENSE DES CULTURES AFRICAINES
C’est en toute liberté que les États francophones ont choisi de garder le français comme langue officielle, avec leurs différentes langues nationales.
Senghor, le professeur, a agi inlassablement pour que les six langues nationales choisies dans son pays soient transcrites et leur grammaire normalisée et codifiée. Aujourd’hui, une abondante littérature en langues nationales sénégalaises existe et continue de se développer.
Il faudrait faire mieux et plus pour diffuser cette production littéraire, au Sénégal et dans le monde. Senghor, l’homme d’État, a fait sa part de travail et a été conséquent dans son action de défense et d’illustration des cultures africaines.
Au service du dialogue des cultures
Car, promouvoir les cultures et créations artistiques, où que ce soit, exige de mettre en exergue les langues nationales qui sont, à la fois, le produit et la sève nourricière des cultures florissantes que le génie africain a su créer.
SA PENSÉE CONVERGE AVEC CELLES DE THEILLARD DE CHARDIN ET DE LÉO FROBENUIS
Ainsi, au rendez-vous du donner et du recevoir, si cher à Senghor, les Africains auront, dans le domaine linguistique, des trésors inestimables à partager.
Senghor, l’homme multidimensionnel : poète, penseur, linguiste et homme d’État, est resté, toute sa vie, jusqu’à ses 95 ans, au service du dialogue des cultures qui se noue dans toutes les communautés nationales, dans les États, au niveau des continents. Parce que Senghor est d’abord et avant tout un homme de paix, un humaniste dont la foi est solide et la volonté d’ouverture forte.
Sa pensée converge avec celles de Theillard de Chardin et de Léo Frobenuis, entre autres, mais puise beaucoup dans sa culture communautaire sérère, comme dans la culture française qui l’a profondément marqué. Il est bien l’homme de toutes ces synthèses et celui dont l’élection à l’Académie française a été une consécration méritée.
Pensée plus actuelle que jamais
Ce qui est remarquable, c’est que, vingt ans après sa disparition, sa pensée soit plus actuelle que jamais, dans un monde en proie aux discriminations, aux conflits communautaires et au terrorisme.
Les paroles de sage de Senghor, qui a laissé des textes majeurs dans ses ouvrages de la série Liberté, dans ses poésies sublimes comme Joal, Femme noire ou Masques, doivent encore être méditées par les nouvelles générations. Célébrer le président-poète est un hommage mérité qui récompense un génie littéraire doublé d’un homme de culture universaliste et humaniste.
Senghor n’est plus là, mais, comme lui, on peut encore rêver des « signares aux yeux surréels comme un clair de lune sur la grève ». À Joal, Gorée, Saint-Louis, voire la Martinique ou la Guadeloupe.
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