CEUX DE CHERCHELL
Un très beau livre que vous pouvez vous procurer en contactant Arnaud de VIAL.
GOURAYA : LA VRAI GUERRE D’ALGERIE SE JOUE LA !
UN QUARTIER PACIFIE ET UNE EXPERIENCE QUI DONNE A REFLECHIR !
Afin de nous donner une idée plus saine du travail de l’armée en Algérie le commandement de l’école invite notre promotion à visiter un sous quartier voisin, tenu par le 22ème Régiment d’Infanterie.
Ainsi au lever du jour embarquons-nous avec armes et bagages sur nos camions où nous pouvons maintenant nous installer par affinités et non plus dans un ordre imposé.
Nous partons cette fois le cœur léger en touristes, oui je dis bien …. En touristes ! Nous jouissons enfin du paysage toujours renouvelé de la route de GOURAYA ; après avoir traversé NOVI et l’oued RHILES sous les acclamations de la population nous doublons la Pointe des Oliviers et sa piste pour PIPERS. Nous laissons les Quatre Mamelons et le Mont des Carrières pour voguer en terre inconnue.
Après FONTAINE DU GENIE : une dénomination très « Mille et une nuits » qui me déçoit par son aspect prosaïque, nous atteignons les bords de l’oued MESSELMOUN. Il s’étire langoureusement entre deux grands bancs de sable argenté sur lesquels la MEDITERRANEE froide laisse glisser des vagues boueuses.
Le convoi stoppe un instant devant le regroupement dans lequel le 22ème R.I. à réuni la population du douar MESSELMOUN auparavant entièrement disséminée dans le djebel maintenant abandonné aux combattants.
Nous continuons vers la villa du Débarquement : triste ruine étouffée par la végétation envahissante du maquis. Ici se sont rencontrés plusieurs officiers Américains, dont le Général LEMNITZER, et quelques officiers Français dont le père de Philippe DULLIN, E.O.R. de ma promo, en vue d’un débarquement en AFRIQUE DU NORD.
Le sous-marin SERAPH qui les avait amenés sur cette côte a quitté depuis longtemps ce rivage et les pans de mur de la villa s’écroulent peu à peu. Quant au petit monument commémoratif il s’efface également, au grand regret des photographes du convoi.
Bientôt nous serons à GOURAYA, où le commandant de quartier nous pilote et nous expose la situation sur son secteur.
- Un P.C plusieurs postes de quadrillage, une S.A.S : voilà notre infrastructure. Une population regroupée pour éviter le contact avec les Fells et sur laquelle on a beaucoup d’influence. Les rebelles ont une implantation complexe leurs zones chevauchent en général deux secteurs des forces de l’ordre. De petites bandes armées circulent dans le no-man’s-land et cherchent à contacter la population.
Sur une grande carte du quartier l’officier de renseignements nous montre ensuite l’implantation déjà connue : caches, filières des ravitailleurs et collecteurs de fonds. L’organigramme rebelle est assez bien établi et l’on connaît pratiquement le nom, le grade et l’armement de chaque djounoud.
Ensuite, l’O.R. ouvre devant nous un énorme tableau à trois volets cadenassés semblable aux triptyques Flamands, couvert de noms aux consonances locales. Parfois l’un d’entre eux est barré, la date de l’accrochage étant inscrit à côté.
Peu après cet aperçu sur la situation militaire nous sautons dans nos bahuts qui abandonnent rapidement l’axe côtier pour s’enfoncer dans les terres par une piste en lacets. Ce chemin pierreux serpente à flanc de djebel et surplombe bientôt des lits d’oueds qui ont profondément creusé la masse sauvage des montagnes farouches.
La route est extrêmement étroite : les camions ont beaucoup de mal à prendre les virages en épingles à cheveux. C’est une ambiance très « salaire de la peur » et nous avons des sueurs froides sinon glacées, à chaque fois que notre camion fait une marche arrière au bord de l’abîme !
Dans notre dos la mer perd son aspect hostile et froid pour prendre un aspect anonyme et immobile : le bol amer des eaux n’est plus qu’un gel, bien figé jusqu’à l’horizon.
