Stigmatiser certaines populations, se présenter comme seul sauveur face à une crise et une supposée décadence, brouiller les repères: l'exposition "Comment l'extrémisme veut tromper le peuple", qui s'ouvre samedi au Camp des Milles (Bouches-du-Rhône), décrypte les mécanismes de la propagande.
Organisée en collaboration avec le Musée mémorial de l'Holocauste de Washington, cette exposition se focalise sur deux exemples: la propagande des nazis, qui a abouti à l'arrivée au pouvoir d'Adolf Hitler et à l'extermination de millions de Juifs, Roms et opposants durant la Seconde Guerre mondiale, et celle du régime de Vichy en France qui a collaboré avec les nazis.
"Il nous paraissait essentiel dans un lieu comme le Camp des Milles, qui a fonctionné comme un camp d'internement et de déportation sous Vichy, de montrer aussi comment le régime pétainiste a utilisé la propagande et la stigmatisation pour arriver à ses fins antidémocratiques", souligne pour l'AFP Alain Chouraqui, directeur de recherches émérite au CNRS et président de la Fondation du Camp des Milles.
C'est dans cette ancienne tuilerie du sud-est de la France que le régime de Vichy a interné des milliers de Juifs. Quelque 1.800 d'entre eux furent déportés vers les camps d'extermination d'Auschwitz-Birkenau.
Le site avec ses bâtiments en brique rouge, son wagon en bois où défilent les visages des hommes, femmes et enfants assassinés, est aujourd'hui un lieu de mémoire qui accueille des milliers de jeunes pour leur faire découvrir les mécanismes qui font basculer une société vers le totalitarisme et les crimes de masse.
"Le régime de Vichy a aussi déporté de la zone sous son autorité, y compris des juifs dénaturalisés et des enfants nés français", insiste M. Chouraqui.
- Postes radios et graphistes -
Tout en refusant de commenter la polémique autour des propos du candidat d'extrême droite à l'élection présidentielle Eric Zemmour, selon qui Pétain a sauvé des juifs français, M. Chouraqui souligne: "Peu importent les personnes et même les mouvements politiques, ce qui nous importe, ce sont les processus sociétaux qui les portent et les mécanismes de propagande et c'est vrai qu'aujourd'hui nous voyons à l’œuvre des tentatives de déformation ou même d'inversion de la réalité".
Inversion de la réalité, messages simplistes sur fond de crise, désignation de groupes ennemis: des affiches d'époque reproduites dans l'exposition montrent comment les nazis, qui n'avaient que peu d'adhérents au départ, se dépeignent en période de crise économique comme "le dernier espoir" pour les paysans et ouvriers allemands.
Entre 1918 et 1933, ils embauchent des graphistes, vantent la défense de la tradition et raflent 33% des suffrages au Parlement en 1932, score suffisant pour arriver au pouvoir grâce à des alliances.
"Nous montrons les moyens employés par les extrémistes pour être portés au pouvoir avant de mettre à bas la démocratie", relève Bernard Mossé, commissaire de l'exposition française.
Une fois au pouvoir, à partir de 1933, les méthodes se font plus violentes: prise de contrôle des journaux et exclusion de groupes entiers de population.
Et la "propagande", du latin "propagare" - propager, répandre -, prend toute son ampleur.
Le régime nazi encourage ainsi la production de postes radios pour que les foyers puissent entendre la répétition de leurs théories et petit à petit se convaincre, et surtout rester indifférents au sort de ceux qui sont arrêtés, internés, avant d'être exterminés, relève l'exposition.
Dans la partie sur Vichy, un film d'époque montre aussi la propagande en œuvre pour glorifier la milice.
"Les processus qui ont mené au pire sont des processus face auxquels on peut résister", souligne M. Chouraqui, mais à condition de ne pas perdre de vue les repères que les extrémistes tentent de brouiller.
L'exposition se veut donc un "appel à la vigilance", poursuit-il, pour les citoyens qui votent et "doivent réaliser qu'il y a danger pour la démocratie quand certains s'en prennent à la liberté des médias et l'indépendance de la justice".
Mais aussi pour les médias: "alors que selon nos analyses, la France est assez avancée dans un processus qui met la démocratie sur une ligne de crête (...), chaque choix éditorial compte".
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