Au 48e jour du procès, la cour a longuement entendu un enquêteur autrichien sur les interrogatoires des accusés Haddadi et Usman interpelés à Salzbourg en décembre 2015. Ils auraient sans doute dû faire partie des commandos.
Costume gris, cravate noire, chevelure argentée, l'enquêteur autrichien à la barre se prénomme Thomas. Il est entouré de deux interprètes. Il est venu, ce mercredi, raconter au procès du 13-Novembre les auditions dans son pays de deux des accusés de ce procès : Adel Haddadi et Muhammad Usman, interpellés à Salzbourg le 10 décembre 2015, dans un foyer de réfugiés. Une semaine plus tôt, ils avaient fait une demande d'asile, sous de fausses identités.
Long parcours migratoire
Haddadi l'Algérien et Usman le Pakistanais auraient dû faire partie d'un commando parisien, pensent les enquêteurs. Ils étaient partis de Syrie début octobre 2015 avec les deux Irakiens qui se sont fait exploser au Stade de France. Le quatuor avait pris la route de Raqqa avec 3.000 euros chacun et de faux passeports syriens, mais en débarquant sur l'île grecque de Leros, après avoir traversé la mer Egée, Haddadi et Usman ont été retenus un mois.
Ils ont repris la route début novembre, en passant par la Macédoine, la Serbie, la Croatie, la Slovénie, et c'est donc en Autriche que leur chemin s'est stoppé, le 15 novembre 2015. Au surlendemain des attentats parisiens, le commanditaire présumé leur a ordonné de se terrer quelque temps en Autriche, plutôt que de poursuivre leur périple.
À Salzbourg, la ville de Mozart, Haddadi et Usman tentent donc la carte de la demande d'asile. Et se font rattraper par la police autrichienne. Thomas est l'un des enquêteurs qui les a interrogés, à de multiples reprises. Au total, il y a eu 14 auditions pour Haddadi, sept auditions pour Usman. "Lors du premier interrogatoire, Haddadi a déclaré qu'il était parti d'Algérie le 15 octobre, pour Istanbul, avec l'objectif de se rendre en Allemagne, dans la capitale, Francfort." Haddadi avait donc des lacunes en géographie, peut-être destinées à cacher ses mensonges. Il a indéniablement menti, puisqu'il était donc parti de Raqqa quelques semaines plus tôt.
L'un a avoué l'entraînement à la kalachnikov et a fondu en larmes
Après avoir gardé ensuite le silence pendant quelques auditions, Haddadi a finalement rappelé les enquêteurs, en leur disant qu'il avait "peur des gens de Daech qui étaient des personnes très dangereuses". Et il a déballé sa vérité, un départ en Syrie dès février 2015. Il a fourni des détails sur l'entraînement "sportif" au califat, les prières en fonction du lever du soleil, et la manipulation des armes comme l'AK-47, la kalachnikov. Puis il a fondu en larmes :
Ce n'était pas facile de tuer des gens.
Muhammad Usman, lui, n'a affiché aucune émotion face aux policiers autrichiens. "Il était très contrôlé d'un point de vue émotionnel et une fois, il a dit qu'il se rendait en France pour tuer." Usman a précisé aux enquêteurs qu'il devait "faire tout ce que Abou Ahmad lui disait". Abou Ahmad était le nom de guerre d'Oussama Atar, le commanditaire présumé des attentats, un des accusés-fantômes de ce procès, présumé mort en Syrie. Comme Usman, Haddadi a avoué, entre deux sanglots, qu'il était missionné par Atar pour "aller à Paris et accomplir une tâche". Et il a ajouté que "ce n'était pas facile de tuer des personnes".
La cour a des questions pour l'enquêteur viennois. Une assesseuse demande qui était le meneur, et qui était le suiveur du duo Usman-Haddadi ? "Haddadi était le meneur", affirme le policier. Dans son box, Adel Haddadi écoute et regarde l'enquêteur autrichien. Muhammad Usman baisse la tête, appuyé sur une main. Muhammad Usman qui souvent semble dormir à son procès. Me Seban, avocat de parties civiles demande comment ces deux-là ont réagi quand les Autrichiens leur ont parlé du nombre de victimes des attentats ? Ni compassion ni regrets, assure l'enquêteur.
Des avocats de la défense s'offusquent
Me Léa Dordilly, l'une des avocates d'Adel Haddadi, se lève pour sa défense. Déclare qu'Haddadi conteste une partie de ce qu'il vient d'entendre, ainsi que les conditions dans lesquelles ont été recueillis ses propos en Autriche. Là-bas, elle s'offusque qu'Haddadi n'ait pas eu d'avocat. "Il a pris de malaise, de sanglots, pour vous ça reste une audition qui se passe bien ?", s'étonne-t-elle.
Me Merabia Murgulia, avocat de Muhammad Usman souligne lui aussi un point qui lui semble particulièrement ennuyeux, pour l'audition autrichienne de son client pakistanais. Usman parle ourdou, le dialecte officiel du Pakistan. Mais "il a été interrogé avec un traducteur indien", se désole l'avocat. Sur les bancs de la défense, les brillants avocats des accusés déploient leurs talents oratoires. Beaucoup, dont Mes Murgulia et Dordilly, sont d'anciens secrétaires de la conférence, des avocats élus chaque année par leurs pairs lors d'un concours d'éloquence. C'est à ce titre que la plupart d'entre eux sont devenus les défenseurs des accusés de ce box, comme dans toutes les affaires de terrorisme de ces dernières années.
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