Autour de nous, aucune trace de vie : seul un marabout, petit cube blanc surmonté d’une coupole en ogive pareille aux casques des guerriers d’Allah dans les miniatures persanes, veille sur la vallée du silence.
Notre convoi progresse lentement comme une colonne de fourmis sur le cadavre d’un géant Gulliverien.
Non loin de la route nous découvrons un homme armé d’un fusil en civil , chacun s’agite déjà, mais le chef de rame l’ignore et les bahuts rentrent bientôt dans une S.A.S., où nous attend un lieutenant au calot rouge, armé de grosses lunettes de soleil qui nous guide dans son domaine : « TAOURAT ».
Son poste est inconfortablement dominé par un piton en pain de sucre dont les pans de pierre grise se colorent par endroit de plaques de mousse verte.
Nous nous sentons mal à l’aise parmi ces montagnards dont les regards sombres et farouches nous scrutent.
Tous ces hommes basculent d’une préhistoire attardée au monde contemporain. Toute la question est de savoir si cette évolution sera réalisée par nous ou par les fells. La réponse n’est pas dans le déterminisme de l’histoire, elle est là sous nos yeux, dans le carré de territoire que garde et que pacifie le 22ème R.I.
Le civil que nous avons rencontré – armé d’un lebel – n’est pas un fell. C’est un de ces bergers qui ont demandé des armes pour se défendre. Il est libre, il peut prendre le maquis et rejoindre « les frères » avec son fusil et cependant il ne le fait pas.
Hier trois fells ont été sortis d’une cache non loin d’un petit douar situé au pied de la S.A.S. dénoncé par un civil à la suite d’une chicaya.
Un berger rentre dans la cache à plat ventre mais reçoit une décharge de chevrotines. Le tireur est peut être même son frère qui a pris le djîch, et qui est coincé dans ce piège.
L’ « équipe grotte » se pose rapidement en hélicoptère et le génie va essayer de les enfumer avec un produit lacrymogène . Les H.L.L. ont compris ce qui les attendait et crèvent les tuyaux qui refoulent le gaz irritant dans leur trou, au ras de la sortie. On bouche l’entrée et la séance reprend. Au bout de plusieurs heures un fell sort, toussant et crachant. L’O.R. essaie de savoir quels sont ses antécédents et qui se trouve encore dans la cache….
A coup de grenades les deux autres suivent le même chemin, cette fois en assez mauvais état.
La population regarde silencieuse. Ceux là ont perdu soit, mais extérioriser un signe de joie peut amener par la suite de terribles représailles.
Le terrier est vidé, les armes et les documents récupérés avant d’être dépouillés par le service de renseignements.
Notre visite se termine par un déjeuner pittoresque et nous percevons des rations collectives de bonne qualité ce qui cause de violentes disputes, une vrai chicaya au diapason de la « voix de tête » entre nos deux pieds noirs G.GIVONE et J.P.BRULARD, car c’est à qui gardera les paquets de cigarettes et les tubes de lait condensé.
Les bahuts nous attendent au parking et nous laissons bientôt la S.A.S. pour nous enfoncer encore plus avant dans ce massif par une piste en corniche.
Quelques mechtas se cramponnent au roc et devant elles, nous apercevons pour la première fois des arabes prosternés vers le levant, faisant la prière de l’après-midi Salât el’ Asr.
La montagne grise a des reflets funèbres ; des lambeaux de brume, chassés par le vent, fuient à nos pieds. Les crêtes dénudées se laissent fouetter avec indifférence par des rafales humides et violentes, qui nous bousculent, quand nous stoppons au sommet de la chaîne , pour admirer cet âpre chaos.
Nous poursuivons ensuite jusqu’au petit douar de TAZROUT, situé sur l’autre versant, dans un creux de djebel. Les mechtas sont construites en pisé et en pierre, leur toit est un mélange durci d’argile et de branchages entrelacés dont un des côtés prend appui sur le versant de la montagne et de l’autre s’avance vers la vallée. Sans s’en apercevoir, on marche ainsi parfois sur le toit d’une habitation.
