« Roselyne Bachelot a visiblement écouté les débats au Sénat ». C’est la première réflexion du sénateur LR, Olivier Paccaud lorsqu’il apprend que la ministre de la Culture va ouvrir « avec 15 ans d’avance, les archives sur les enquêtes judiciaires de gendarmerie qui ont rapport avec la guerre d’Algérie ».
« Je veux que sur cette question qui est troublante, irritante, où il y a des falsificateurs de l’Histoire à l’œuvre, je veux qu’on puisse la regarder en face. On ne construit pas un roman national sur un mensonge », a-t-elle argué vendredi sur BFM TV.
Les documents relatifs aux enquêtes réalisées par les services de la police judiciaire sont en effet classifiés pendant soixante-quinze ans.
17 octobre 1961 : « Nous sommes dans l’incapacité de dire combien il y a eu de morts »
L’annonce de la ministre qui résonne avec les débats tenus au Sénat jeudi, où était examinée une proposition de loi pour faire reconnaître la responsabilité de la France dans la répression de manifestants algériens, le 17 octobre 1961. « Ça fait consensus dans cet hémicycle, il faut absolument permettre aux historiens de faire leur travail […] A ce titre, je remarque que nous sommes dans l’incapacité de dire combien il y a eu de morts » a mis en avant le sénateur communiste, Pierre Ouzoulias en pressant par trois fois le gouvernement d’ouvrir les archives sur la répression du 17 d’octobre 1961, sans obtenir de réponse de la part de la secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur, Nathalie Elimas, présente dans l’hémicycle.
>> Lire notre article: Massacre du 17 octobre 1961 : droite et gauche s’écharpent sur l’enjeu mémoriel
« Je ne pense pas que mon interpellation est un lien avec l’annonce de la ministre. Ce devait être prévu de longue date. Par contre, ce que la ministre de la Culture a entendu, c’est l’opposition du Sénat à un article de la loi de juillet 2021 (relatif à la prévention des actes de terrorisme et au renseignement) qui restreint considérablement l’accès aux archives », estime ce vendredi, Pierre Ouzoulias, archéologue de formation.
En effet, cet été, « dénonçant un recul historique », cinq groupes parlementaires s’étaient opposés (à l’exception de la majorité présidentielle et des Républicains), à cet article modifiant le régime d’accès aux archives secret-défense. Une disposition qui généralise l’accès aux archives classées secret-défense au bout de cinquante ans, mais élargit le champ des exceptions (voir notre article).
« Ce texte était porté par la ministre des Armées et il n’était pas normal que la ministre de la Culture soit mise de côté alors que le Service interministériel des archives de France (Siaf) est rattaché à son ministère. J’assume politiquement mon soutien à Roselyne Bachelot quand elle agit en ministre des archives » se félicite Pierre Ouzoulias.
« Il nous faut attendre maintenant le périmètre exact et les conditions d’accès à ces archives »
Rachid Temal, sénateur socialiste, auteur de la proposition de loi pour faire reconnaître la responsabilité de la France dans la répression du 17 octobre 1961 « salue la démarche du ministère sur le principe ». « Même s’il nous faut attendre maintenant le périmètre exact et les conditions d’accès à ces archives ». « Sur le 17 octobre 1961, les historiens n’ont toujours pas accès aux archives de la préfecture de Paris. Je l’ai dit hier soir lors de mon intervention, mon texte n’avait pas pour but une quelconque repentance, une demande de pardon ou de condamnation. C’est l’honneur de notre pays que de regarder notre histoire en face, c’est comme ça qu’on pourra rassembler ».
« Cela permettait de lever un certain nombre d’ambiguïtés »
Du côté de la majorité sénatoriale LR, on voit également d’un bon œil cette décision de la ministre de la Culture. « Sur le fond, je n’y vois pas d’inconvénient. Cela permettait de lever un certain nombre d’ambiguïtés. Il y a des fantasmes sur le nombre de manifestants tués », estime Gérard Longuet, sénateur LR. L’ancien ministre de la Défense préconise que cette tâche soit confiée « à une mission d’historiens mandatée par le Parlement. Après tout, il s’agit pour le Parlement d’exercer sa mission de contrôle de l’exécutif de 1961 » justifie-t-il, avant de prévenir : « Le problème, c’est l’utilisation politique de ces archives ».
« J’ai voté contre la proposition de loi de Rachid Temal mais ce n’est pas pour ça que je considère qu’il ne s’est rien passé le 17 octobre 1961 », insiste Olivier Paccaud, par ailleurs agrégé d’histoire. « L’historien rapporte des faits et donne des explications. Le politique est dans une autre démarche. Ce qui est malsain, c’est de stigmatiser le peuple français pour des faits qui se sont déroulés en 1961. Le pire piège, c’est l’anachronisme qui consiste à juger à l’aune d’aujourd’hui, des faits d’hier. L’ouverture de ces archives est une bonne chose. Nous n’avons jamais intérêt à dissimuler la vérité ou en donner l’impression », appuit-il.
Cette décision prise par Roselyne Bachelot s’inspire du rapport de Benjamin Stora sur la question mémorielle entre l’Algérie et la France. Il préconise notamment une ouverture et un partage des archives coloniales sensibles entre Algériens et Français, conservées aux Archives nationales d’outre-Mer à Aix-en-Provence.
Cette requête est restée sans réponse du côté des historiens algériens qui, en avril, ont appelé dans une lettre le chef d’Etat algérien à ouvrir les archives nationales sur cette période.
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