Un de mes camarades manque de tomber dans une matmora pleine d’eau, dans laquelle macèrent les caroubes sauvages dont se nourrissent les habitants.
Au centre du village se dissimule une petite place en terre battue, encadrée par deux constructions préfabriquées en tôle blanche. Ce sont les baraques FILLIOD qui servent de logements et d’école aux instituteurs, des militaires du contingent, au nombre de trois.
J’admire l’assurance tranquille avec laquelle ils font la classe à une soixantaine d’enfants blonds des kabyles sans doute, qui nous montrent leurs cahiers forts bien tenus avant de nous chanter « A la claire fontaine ». Mes amis et moi leurs posons toutes sortes de questions sur leur vie, sur leur travail, leurs espoirs et leur famille.
Nous ne sommes pas mécontents de cette journée qui s’annonce fort intéressante : le 22ème R.I. a fait là un réel et incroyable travail de pacification. Nous sommes loin des idées reçues propagées par méconnaissance des réalités ! Mais serions-nous prêts en France à en payer le vrai prix : celui d’une égalité des chances entre musulmans et métropolitains ensuite ?
Les trois instituteurs nous font part de leur sentiment de solitude : il est vrai que le poste le plus proche est à deux heures de chez eux par beau temps et de jour !
Leur seul compagnon est un gros pistolet-mitrailleur Thompson. Cependant cette arme luisante qui traîne sur la table n’empêcherait pas les fells du secteur de venir les massacrer ! Leur égide est plutôt faite de courage et d’abnégation. Ces gens là ne combattent pas par les armes et pourtant ils sont en train de faire la conquête des cœurs…
Mais tout ceci est un des profonds mystères de cette guerre d’Algérie et aussi un grand exemple pour ceux d’entre nous qui veulent faire leur service ici. Nous sommes profondément remués par ce que nous voyons de nos yeux : ainsi, c’était donc possible ?
L’après midi est encore consacrée à la visite d’un marabout célèbre dont la réputation de sainteté s’étend au-delà du douar des TAZROUT HASSEN. Il est enterré dans une grande Kouba située au pied du village.
Le tombeau est formé par une construction carrée couverte d’un toit pyramidal. Il faut se glisser à l’intérieur par une porte de bois noir ornementée de gros clous en fer forgé. Je suis saisi par l’obscurité et par la vague odeur de parfum qui flotte dans le marabout….
Une deuxième salle communique avec cette antichambre par un passage minuscule. Au centre de cette pièce un énorme coffre de bois recouvert de satin bleu-ciel et de soieries multicolores ; nous en faisons le tour par l’étroit couloir qui forme une sorte de petit cloître.
Dans des petites niches quelques bougies brûlent silencieusement – créant d’étranges zones d’ombre et de lumière qui font paraître translucides les fines colonnettes de stuc.
En ressortant au grand air nous sommes surpris par la fraîcheur du vent d’ouest. Il faut rejoindre les camions par le douar, une horde d’enfants court autour de nous pour nous demander du chewing-gum ou du chocolat. Nos uniformes, nos armes et notre convoi ont le même attrait pour eux que pour moi - enfant – celui de ces riches soldats américains que nous regardions passer à ROME en 1944 dans du matériel flambant neuf…...
Nous partons maintenant vers un gros poste militaire implanté à une quinzaine de kilomètres de là. Les bahuts empruntent une piste tracée par l’armée avec des moyens plus modernes que ceux des centuries romaines qui parcouraient ces massifs vingt siècles plus tôt ; ces axes répondent cependant au même esprit : ouvrir ces territoires à notre influence, construire la future infrastructure du pays.
La nuit tombe, enveloppant d’une brume bleuâtre la nudité de ces grandes montagnes éventrées par le travail patient et secret de l’eau.
Le vent éperonne de gros nuages sombres qui éclatent en mille rayons de pluie percutant le sol avec un bruit mat ; la terre se dissout insensiblement en minces filets d’eau boueuse et jaune. Les oueds gonflés emportent en grondant de larges blocs de rochers qui rebondissent sur les gradins avec de grands chocs sourds avant de disparaître dans le secret du crépuscule.
Le bar du poste tout illuminé et agréablement chauffé parvient difficilement à contenir tous les E.O.R. Le chef de poste, un lieutenant « deux barrettes » nous fait un topo sur la pacification de son secteur, sur les méthodes employées et sur les résultats obtenus. Un aspirant de la promotion 101 frais émoulu de l’école semble encore nager complètement et se faire difficilement à sa fonction de second. On le comprend !
Ma section s’installe dans un bâtiment abandonné : les feux que nous avons allumés en plein air en profitant d’une accalmie lancent vers le ciel noir des gerbes d’étincelles. Le repas est très gai, nous partageons nos rations avec le lieutenant RAOUL et le capitaine DORR. L’ambiance est maintenant très détendue et nos instructeurs ne nous traitent plus comme des élèves.
Le lever du jour après une nuit passée sur de la paille tiède surprend plus d’un E.O.R. attardé dans son sommeil. Le réchaud miniature de DULLIN s’épuise à nous faire du café chaud.
Après le rassemblement nous visitons le regroupement noyé dans une brume à couper au couteau qui masque le paysage environnant. Je visite une mechta en pisé : il y fait noir comme dans un four.
Dans un clair-obscur à la Rembrandt vivent de vieilles matrones ridées, enroulées dans des tissus multicolores. Deux filles nubiles me dévisagent de leurs yeux noirs, elles sont d’ailleurs fort belles et pour se donner une contenance, elles tisonnent le petit foyer qui noircit les flancs d’une marmite centenaire.
Pour tout mobilier un tapis roulé dans un coin, un coffre sculpté contenant de la farine. Quelques provisions pendues aux poutres tordues et noircies en compagnie de deux outres en peau de chèvre et quelques chapelets d’oignons.
Sur le pas de la porte nous discutons ensuite avec les hommes du douar, vêtus de djellabas défraichies ou de grands sarouals qui ressemblent à des pantalons de zouaves. La tête est toujours couverte d’un chèche blanc ou d’une chéchia rouge. ;
Ce sont tous des cultivateurs ou des pasteurs dont les enfants gardent de maigres chèvres sur les pentes avoisinantes.
Le village, défendu par un réseau de barbelés, est infesté de chiens galeux qui aboient longuement à notre passage. Nous laissons les habitants de ce triste douar pour fuir devant la pluie.
Nous sommes à près de mille mètres d’altitude et le vent fait violemment claquer les bâches de nos camions. Il nous faut rebrousser chemin car la tour que nous devions visiter, installée au sommet d’un piton pour servir de relai-radio est devenue inaccessible.
D’autres ennuis nous attendent : arrivés au grand col où nous étions passés la veille les camions se mettent à glisser, tous freins serrés, sur la piste qui descend vers GOURAYA. Nous débarquons sans nous faire prier malgré une pluie battante qui transperce nos cirés. Sombre perspective, nous avons une quinzaine de kilomètres à faire à pied si l’état de ce chemin ne s’améliore pas. Bientôt une double colonne de piétons serpente sur les nombreux lacets qui épouse le relief, BRULARD et moi lançons tout notre répertoire de chansons mais le froid et la pluie paralysent les gosiers de nos camarades et nous ne rencontrerons pas beaucoup d’échos parmi les E.O.R. de la « sept ».
Après quelques heures de marche nous dépassons les camions descendant à vide, bloqués par le chef de rame qui s’est mis en travers : une de ses roues donne dans le vide. Va t’il basculer ? Après une demie heure de manœuvres prudentes il s’en sort mais le pilote est vert….
Vers midi nous avons presque rejoint la route goudronnée : le convoi reformé réussit à doubler un bahut immobilisé qui a cassé un pont avant dans la dernière épingle à cheveux. Nous l’abandonnerons avec une garde d’E.O.R., les pauvres ricanons nous !
Il faut rentrer à l’école, bâches relevées à cause des embuscades possibles et nous claquons des dents sur la route du retour.
Ce texte est extrait du livre CEUX DE CHERCHELL. Il est reproduit avec l’aimable autorisation d’Arnaud de VIAL. [email protected]
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